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considérable, s'ils ne sont pas restés 24 heures entre ses mains; et (selon l'usage de divers pays) appartiennent même en totalité au recapteur, s'ils sont restés, au-delà de 24 heures, en la possession du capteur étranger?

Les tribunaux des prises appelés à se prononcer sur les deux faits qui feront l'objet de ce paragraphe et du suivant, ont apprécié, en principe et en droit, la situation exceptionnelle faite aux équipages recapteurs dans un sens qui leur fut tout à fait favorable, sans cependant les assimiler complètement aux équipages qui reprennent à l'ennemi un bâtiment resté au-delà de 24 heures en sa possession; le juge ayant le droit, quand il s'agit d'un cas fortuit, de proportionner la récompense aux dangers courus et à l'importance du service rendu, les tribunaux ont trouvé fondé en équité que la récompense à remettre aux équipages recapteurs de leur propre bâtiment fut équivalente environ au montant du droit de recousse admis et reconnu par les réglements en faveur d'un corsaire français qui aurait recous un bâtiment de sa nation, dans les 24 heures de sa capture.

La tartane l'Assomption, des îles d'Hyères, capitaine Laurent Caratini, fut rencontrée, le 28 prairial an XI (17 juin 1803), en quittant le port français, par le sloop anglais the Morgiana, qui s'en empara.

Caratini passa sur le Morgiana; le second capitaine, Pierre Marcantelli, deux matelots et un mousse restèrent à bord de l'Assomption, sur laquelle s'étaient installés quatre matelots anglais et un jeune officier de marine, du nom de Dawson, qui avait reçu l'ordre de conduire la prise à Malte.

Le 3 messidor, c'est-à-dire plus de quatre jours après la capture de l'Assomption par la Morgiana, le bâtiment se trouvant à la hauteur de Malfaco, à un demi myriamètre de l'île de Corse, Pierre Marcantelli obtint de l'officier Dawson le débarquement de l'équipage français, lequel fut conduit à terre par deux matelots anglais.

A peine Marcantelli eut-il touché le sol français, qu'il conçut le projet de s'emparer de la tartane. A cet effet, il s'associe, sans retard et moyennant la promesse d'une récompense de vingt piastres par tête, trois laboureurs corses de ses amis, Rocca Maria Marcantelli, Joseph Montaggione et Jean-Sylvestre Damiani.

Munis de fusils, ces trois hommes entreprenants, les deux matelots débarqués et le mousse, s'embarquent sur un bateau appartenant à Rocca Maria Marcantelli, et vont s'emparer de la

tartane qu'ils conduisent, ainsi que les cinq prisonniers anglais, à Saint-Florent.

Pierre Marcantelli prétendit avoir droit à la prise recousse par lui, les deux matelots, le mousse et les trois laboureurs corses; il réclama qu'il lui fut fait application du réglement, lequel disposait qu'un bâtiment français repris sur l'ennemi, après plus de 24 heures de possession par ce dernier, appartenait au recapteur.

Le tribunal ne pouvait déserter la doctrine, fondée sur l'équité autant que sur le droit lui-même, que les hommes dont un armateur a formé l'équipage de son navire, sont ses propres représentants, et que dès-lors ils ne sauraient devenir pour lui, par cas fortuit, ce que serait un corsaire étranger qui se serait emparé de son navire, ou même ce que serait un corsaire français qui reprendrait un vaisseau français après plus de 24 heures écoulées depuis sa capture par l'ennemi.

Dans la pensée du tribunal, deux écueils apparaissaient qu'il fallait tourner sans s'y heurter; il y avait à éviter, d'une part, le danger d'intéresser les équipages à ne pas faire tous leurs efforts pour empêcher leur navire de tomber au pouvoir de l'ennemi, dans l'espoir coupable d'en faire la reprise et de se l'approprier; d'autre part, le danger tout aussi sérieux de porter les équipages à abandonner facilement leur navire au corsaire étranger, sans faire aucun effort soit pour le défendre, soit pour le reprendre, si leurs efforts, en pareil cas, devaient rester sans récompense.

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C'est en présence de ces considérations que le conseil des prises décida :

1° Que la reprise à force ouverte de l'Assomption, par son propre équipage, était bonne et valable recousse;

2o Que pleine et entière main-levée de ce navire était toutefois donnée au profit de son armateur;

3o Mais que le dit armateur aurait à payer, outre le montant des salaires, le tiers de la valeur de la totalité du navire recous, au profit de l'équipage recapteur, lequel tiers serait partagé comme il suit : Cinq dixièmes à Pierre Marcantelli, second de l'équipage, deux dixièmes à chacun des matelots, et un dixième au mousse, en prélevant toutefois sur le montant de la récompense à eux accordée, et proportionnellement, la somme qui avait été promise à chacun des trois laboureurs corses.

CUSSY. II.

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§ 3.

Autre cas analogue: la goëlette la Française prise par l'ennemi est reprise par son équipage.

Le fait suivant présente un cas analogue de recousse, à celui qui a été exposé dans le paragraphe précédent.

Au mois de germinal an XI (mars 1803), la goëlette la Française, du port de Saint-Servan, partit pour la pêche de la morue sur le grand banc de Terre-Neuve; son équipage se composait du capitaine Cauchard, d'un second capitaine, nommé Pierre Garnier, âgé de 27 ans, de quatre matelots, du novice Auguste Lefèvre, âgé de 20 ans, et d'un mousse.

Nous faisons connaître le nom et l'âge du second et du novice, parceque ce sont ces deux hommes courageux qui doivent figurer en première ligne dans l'exécution du plan qui enleva la Française à ses capteurs.

Ce navire revenait en France avec le produit de sa pêche, lorsque, le 6 thermidor an XI (25 juillet 1803), ignorant d'ailleurs la rupture de la paix entre la France et l'Angleterre, il fut poursuivi, en pleine mer, par le 48° degré de latitude nord et 21e degré de longitude occidentale du méridien de Paris, par le sloopcorsaire anglais la Surprise, capitaine Thomas Wood, lequel fit passer sur son bâtiment le capitaine Cauchard, les quatre matelots et le mousse de la Française; Pierre Garnier et le novice Lefèvre restèrent à bord de la Française sur laquelle le capitaine Thomas Wood installa un capitaine de prise, nommé John Morris, âgé de 22 ans, et trois matelots anglais.

La prise devait être conduite à Guernsey.

Pierre Garnier qui conçut, dès le principe, le projet de recouvrer sa liberté, s'efforça de gagner la confiance de John Morris. Celui-ci, peu expérimenté encore dans sa profession et connaissant fort mal d'ailleurs la route qu'il avait à tenir, s'abandonna peu à peu aux conseils et à la direction de Garnier et lui laissa, en quelque sorte, la conduite du navire.

Au lieu d'attérir sur Guernsey, Garnier mit le cap sur la Hogue, et, le 15 thermidor, neuf jours après être tombé entre les mains des Anglais, il découvrit l'ile d'Aurigny 1), qu'il fit accepter au capitaine de prise pour être l'ile de Guernsey.

1) Petite le française à 12 kilomètres ouest du Cap de la Hogue et 21 de l'île anglaise de Jersey.

Aucune voile ne s'apercevait à l'horizon.

Garnier, le 16 thermidor, à 5 heures du matin, se rend à la chambre de John Morris, qu'il somme de se rendre, en le saisissant au collet; Morris veut armer un pistolet, mais il tombe mort sous le poignard de Garnier.

Maître des armes du capitaine de prise, et après avoir fait armer le novice Lefèvre, Garnier se présente devant les trois matelots anglais, auxquels il apprend le sort de leur chef, en les menaçant de les tuer; ces hommes promettent obéissance.

Vers huit heures du matin, une frégate et un brick de la marine royale d'Angleterre rencontrèrent la Française et lui donnèrent la chasse en la canonnant jusque sous les forts de la rade de Cherbourg, où la Française mouilla à 2 heures après midi.

Un prisonnier qui n'est point lié par sa parole d'honneur reste en état de guerre avec l'ennemi au pouvoir duquel il se trouve ; c'est à l'ennemi à se prémunir contre les moyens de force ou de ruse que son prisonnier, qui reste toujours son adversaire, peut employer pour recouvrer sa liberté. ( Voir Livre I, titre III, § 32.)

Le tribunal n'avait point, au reste, à apprécier la moralité de l'action de Pierre Garnier, ni l'audace avec laquelle son plan de délivrance avait été conçu et exécuté; le tribunal avait uniquement à se prononcer sur la demande formée par Garnier «que «la totalité du navire et de son chargement lui fut adjugée, ainsi « qu'au novice Lefèvre, puisqu'il s'agissait d'une reprise faite sur «<l'ennemi la neuvième jour après la capture. >>

Cette affaire donna lieu à de longues discussions; enfin, après avoir murement pesé les raisons exposées tant par Garnier, pour obtenir la totalité de la prise, que par les armateurs de la Française, pour rentrer en possession de leur propriété sauvée par les efforts et le courage d'une partie des hommes auxquels ils en avaient confié la conduite et la défense, le conseil des prises décida, le 7 vendémiaire an XII (30 septembre 1803):

Qu'on ne pouvait élever de doute sur les droits que ne cessent d'avoir à sa propriété les armateurs d'un navire, que tout ou partie de son équipage parvient, en quelque temps que ce soit, à enlever à l'ennemi qui s'en était d'abord emparé ; que ces droits dérivent de la seule équité naturelle; qu'ils sont de plus formellement reconnus par les publicistes, etc.; mais que la justice et la reconnaissance voulaient que les auteurs de la reprise fussent récompensés en proportion soit du danger qu'ils ont couru, soit de l'importance du service qu'ils ont rendu à ceux dont ils étaient les agents, etc.; que la goëlette la Française serait

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jugée et déclarée bonne et valable prise, mais que les armateurs de la Française seraient remis en possession; enfin, que ceux-ci auraient à payer 1° à l'équipage de la goëlette le cinquième de la cargaison appartenant au dit équipage; 2° à Garnier et au novice Lefèvre, la moitié de la valeur de la goëlette et du surplus de la cargaison, pour la dite moitié être répartie entr'eux, savoir quatre cinquièmes au capitaine Garnier et un cinquième au novice Lefèvre.

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En fait de recousse, il faut distinguer entre le navire national et le navire neutre.

Si la recousse est opérée à l'occasion d'un bâtiment national, elle peut avoir lieu soit par un vaisseau de l'État, soit par un corsaire armé et pourvu d'une commission de l'État, de patentes, lettres de mer, ou lettres de marque.

« L'État», dit M. Portalis, commissaire du gouvernement français près le conseil des prises, en l'an VIII (1799), «est tenu de « défendre la personne et la propriété de tous les citoyens. Delà, « un bâtiment de l'État qui reprend sur l'ennemi un navire fran<< çais, n'exerce qu'un acte de protection qui ne peut acquérir à « la république la propriété de ce navire; aussi nos lois veulent <«< que, dans une telle hypothèse, le navire soit rendu au véritable << propriétaire.

<< Il en est autrement d'un navire français recous sur l'ennemi « par un corsaire particulier; en effet, quand un bâtiment tombe << en la possession de l'ennemi, il est sans retour confisqué par la << nation belligérante; le reprendre c'est faire une véritable con<< quête sur l'ennemi même. Les armateurs se livrant à la course <«< au risque de leur vie et de leur fortune, le législateur a pensé <«< qu'il fallait leur abandonner la propriété du navire de leur na<«<tion, recous sur l'ennemi. »

Si la recousse est opérée à l'occasion d'un bâtiment neutre, par un corsaire particulier, elle ne peut avoir les mêmes résultats pour le propriétaire du bâtiment neutre. En effet, ou le bâtiment neutre avait été capturé par méprise ou en violation de tous les principes reçus, par le bâtiment de la nation belligérante; ou parcequ'il n'avait pas voulu obéir à la semonce pour la visite; ou bien encore il n'avait été arrêté que pour être conduit dans un port afin d'y débarquer la contrebande de guerre qu'il avait

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