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CHAPITRE XXVI.

RUPTURE DE LA PAIX D'AMIENS.

Blocus et système continental. Epoque d'oubli de tous les principes du droit maritime des nations en ce qui concerne les neutres.

(SEPTIEME PHASE.)

La guerre désastreuse, acharnée, sanglante qui durait depuis neuf années et qui avait sapé la prospérité commerciale de toutes les nations, fut enfin suspendue en 1801.

Le 9 février, la paix fut signée à Lunéville, entre la France et l'empire d'Allemagne; le 28 mars, à Florence, entre la France et les Deux-Siciles; le 9 juin, à Badajoz, entre l'Espagne et le Portugal; le 17 juin, entre la Russie et l'Angleterre; le 29 septembre, à Madrid, entre le Portugal et la France; le 1er octobre, un traité préliminaire fut arrêté à Londres, entre la France et la Grande-Bretagne; le 8 du même mois, la France signa un traité de paix avec la Russie, et le 9 avec la Porte Ottomane; enfin, le traité préliminaire dressé à Londres devint le traité définitif de la paix qui fut conclue le 27 mars 1802, à Amiens, entre la France, l'Espagne, la Hollande, d'une part, et la GrandeBretagne, d'autre part.

Ce traité stipule la restitution, sans rançon, des prisonniers de guerre faits, de part et d'autre, depuis le commencement de la guerre, en 1793, la remise des colonies enlevées pendant la durée des hostilités, la cession de quelques territoires, la levée du séquestre mis, de part et d'autre, sur les revenus, créances, etc., des sujets respectifs des parties contractantes, la reconnaissance de la république septinsulaire 1); enfin, l'abandon par l'Angleterre des îles de Malte, Gozzo et Comino à l'Ordre souverain de St.-Jean de Jérusalem, lequel devait continuer à en jouir aux mêmes conditions auxquelles il les possédait avant la guerre; toutes les parties contractantes promirent d'ailleurs par l'article XXI, d'observer, sincèrement et de bonne foi, toutes les stipulations contenues au traité.

1) Iles Joniennes.

Le traité d'Amiens, dit Gérard de Rayneval, a été d'autant plus honorable pour le gouvernement français, qu'il ne pouvait point appuyer ses demandes sur des succès maritimes; si les populations européennes, courbées, depuis aussi longtemps, sous le poids des maux d'une guerre que tant de passions alimentaient, respiraient enfin et jouissaient des bienfaits de la paix, elles le devaient à l'homme éminent, grand capitaine, grand législateur et sage administrateur, qui, au même instant pour ainsi dire, avait détruit la tyrannie intérieure, en s'emparant du pouvoir, au 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799); arrêté la guerre civile en pacifiant la Vendée, ensanglantée par tant de massacres ; | vaincu, au dehors, des ennemis puissants, nombreux, acharnés ; et donné la paix de l'Univers. 1)

1) Et cependant, que de difficultés avait encore à combattre, dans son propre pays, le jeune général premier consul, le sauveur, l'épée et le génie tutélaire de la France, le législateur d'une société aux abois, qu'il retirait de l'abîme! Que de résistances il rencontrait chaque jour, pour faire le bien, de la part de ces hommes qui du haut de la tribune des assemblées délibérantes, parleurs passionnés, avocats ardents de toutes les causes qui font opposition à la politique ou à la marche du gouvernement actuel, apprennent aux masses le mépris pour le principe d'autorité et dótruisent, par la parole, l'ordre que le pouvoir exécutif cherche à faire renaître et à consolider! Combien est petit, en effet, le nombre des hommes dont la parole a eu quelque éclat depuis soixante ans, dans les assemblées législatives, auxquels on pourrait appliquer la définition, si connue, de l'orateur, «vir probus discendi peritus ! » «Le premier consul», dit M. Thiers dans l'Histoire du Consulat et de l'Empire, << voyant la France et l'Europe enchantées de ses œuvres, ne comprenait guère que <«<les seuls improbateurs de ces mêmes œuvres se trouvâssent précisément autour « de lui. Dépité de cette opposition, il appelait les opposants du sénat des idéologues, « menés par un boudeur, qui regrettait l'exercice du pouvoir dont il était incapable; «<il appelait les gens du tribunat des brouillons, auxquels il saurait rompre en visière, «<et prouver qu'on ne l'effrayait pas avec du bruit; il appelait les mécontents plus << ou moins nombreux du corps législatif, les prêtres défroqués, des Jansénistes, « que l'abbé Grégoire, d'accord avec l'abbé Sieyès, cherchait à organiser en oppo<«<sition contre le gouvernement; mais il disait qu'il briserait toutes ces résistances « et qu'on ne l'arrêterait pas facilement dans le bien qu'il voulait accomplir.» (Tome III, Livre XIII, p. 323.)

a

Que voulez-vous faire», s'écriait-il, à l'occasion du rejet par le tribunat et par le corps législatif, du titre préliminaire du Code civil; « avec des gens qui, avant la « discussion, disaient que les conseillers d'État et les consuls n'étaient que des ânes, et << qu'il fallait leur jeter leur ouvrage à la tête? ...... On ne peut rien contre une as« semblée prévenue, qui est résolue à ne rien entendre.» (p. 351.)

« Le premier consul», ajoute M. Thiers, «n'admettait pas que le bien sincèrement a voulu et laborieusement préparé, pût être différé ou gâté, pour plaire à ce qu'il appelait des bavards. » Avait-il tort, dirons nous ? Le parlage de tribune du plus grand nombre de ces hommes à tête vide que nous avons vus figurer dans les chambres législatives, depuis 1814 (au sein desquelles, trop rarement et de loin en loin, on a pu apercevoir et reconnaître le «vir probus discendi peritus », c'est-à-dire l'orateur réellement digne de ce nom, selon Caton); le sentiment de résistance systématique, chez les uns par esprit de parti ou de coterie, par jalousie, par ambition personnelle; chez les autres, par habitude moutonnière, par incapacité, par besoin d'opposition pour se donner une allure d'habile ou de penseur. Enfin, la discussion publique des intérêts du pays remise à des hommes qui généralement parlent bien moins pour les collègues qui les écoutent que pour l'auditoire des tribunes et pour les journaux qui porteront le lendemain leur discours dans tous les départements, mode de faire les affaires du pays plus nuisible qu'utile aux progrès, la tranquilité, au bien être, à la moralisation des populations; telles seront les causes

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Mais dans ce grand acte de pacification générale, il est probable que l'Angleterre ne vit, et n'eût eu vue, qu'un armistice qui lui était nécessaire pour réparer ses pertes et pour ravitailler sa marine; la paix prolongée eut été trop favorable aux intérêts de la France! Une jalousie égoïste étroite et haineuse a, de tout temps, porté la Grande-Bretagne à considérer la France comme une rivale, contre laquelle ses hommes d'État ont toujours été disposés à lancer l'anathème, à l'exemple du vieux romain que l'existence de Carthage préoccupaient sans cesse péniblement : « Delenda est Carthago !»

Lord Chatham ne disait-il pas en 1757: « Point de paix que <«< la France ne signe la destruction de sa marine ! C'est bien << assez qu'on lui permette de cabotage; l'Angleterre doit se réserver << la souveraineté exclusive de l'Océan ! »>

Or, cette parole dans la bouche de ce grand homme d'État, parole remplie d'orgueil, de patriotisme, de haine et de dédain, est l'expression de la pensée secrète ou avouée du plus grand nombre, en Angleterre, mais surtout des hommes chargés de la haute administration du pays, qu'ils soient Tories ou Whigs!

En reconnaissant les progrès que l'industrie française avait faits, malgré les maux qui pesaient sur les populations, la vieille haine britannique reprit toute son énergie et le cabinet de St.James se promit que la paix serait de courte durée.

La guerre fut déclarée en effet par le roi George III, le 8 mars 1803.

De toutes les déclarations de guerre des temps modernes, dit M. Bignon, il n'en est aucune qui ait été plus difficile à justifier que la rupture du traité d'Amiens.

Le cabinet britannique ne se départit pas d'ailleurs de l'usage qu'il avait adopté en 1756 et renouvelé en 1776 (voir chap. IV et VII); les vaisseaux anglais, préalablement avertis par leur gouvernement, capturèrent un grand nombre de navires français avant même que le souverain de la Grande-Bretagne eût fait pressentir le renouvellement prochain des hostilités entre la France et l'Angleterre. 1)

Le gouvernement français dût se préparer à la guerre.

qui feront quelque jour tomber le gouvernement parlementaire en France, où l'on commence, non pas seulement à en être fatigué, mais à comprendre qu'il ne convient ni au caractère mobile et ardent des Français, ni à la société française telle que l'a faite la révolution, en détruisant la noblesse et la grande propriété territoriale que diminue encore chaque jour le partage des patrimoines. (Note de 1849.)

1) Le port de Bordeaux seul perdit de cette sorte, en peu de jours, plus de 50 navires qui se trouvaient en mer sur la foi des traités.

Et cette guerre, pendant laquelle la France fut forcée d'employer, par voie de représailles, les moyens de défense auxquels l'Angleterre avait recours pour l'attaque, vit violer, de la part des deux nations belligérantes, tous les principes du droit maritime, et fut l'origine des mesures les plus exagérées et les plus attentatoires à la liberté du commerce maritime des nations

neutres.

Les conditions, au reste, dans lesquelles se trouvaient les deux Puissances belligérantes à l'égard des non-belligérants n'étaient pas égales par ses traités, et notamment par ceux qu'elle avait signés depuis l'année 1778 (voir chap. VII), la France avait reconnu et consacré les principes les plus favorable à la neutralité; l'Angleterre, au contraire, avait su amener ou contraindre divers. États maritimes, notamment ceux du Nord, par les conventions signées en 1801 et 1802 (voir chap. XXV), à adopter des principes opposés. C'est ainsi, par exemple, que tandis que la France devait respecter les marchandises d'origine anglaise et autres appartenant à des négociants anglais, embarquées sur les navires des nations neutres, l'Angleterre pouvait, aux termes de ses traités les plus récents, faire saisir toutes les propriétés françaises sur les bâtiments neutres et visiter les bâtiments de commerce voyageant sous convoi !

A ces avantages résultant des traités, la Grande-Bretagne ajouta bientôt, de son chef, la presse des matelots étrangers (voir chap. XXVII); et la déclaration de blocus d'une longue ligne de côtes sans y envoyer de vaisseaux de guerre, contrairement à ses traités de 1801.

La neutralité impose aux non-belligérants l'obligation d'agir de la même manière à l'égard des divers belligérants. Wolff a dit, au chap. VIII, § 368 de son ouvrage intitulé Jus gentium : « Qui « neutrarum partium sunt, eorum respectu bellum non est; ipsi « verò utrique belligerantium amici sunt; ....... quod uni praestatur, id praestandum quoque alteri est, si eodem indiget. »

Dans la situation où l'Angleterre se trouvait à l'égard des neutres, elle eut conservé trop d'avantage sur la France, si, de son côté, cette dernière Puissance n'eût pas agi envers le pavillon neutre, par représailles, comme la Grande-Bretagne agissait elle-même.

Les neutres eux-mêmes ne se trouvant pas dans une situation relativement égale, ne pouvaient plus réclamer, avec succès, de la France, les avantages de la neutralité. Par leurs traités avec l'Angleterre, ils avaient à l'avance suspendu les effets de leurs

cas présent toutefois les actes de violence et d'injustice, d'arbitraire et de suprématie tyrannique sur mer de la Grande-Bretagne, pourront jusqu'à un certain point cependant servir d'excuse aux mesures de nécessité qu'adopta la France.

Le gouvernement portugais avait publié, le 3 juin 1803, une déclaration portant que les corsaires des Puissances belligérantes ne seraient point admis dans les ports du royaume, non plus que les prises qui pourraient être faites soit par eux, soit par les vaisseaux de guerre, excepté uniquement dans le cas où le droit des gens rend l'hospitalité indispensablement nécessaire; mais que les prises, dans ce cas, ne sauraient y être vendues, et que, de toute façon, les vaisseaux des nations belligérantes ne pourraient y rester plus longtemps qu'il ne serait nécessaire pour éviter le danger.

Malgré cette déclaration, les corsaires anglais conduisirent leurs prises dans le port de Lisbonne et la marine britannique y insulta un brick français.

L'Espagne, bien que liée avec la France, ne prit point part aux hostilités, aussitôt après la rupture de la paix d'Amiens; elle conserva, pendant quelque temps encore, les avantages de la neutralité; mais, le 5 octobre 1804, une escadre anglaise s'empara, sans déclaration de guerre, de diverses frégates espagnoles voir chap. XI, § 4). L'Espagne déclara la guerre à la GrandeBretagne. 1)

Pendant l'année 1805, ce furent surtout les États-Unis qui eurent à souffrir des exigences de l'Angleterre.

Par les articles XVII et XVIII du traité conclu le 19 novembre 1794, ratifié le 24 juin 1795 (traité déclaré permanent pour les dix premiers articles et qui fixe à douze années la durée des ar

1) Dans cette même année 1804, Lord Melville, qui se trouvait alors à la tête de l'amirauté, eut la pensée de détruire la flottille française de Boulogne, au moyen de brûlots et de machines infernales qui reçurent le nom de Catamarans. Le succès de l'entreprise paraissait tellement certain, que Lord Melville pour être à même de jouir des résultats, sans retard, se transporta à bord du Monarch, monté par l'amiral Keith, qui commandait les forces navales anglaises réunies devant Boulogne, et que le ministre Pitt vint s'établir en observation à Walmer-Castle pour apercevoir du moins quoique de fort loin, l'embrasement de la flottille; mais ni le combat engagé, ni l'explosion des brigs et cutters incendiaires, non plus que celle des Catamarans, n'occasionnèrent de dégats à la flottille française, tant les équipages déployèrent d'activité et d'intelligence pour éloigner ces sinistres machines infernales, et les couler bas. Malheureusement, en 1809, les brûlots anglais exercèrent d'assez grands ravages au sein de la flotte française, dans la rade des Basques. (Voir 1re partie, titre III, § 24.)

La France maritime, dans son 2e volume, publié en 1837, donne une description exacte et étendue des brigs-brûlots, et des Catamarans anglais, ainsi nommés par suite de leur ressemblance avec les radeaux connus sous ce nom dans l'Inde.

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