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de son départ, les noms, surnoms et demeure des hommes de son équipage; - d'autre part, qu'aux termes de l'art. 9 du réglement de 1778, sont de bonne prise tous bâtiments chargés qui n'auront pas à bord un rôle d'équipage, arrêté par les officiers publics des lieux neutres d'où des bâtiments sont partis ; — enfin, qu'en réunissant ces deux articles, il résulte de leur combinaison que le rôle d'équipage qui doit être trouvé à bord d'un navire étranger doit contenir les noms, surnoms et demeure des matelots, puisqu'en effet le rôle d'équipage doit servir à prouver que l'équipage n'est point composé de plus du tiers de matelots ennemis; cassa et annula, par arrêt du 16 messidor an VII ( 4 juillet 1797), le jugement du tribunal du département des Bouches du Rhône, et adjugea la prise au S' Bonnet-Desgouttes, armateur du corsaire capteur.

§ 12.

Circonstance analogue: saisie de la Gertruida, navire prussien.

Toutefois, si le rôle d'équipage ne donnant pas les noms, surnoms et demeure des matelots, portait la mention qu'il a été fait suivant les lois du pays où il a été dressé, et s'il résultait de la vérification que, parmi les matelots, il n'y en a pas plus d'un tiers qui fussent sujets d'États ennemis, le bâtiment neutre qui aurait été saisi avec un tel rôle d'équipage, devrait, termes de l'arrêt de la cour de cassation séant à Paris, du 25 frimaire an VII (15 décembre 1798), être relâché; mais il est indispensable que le rôle d'équipage soit arrêté par un officier public du lieu de départ du navire.

C'est dans des conditions contraires à cette disposition que se trouvait la Gertruida, portant pavillon prussien, arrêtée, au commencement de l'an VII, par le corsaire français, le Juste.

Ce navire n'avait à bord qu'une simple liste, sans caractère d'authenticité, des hommes composant son équipage; toutefois le tribunal civil du département du Morbihan s'était borné à prononcer la confiscation de la cargaison, il avait donné main-levée du navire.

Le 1er brumaire an VIII (22 octobre 1799), la cour de cassation annula ce jugement et prononça la confiscation du bâtiment et de sa cargaison, attendu que la liste, présentée par le capitaine de la Gertruida, des hommes de son bord, ne pouvait tenir lieu de rôle d'équipage.

§ 13.

Prise de la Constance: affaire de passeport.

En droit maritime, le passeport ou congé est réputé nul s'il est prouvé que le bâtiment auquel il a été accordé n'était pas, au moment de l'expédition, dans un des ports du prince au nom duquel ce document a été délivré. (Voir §§ 2 et 3.)

L'objet de ce principe est d'assurer que le passeport n'est point tombé en main ennemie et qu'il est réellement destiné à protéger la liberté de navigation d'un sujet du prince qui l'accorde; or, cet objet est rempli quand l'expédition et la délivrance du passeport ont été faites, dans les États du prince, au sujet lui-même qui en est porteur.

C'est en vertu de cette interprétation (selon l'équité) de l'usage et du texte des réglements, que le conseil des prises de France a prononcé la main-levée du bâtiment danois la Constance, capitaine Johann Behrend Henrisken, dont nous allons parler.

La Constance se trouvait à Pernau, en Russie, chargeant des marchandises pour Lisbonne, lorsque le capitaine J. B. Henrisken adressa à Copenhague la demande du passeport nécessaire pour pouvoir exécuter son voyage.

Le passeport fut dressé le 23 juillet 1796, mais il ne fut point envoyé à Pernau. Il fut constaté par les certificats de la douane de Copenhague que le capitaine de la Constance s'était arrêté dans le Sund pour y recevoir ses expéditions, et que c'est à Copenhague que le passeport lui fut remis. Le court intervalle de temps écoulé entre la demande du passeport, adressée de' Pernau, et l'arrivée de la Constance au Sund, ne permettait pas d'ailleurs d'établir ou d'admettre que le passeport eût été envoyé à Pernau, bien qu'il fut fait mention dans ce document de la circonstance que la Constance se trouvait dans ce dernier port au moment de l'établissement du passeport.

Toutes les autres pièces dont la Constance était pourvue prouvaient, d'autre part, que ce bâtiment était de construction danoise, que son propriétaire était Danois, que l'équipage était composé de matelots danois, et que les marchandises n'étaient ni prohibées ni de contrebande de guerre; le fait de neutralité était incontestable.

En conséquence, le conseil des prises, par son arrêté du 3 messidor an VIII (22 juin 1800) débouta les armateurs du corsaire-capteur, les Deux Amis, de leurs prétentions, annula les

jugements rendus par le consul de France à Carthagène, le 3 vendemiaire an VI (24 septembre 1797), et par le tribunal civil du département des Bouches du Rhône le 7 prairial suivant (26 mai 1798), et donna pleine et entière main-levée au capitaine Johann Behrend Henrisken, du navire la Constance, de ses agrès et apparaux, et des marchandises qui composaient son chargement.

§ 14.

Prise d'un bâtiment dont le passeport avait été délivré, lorsqu'il était encore à l'étranger; circonstance exceptionnelle dans laquelle se trouvait l'Engel-Elisabeth.

Le passeport de la Constance, dont il a été question dans le précédent paragraphe, avait été libellé lorsque ce bâtiment se trouvait à Pernau, en Russie, mais il fut prouvé que le capitaine ne l'avait reçu qu'en se présentant à Copenhague.

Dans le cas que nous allons exposer, le passeport avait été dressé et envoyé au bâtiment auquel il était destiné, lorsque celuici se trouvait dans un port étranger.

Mais, ainsi qu'on le verra, la position de ce bâtiment était exceptionnelle, et la cour de cassation, toujours impartiale dans ses arrêts, jugea qu'il n'y avait pas lieu à faire une application rigide du réglement, et cassa les jugements qui avaient prononcé la confiscation.

L'Engel-Elisabeth, portant pavillon prussien, avait été capturé, le 3 pluviose an VI (22 janvier 1798), par les corsaires français le Bon Ordre et la Providence.

Ce navire de construction ennemie, pris par un corsaire français aux Anglais, avait été vendu à Amsterdam à un Prussien.

Les deux corsaires-capteurs avaient reconnu que l'EngelElisabeth était muni des actes de vente et d'achat, d'un passeport délivré par S. M. le roi de Prusse, d'un rôle d'équipage et de connaissements; mais ils prétendaient

1° Que le passeport était nul, puisqu'il avait été délivré par le roi de Prusse à une époque où l'Engel-Elisabeth était dans le port d'Amsterdam et non dans un des ports de la Prusse;

2° Que le rôle d'équipage n'était point régulier, parcequ'il ne faisait point mention de l'origine, de la demeure et de la qualité des personnes qui montaient le navire;

3o Que la cargaison étant de contrebande de guerre rendait le bâtiment confiscable.

Pour ces divers motifs, admis par les premiers juges, la confiscation de l'Engel Elisabeth et de sa cargaison avait été pro

noncée.

La cour de cassation, par arrêt rendu le 25 frimaire an VII (15 décembre 1798), cassa et annula le jugement du tribunal civil du département du Finistère, en se fondant sur les motifs suivants :

4o Le passeport délivré en Prusse au capitaine August doit être considéré comme valable, parcequ'il est constant que l'EngelElisabeth, de fabrique ennemie, pris sur les Anglais par un corsaire français, a été vendu à Amsterdam au Prussien Louis Serthe, et que celui-ci n'a pu le faire sortir de ce port et naviguer librement qu'en vertu d'un passeport accordé par son souverain;

2o Le rôle d'équipage ayant été arrêté à Amsterdam, selon les lois du pays, ne saurait, dans son irrégularité apparente, tirer à conséquence dans la circonstance actuelle, puisqu'il est résulté de l'interrogatoire subi par les hommes de l'équipage, qu'ils ne sont ni natifs, ni habitants des pays ennemis ;

3o Les lames de sabre saisies comme marchandises de contrebande étant d'une valeur bien inférieure à celle des trois quarts de la cargaison, ne sauraient justifier la confiscation du bâtiment ; en effet, l'article premier du réglement du 26 juillet 1778 détermine qu'un bâtiment neutre ne peut-être confisqué, pour fait de contrebande de guerre, que lorsque les marchandises ainsi qualifiées, égalent au moins les trois quarts de la valeur de la cargaison entière.

§ 15.

Prise de la Carolina Wilhelmina, voyageant sans passeport.

D'une part, l'absence d'un passeport, à laquelle le capitaine Christophe Bradmahl du navire prussien la Carolina Wilhelmina crut pouvoir suppléer en présentant le certificat de construction, et d'autre part, les ratures qui existaient sur son rôle d'équipage, ont déterminé la condamnation en France, comme bonne prise, de ce bâtiment capturé par le corsaire français, le Dragon, dans le mois de vendemiaire an VII (septembre 1798).

La Carolina Wilhelmina, du port de Stettin, sortit pour effectuer divers voyages dans la Baltique; le capitaine ne se proposant pas de quitter cette mer fermée, crut pouvoir se dispenser de se pourvoir d'un passeport (pensant d'ailleurs que le certificat de construction, délivrée le 15 octobre 1796, était suffisant), ainsi

que divers bâtiments appartenant aux ports prussiens, suédois et danois avaient coutume de le pratiquer.

Mais le capitaine Christophe Bradmahl franchit le Sund et sa charte-partie indiquait qu'il devait visiter Archangel, Hambourg, Amsterdam et Lisbonne; ce fut à Hambourg qu'il fit arrêter son rôle d'équipage, lequel, selon les usages reçus, aurait dû être passé par devant les officiers publics de Stettin, lieu de départ, quand aucune circonstance particulière ne motivait qu'il dût en être autrement. Ce rôle d'équipage, au moment de sa production au capteur, se trouva couvert de surcharges non approuvées; il présentait dès lors un caractère d'irrégularité et de fraude.

Pour ces divers motifs, le conseil des prises de France, par son arrêt du 16 thermidor an VIII (4 août 1800) approuva la confiscation du navire et de sa cargaison, prononcée, le 13 ventose an VII (3 mars 1799), par le tribunal civil du département du Nord, lequel avait réformé la décision favorable à la Carolina Wilhelmina rendue, le 20 brumaire précédent (10 novembre 1798), par le commissaire de la marine et du commerce français à Amsterdam.

§ 16.

Conclusion observations concernant les passeports et le rôle

d'équipage.

Par les irrégularités que peuvent présenter les papiers de bord, celles qui concernent les passeports et le rôle d'équipage, semblent être, d'après les divers cas qui précèdent de prises maritimes pour irrégularités de cette nature, être celles qui ont, le plus fréquemment, compromis la neutralité des bâtiments.

Certes, nous sommes bien loin d'approuver qu'un bâtiment puisse perdre ses droits de neutralité, quand sa neutralité est établie d'ailleurs par ses papiers, par le seul motif qu'il a fait usage, pour deux voyages, du même passeport, ou du même rôle d'équipage; il semblerait que le gouvernement auquel appartient le navire qui agit de cette sorte, eût seul le droit de le punir pour avoir contrevenu à une disposition d'administration intérieure sur la police de la navigation; mais les réglements existent, il faut les exécuter: dura lex, sed lex. Nous allons, en conséquence, signaler celles de ces irrégularités que tout capitaine doit s'étudier à prévenir, quand il en est temps encore; que tout consul, que tout juge appelés à prononcer un jugement dans une affaire de prise, doivent apprécier selon l'équité, et non pas selon toute la rigidité du texte d'un réglement.

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