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Admirez-vous pour cela nos ayeux?
Il leur manquait l'induftrie & l'aifance;
Eft-ce vertu? C'était pure ignorance.
Quel idiot, s'il avait eu pour lors
Quelque bon lit, aurait couché dehors?

Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,
Que faifais-tu dans les jardins d'Eden?
Travaillais-tu pour fe fot genre humain?
Careffais-tu madame Eve, ma mère?
Avouez-moi, que vous aviez tous deux
Les ongles longs, un peu noirs & craffeux,
La chevelure affez mal ordonnée,

Le teint bruni, la peau bize & tannée.
Sans propreté l'amour le plus heureux
N'eft plus amour, c'est un befoin honteux.
Bientôt laffés de leur belle avanture,
Deffous un chêne ils foupent galamment,
Avec de l'eau, du millet & du gland;
Le repas fait, ils dorment fur la dure:
Voilà l'état de la pure nature.

Or maintenant, voulez-vous, mes amis. Savoir un peu, dans nos jours tant maudits, Soit à Paris, foit dans Londre, ou dans Rome, Quel eft le train des jours d'un honnête homme? Entrez chez lui; la foule des beaux arts, Enfans du goût,fe montre à vos regards.

De

De mille mains l'éclatante industrie
De ces dehors orna la fymmétrie.
L'heureux pinceau, le fuperbe deffein,
Du doux Corrège & du favant Pouffin,
Sont encadrés dans l'or d'une bordure:
C'eft c) Bouchardon qui fit cette figure;
Et cet argent fut poli par Germain. d)
Des Gobelins l'aiguille & la teinture,
Dans ces tapis furpaffent la peinture.
Tous ces objets font vingt fois répétés,
Dans des trumeaux tous brillans de clartés.
De ce fallon je vois par la fenêtre,
Dans des jardins, des myrtes en berceaux;
Je vois jaillir les bondiflantes eaux.
Mais du logis j'entens fortir le maître.
Un char commode, avec graces orné,
Par deux chevaux rapidement traîné
Paraît aux yeux une maifon roulante,
Moitié dorée & moitié tranfparente;
Nonchalamment je l'y vois promené:
De deux refforts la liante foupleffe

Sur

c) Fameux fculpteur né à Chaumont en Champagne.

d) Excellent orfèvre dont les deffeins & les ouvra ges font du plus grand goût.

Sur le pavé le porte avec molleffe.
Il court au bain : les parfums les plus doux
Rendent fa peau plus fraiche & plus polie;
Le plaifir preffe, il vole au rendez-vous,
Chez Camargot, chez Goffin, chez Julie.
Il est comblé d'amour & de faveurs.
Il faut fe rendre à ce palais magique,
Où les beaux vers, la danfe, la mufique,
L'art de tromper les yeux par les couleurs,
L'art plus heureux de féduire les cœurs,
De cent plaifirs font un plaifir unique.
Il va fifler quelque opéra nouveau,
Ou malgré lui court admirer Rameau.
Allons fouper. Que ces brillans fervices,
Que ces ragoûts ont pour moi de délices!
Qu'un cuifinier eft un mortel divin!
Cloris, Eglé me verfent de leur main,
D'un vin d'Aï, dont la mouffe preffée,
De la bouteille avec force élancée,
Comme un éclair fait voler fon bouchon;
Il part, on rit, il frappe le plafond.
De ce vin frais l'écume petillante
De nos Français eft l'image brillante.
Le lendemain donne d'autres défirs,
D'autres foupers & de nouveaux plaifirs.
Or maintenant, monfieur du Télémaque,

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Vantez-nous bien votre petite Ithaque,
Votre Salente & vos murs malheureux,
Où vos Crétois, triftement vertueux
Pauvres d'effet, & riches d'abstinence
Manquent de tout pour avoir l'abondance.
J'admire fort votre ftile flateur,

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Et votre profe, encor qu'un peu traînante.
Mais, mon ami, je confens de grand cœur,
D'être feffé dans vos murs de Salente,

Si je vais là pour chercher mon bonheur.
Et vous, jardin de ce premier bon-homme,
Jardin fameux le Diable & la pomme,
par

C'est bien en vain que triftement féduits,
Huet, Calmet, dans leur favante audace,
Du paradis ont recherché la place.
Le paradis terreftre eft où je fuis. e)

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1

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MONSIEUR DE MELON, ci-devant fécretaire du Régent du Royaume,

A MADAME

LA COMTESSE DE VERRUE,

SUR L'APOLOGIE DU LUXE.

J'Ai lu

'Ai lu, madame, l'ingénieuse apologie du luxe. Je regarde ce petit ouvrage comme une excellente leçon de politique, cachée fous un badinage agréable. Je me flate d'avoir démontré dans mon Effai politique fur le commerce, combien ce goût des beaux-arts, & cet em

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ploi

mieux alors aller retrouver fes amis dans fa patrie. Nous tenons cette anecdote de la bouche même de Mr. de Voltaire.

a) Cette lettre fut écrite dans le tems que la pièce du Mondain parut en 1736.

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