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« Ainsi», dit Valin, «les marchandises appartenant à l'ennemi << rendent le navire qui les porte, ennemi, et le soumettent à la << confiscation, aussi bien que le reste de son chargement, à qui que ce soit que le navire et les autres marchandises appar<< tiennent, soit amis, alliés, neutres et français ; - et récipro<«<quement le navire ennemi rend toute sa cargaison ennemie. >>

Cette jurisprudence était, à cette époque (la fin du 17 et le commencement du 18e siècle), celle de la France et de l'Espagne; partout ailleurs, il n'y avait que les marchandises de l'ennemi qui fussent sujettes à confiscation sur bàtiment de nation amie, alliée ou neutre.

§ 2.

Prise du Saint-Jean-Baptiste, bâtiment neutre.

Le Saint-Jean-Baptiste, bâtiment neutre, capitaine Sugliasich, avait été arrêté par un bâtiment français armé en course, appartenant au S Grenonville; c'était à la fin de l'année 1688.

Il avait à bord des marchandises appartenant au nommé Glux, négociant hollandais.

Or, en 1688, la guerre existait entre la France et la Hollande; Louis XIV l'avait déclarée le 26 novembre de cette même année, aux Provinces-Unies, lorsqu'il reçut la nouvelle de la descente en Angleterre du prince d'Orange et de la fuite du roi Jacques II.

En vertu de l'article VII du titre des prises de l'ordonnance de 4681, le Saint-Jean-Baptiste, devait être confisqué, la marchandise ennemie rendant ennemi le bâtiment à bord duquel elle a été trouvée.

Mais en invoquant divers précédents qui établissaient que plusieurs bâtiments, chargés de marchandises ennemies, avaient été traités avec faveur et relâchés après avoir vu confisquer uniquement la marchandise ennemie qu'ils portaient, les armateurs du Saint-Jean-Baptiste avaient obtenu, le 15 mars 1692, un arrêt qui donnait main-levée du bâtiment.

Les capteurs firent appel; mais un second arrêt, en date du 18 septembre de la même année, confirma le premier.

Cette affaire fut portée devant le conseil d'État.

Le conseil déclara que le maintien des arrêts précédents, tendrait à favoriser le commerce des ennemis et encouragerait ceux-ci à employer des bâtiments neutres en apparence, pour leurs échanges commerciaux.

En conséquence, le conseil siégeant à Versailles, par un arrêt du

26 octobre 1692, cassa les arrêts des 15 mars et 18 septembre précédents, déclarant de bonne prise, au profit de l'armateur Grenouville, le bâtiment le Saint-Jean-Baptiste, ensemble les marchandises qui composaient toute sa cargaison.

§ 3.

Observations sur les modifications successives qu'a subies le principe posé par l'ordonnance de 1681.

Le principe posé par l'article 7 du titre des prises, de l'ordonnance du mois d'août 1681, que la marchandise ennemie à bord d'un bâtiment de nation amie, alliée ou neutre, rend le bâtiment ennemi, et dès lors sujet à la confiscation, a été maintenu par l'article 5 du réglement du 23 juillet 1704, lequel porte en termes formels : «S'il se trouve sur les vaisseaux neutres, des effets appartenant aux ennemis de S. M. les vaisseaux et tout le chargement seront de bonne prise, conformément à l'article 7 de l'ordonnance du mois d'août 1681. »

Le réglement du 24 octobre 1744 dérogea à ce principe.

Prenant en considération que cette disposition se trouvait en opposition avec divers traités conclus avec plusieurs Puissances, le roi fit défense aux armateurs français d'arrêter les navires appartenant aux sujets des États neutres, chargés de marchandises du crú de leur pays (moins la contrebande de guerre), pour les porter en droiture même dans les ports ennemis; non plus que lesdits bâtiments sortant des ports ennemis, chargés pour le compte des sujets des princes neutres et se rendant en droiture dans leur pays; et, par l'article 5, le roi ordonnait que s'il se trouvait sur lesdits navires neutres, de quelque nation qu'ils fussent, des marchandises ou effets appartenant aux ennemis de S. M., les marchandises et effets seraient de bonne prise, quand même ils ne seraient pas de fabrique du pays ennemi, mais que néanmoins les navires seraient relâchés.

Ce fut ainsi que le principe posé par l'article 7 du titre des prises de l'ordonnance du mois d'août 1684, resta en vigueur et forma la règle et la jurisprudence sauf les dérogations accidentelles, jusqu'au moment où le sage réglement de 1778 posa le principe que «le pavillon couvre la marchandise ».

Toutefois, bien que ce principe, fondé sur l'équité, la justice et le droit naturel, n'ait pas été inscrit d'une manière formelle dans les codes français, avant 1778, la France, depuis la paix de 1713, et sans avoir abrogé positivement l'article 7 de l'or

donnance de 1684, l'a toujours professé en l'inscrivant dans ses traités publics avec les nations étrangères.

Il faut de nombreuses années avant que la raison devienne la directrice des actions des hommes et se fasse adopter par eux quand ils sont restés longtemps sur une fausse voie; la routine et les préjugés exercent une si puissante influence sur leur esprit et sur leurs résolutions! (Voir Livre I, titre III, § 40.)

Le réglement de 1778 a complété l'œuvre libérale commencée par le réglement de 1744. (Voir Livre I, titre III, § 38.)

Il résulte encore du réglement du 21 octobre 1744:

1° Qu'un passeport de mer ou congé ne peut servir que pour un seul voyage, et qu'il doit être considéré comme nul s'il est prouvé que le navire pour lequel il a été dressé n'était pas, lors de l'expédition, dans aucun des ports du prince qui l'a accordé. (Voir chap. XIII, §§ 4, 13 à 16.)

2° Que le navire neutre peut, en principe, naviguer librement soit des ports du pays auquel il appartient, vers des ports neutres ou ennemis, ou d'un port neutre vers un port ennemi; soit d'un port ennemi vers un autre port ennemi, pourvu que ce ne soit pas une place bloquée, et qu'il ne soit pas chargé de marchandises réputées par les traités contrebande de guerre.

Ces conditions faites au commerce neutre, par le réglement français de 1744, ont été introduites fréquemment dans les traités de commerce et de navigation, conclus depuis cette époque jusqu'à nos jours, par les diverses Puissances du Globe. (Voir Livre I, titre III, § 12 et 13.).

CHAPITRE XVII.

PRISES MARITIMES.

De la recousse. 1)

§ 1.

Bâtiment anglais pris, recous et repris.

Valin, le laborieux commentateur de la célèbre ordonnance de la marine, promulguée en août 1681, par Louis XIV, rapporte

1) Voir Livre I, titre III, § 30.

un fait de recousse fort curieux et qui était de nature à présenter des difficultés réelles (dans l'appréciation et le jugement à intervenir), au tribunal des prises. Merlin mentionne également ce fait dans son Répertoire de jurisprudence.

Le navire anglais le Mogué-Landardez fut pris, en 1694, par le corsaire français la Reine.

Trois jours après, pendant lesquels le Landardez était resté en la possession du corsaire la Reine, ces deux navires furent pris par un bâtiment anglais; mais, seize heures plus tard, survint le corsaire français le Prince de Conti qui s'empara des deux bâtiments anglais et des corsaires français capturés.

Aux termes du réglement en vigueur, le navire français la Reine, pris et recous, fut rendu à son armateur, moyennant le tiers de sa valeur abandonné au corsaire le Prince de Conti pour son droit de recousse.

Evidemment, le Landardez étant resté plus de 24 heures en la possession du corsaire la Reine, était, selon la jurisprudence maritime, devenu sa propriété.

Le Landardez, devenu propriété française, avait-il perdu ce caractère pour être resté seize heures en la possession du corsaire anglais qui l'avait recous ?

Capturé par le corsaire le Prince de Conti, après avoir reçu le caractère de propriété française pour être resté plus de 24 heures en la possession du corsaire la Reine, pouvait-il être considéré comme un bâtiment français recous, et comme tel devait-il être remis aux armateurs du corsaire la Reine, à charge par ceux-ci de payer au corsaire le Prince de Conti le tiers de la valeur du Landardez pour droit de recousse, ainsi qu'il ont dû le faire pour le corsaire la Reine lui-même ?

Ou bien, par la reprise du Landardez effectuée par le corsaire anglais, capteur du corsaire la Reine, ce dernier bâtiment. avait-il perdu son droit de propriété ?

en

Et, repris par le corsaire le Prince de Conti qui s'empara, même temps, du corsaire anglais recapteur, le Landardez devait-il passer en entier, de même que le corsaire anglais recapteur, en la possession du corsaire le Prince de Conti?

Cette affaire de droit maritime en matière de prises a suivi tous les degrés de juridiction: divers arrêtés rendus les 2 janvier 1695, 17 octobre 1705, 5 juin 1706 et 14 juin 1710, prononcèrent en faveur du Prince de Conti; elle fut reprise en 1747, et l'arrêt qui intervint, le 7 février 1748, fut en faveur du corsaire la Reine.

Enfin, intervint, le 5 novembre 1748, un arrêt du conseil, en forme de réglement royal, qui réforma la décision du 7 février.

Sur le rapport du comte de Maurepas, secrétaire d'État de la marine, le roi étant en son conseil, faisant droit à la requête des armateurs du Prince de Conti, ordonna que le montant total de la valeur du Landardez et de son chargement, fut remis au Prince de Conti, dernier capteur, à la réserve du dixième appartenant à l'amiral: «Veut et entend Sa Majesté que les prises des navires ennemis, faites par ses vaisseaux et par ceux de ses sujets, armés en course, recousses par les ennemis, et ensuite reprises sur eux, appartiennent en entier du dernier prenant. »

§ 2.

Navire repris à l'ennemi par son propre équipage.

Un navire pris à l'ennemi peut revenir à ses propriétaires par reprise ou par cas fortuit.

Le navire recous est tenu de payer à l'équipage recapteur une gratification plus ou moins élevée suivant que la reprise a été effectuée par un bâtiment de l'État ou par un corsaire, avant ou après vingt-quatre heures écoulées depuis le moment de la capture par l'ennemi. Cette indemnité ou gratification, dont le chiffre varie selon les pays, résulte tant des réglements particuliers de chaque État, que des traités, ainsi que nous l'avons démontré au Livre I, titre III, § 28, en signalant un certain nombre de traités publics dans lesquels les négociateurs ont inséré cette clause.

Les réglements disent également que si un navire pris par l'ennemi est, sans être recous, abandonné par lui, ou si, par tempête ou autre cas fortuit, il tombe en la possession de corsaires de sa nation avant qu'il ait été conduit dans un port ennemi, il sera rendu à ses propriétaires, sur la réclamation qu'ils en feront, dans l'an et un jour, quoiqu'il ait été plus de 24 heures entre les mains de l'ennemi.

Mais les réglements maritimes ne se sont pas expliqués d'une manière nette et absolue sur le cas particulier d'un bâtiment pris par l'ennemi et que son propre équipage parvient à soustraire au capteur.

Ce cas peut-il être rangé dans la classe des reprises de bâtiments nationaux effectuées par les corsaires du même pays, auxquels lesdits bâtiments nationaux, recous sur l'ennemi par les corsaires de leur nation, doivent une gratification plus ou moins

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