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Je fonge à l'humanité, fire, avant de fonger à vous-même; mais après avoir en abbé de St. Pierre pleuré fur le genre humain dont vous devenez la terreur, je me livre à toute la joie, que me donne votre gloire. Cette gloire fera complette, fi votre majefté force la reine de Hongrie à recevoir la paix, & les Allemans à être heureux. Vous voilà le héros de l'Allemagne, & l'arbitre de l'Europe; vous en ferez le pacificateur, & nos prologues d'opéra feront pour vous.

La fortune qui fe joue des hommes, mais qui vous femble affervie, arrange plaifamment les événemens de ce monde. Je favais bien, que vous feriez de grandes actions; j'étais für du beau fiécle, que vous alliez faire naître ; mais je ne me doutais pas, quand le comte du Four allait voir le maréchal de Broglio, & qu'il n'en était pas trop content, qu'un jour ce comte du Four aurait la bonté de marcher avec une armée triomphante au fecours du maréchal, & le délivrerait par une victoire. Votre majefté n'a pas daigné jufqu'à préfent instruire le monde des détails de cette journée. Elle a eu, je crois, autre chofe à faire que des rélations mais votre modeltie eft trahie par quelques témoins oculaires, qui difent tous qu'on ne doit le gain de la bataille qu'à l'excès de courage & de prudence que vous avez montré. Ils ajoutent, que mon héros eft toujours fenfible, & que ce même homme, qui fait tuer tant de monde, eft au chevet du lit de Mr. de Rotembourg. Voilà ce que vous ne mandez

point,& que vous pourriez pourtant avouer, comme des chofes qui vous font toutes natu

relles.

Continuez, fire; mais faites autant d'heureux au moins dans ce monde, que vous en avez ôté; que mon Alexandre redevienne Salomon le plutôt qu'il pourra, & qu'il daigne fe fouvenir quelquefois de fon ancien admirateur, de celui qui par le cœur eft à jamais fon fujet de celui qui viendrait paffer fa vie à vos pieds, fi l'amitié, plus forte que les rois & les héros, ne le retenait pas, & qui fera attaché à jamais à votre majefté avec le plus profond refpect & la plus tendre vénération.

A U

R. DE P.........

SIRE,

'Ai reçu votre lettre aimable,

J'A

Et vos vers fins & délicats,
Pour prix de l'énorme fatras
Dont, moi pédant, je vous accable.
C'est ainsi qu'un franc difcoureur,
Croyant captiver le fuffrage
De quelque efprit fupérieur,

En de longs argumens s'engage.

L'hom

L'homme d'efprit, par un bon mot,
Répond à tout ce verbiage,

Et le discoureur n'est qu'un fot.

Votre humanité eft plus adorable que jamais: il n'y a plus moyen de vous dire toujours votre majesté. Cela eft bon pour des princes de l'empire, qui ne voyent en vous que le roi: mais moi, qui vois l'homme, & qui ai quelquefois de l'entoufiafme, j'oublie dans mon yvreffe le monarque, pour ne fonger qu'à cet homme enchanteur.

Dites-moi, par quel art fublime
Vous avez pû faire à la fois

Tant de progrès dans l'art des rois,
Et dans l'art charmant de la rime?
Cet art des vers eft le premier,
Il faut que le monde l'avouë;
Car des rois que ce monde louë,
L'un fut prudent, l'autre guerrier;
Celui-ci, gai, doux & paisible,
Joignit le myrthe à l'olivier,
Fut indolent & familier;
Cet autre ne fut que terrible.
J'admire leurs talens divers,
Moi qui compile leur histoire,
Mais aucun d'eux n'obtint la gloire
De faire de fi jolis vers,

Si la reine de Hongrie & le roi mon feigneur & maître voyaient la lettre de votre majefté, ils ne pourraient s'empêcher de rire, malgré le mal que vous avez fait à l'une, & le bien que vous n'avez pas fait à l'autre. Votre comparaifon d'une coquette, & même de quelque chofe de mieux, qui a donné des faveurs un peu cuifantes, & qui fe moque de fes galans dans les remèdes, elt une chofe auf fi plaifante qu'en ayent dit les Céfars, & les Antoines, & les Octaves vos devanciers, gens à grandes actions & à bons mots. Faites comme vous l'entendrez avec les rois : battez-les, quittez-les, querellez-vous, raccommodez-vous; mais ne foyez jamais inconftant pour les particuliers qui vous adorent.

Vos faveurs étaient dangereufes
Aux rois qui le méritent bien.
Tous ces héros-là n'aiment rien,
Et leurs promeffes font trompeufes.
Mais moi, qui ne vous trompe pas,
Et dont l'amour toujours fidelle
Sent tout le prix de vos appas,
Moi qui vous euffe aimé cruelle,
Je jouirai fans repentir

Des careffes & du plaifir

Que fait votre mufe infidelle.

Il pleut ici de mauvais livres & de mauvais vers. Mais comme votre majesté ne juge

pas

pas de tous nos guerriers par l'avanture de Lintz, elle ne juge pas non-plus de l'efprit des Français par les étrennes de la St. Jean, ni par les groffiéretés de l'abbé des Fontaines.

Il n'y a rien de nouveau parmi nos Sibarites de Paris. Voici le feul trait digne, je crois d'être conté à votre majefté. Le cardinal de Fleury, après avoir été affez malade, s'avifa il y a deux jours, ne fachant que faire, de dire la meffe à un petit autel, au milieu d'un jardin où il gelait. Mr. Amelot & Mr. de Breteuil arrivèrent, & lui dirent, qu'il fe jouait à fe tuer: Bon, bon, Messieurs, dit-il, vous êtes des douillets. A quatre-vingt-dix ans, quel homme! Sire, vivez autant, duffiez-vous dire la meffe à cet âge, & moi la fervir. Je fuis avec le plus profond refpect, &c.

A Paris ce 2. Octobre 1743.

AU

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