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M. Portalis, commissaire du gouvernement auprès du conseil des prises, examina la question, en fit l'exposé que nous allons reproduire, et présenta des conclusions qui furent adoptées par le tribunal.

« Le commissaire de S. M. danoise est un agent politique. Dès qu'il est reconnu par le Gouvernement français, il peut incontestablement remplir les fonctions attachées à son mandat; mais peut-il, par des actions ou par des demandes, intervenir dans les contestations particulières, mues entre des négociants français et des négociants de sa nation?

« L'article XIII de l'arrêté du 6 germinal, n'admet que les parties ou leurs défenseurs, qui justifieront préalablement de leurs droits et de leurs pouvoirs.

« Le commissaire danois ne se montre pas pour son intérêt propre, mais comme chargé des intérêts d'autrui; il n'est point partie; il ne prétend exercer que le ministère de défenseur, justifie-t-il de son droit et de son pouvoir ?

« Il est vraisemblable qu'il n'agit qu'en vertu de son titre de commissaire des relations commerciales. Il est possible qu'on l'ait autorisé par ce titre à donner une attention particulière aux contestations dans lesquelles il se dit chargé des intérêts des négociants danois.

<< Mais tout titre que le commissaire danois ne tiendrait que de son Gouvernement, ne saurait le rendre le véritable représentant des parties; au Gouvernement appartient la protection, et aux parties seules la propriété. Un propriétaire peut disposer de son bien, et exercer ses droits par lui-même ou par autrui mais chacun étant arbitre et régulateur de sa propre fortune, il n'est libre à qui que ce soit d'intervenir dans les affaires d'un autre, s'il n'en a reçu de lui le pouvoir. La mission générale donnée au commissaire danois par son Souverain, pour le charger de veiller à l'intérêt des négociants de sa nation, et sur-tout de ceux qui ont essuyé des prises, ne suffirait donc jamais pour établir ce commissaire mandataire proprement dit de chacun de ces négociants. Dans les principes du droit politique, la mission du commissaire danois est essentiellement limitée aux bons offices d'un protecteur qui recommande, et ne s'étend pas aux actes d'un fondé de pouvoir qui régit ou qui dispose.

« Je conviens qu'un droit plus ancien et plus sacré que le droit politique, je veux dire le droit social, autorise tout homme à suivre les affaires d'un absent qui ne connaît pas sa situation personnelle, et qui a besoin des secours spontanés de cette bienveillance naturelle, dont le germe n'a pu être entièrement étouffé par nos vices, et dont le droit civil est de sanctionner les effets.

<< Il a été reconnu dans tous les temps, et chez tous les peuples policés, qu'un homme, à l'insu de son semblable, peut lui faire du bien, et que, s'il n'est jamais permis de faire le préjudice d'un autre, il l'est toujours de contribuer à son avantage, quoiqu'il n'en ait pas donné le mandat.

« Le commissaire danois, à défaut de tout mandat particulier ou spécial, pourrait peut-être se prévaloir de ces principes, pour justifier les

démarches qu'il fait auprès du conseil des prises dans la cause ou dans l'affaire de ses compatriotes absents. Qui les défendra, s'il ne les défend pas, et si, par leur éloignement, ou par d'autres circonstances, ils sont dans l'impossibilité de se défendre eux-mêmes ?

<< Cependant, comme dans l'état de nos sociétés, il importe au maintien de l'ordre public et de la tranquillité, ainsi qu'à la sûreté des particuliers, que les actions en justice ne soient pas populaires, il est de maxime constante et universelle que l'intérêt seul est le principe de l'action, et qu'il faut être partie, ou muni d'un pouvoir de la partie, pour pouvoir intervenir dans un litige. On a cru qu'il était nécessaire de prévenir les incursions dangereuses que des esprits entreprenants ou inquiets peuvent faire dans les choses qui ne les concernent pas. On a cru encore que, pour arrêter les indiscrétions d'un faux zèle, il était utile de prescrire des limites à la bienfaisance même.

<<< Mais on a établi, près toutes les administrations et tous les tribunaux, un ministère public, connu aujourd'hui en France sous le nom de commissaire du Gouvernement, qui est le défenseur né de tous ceux qui n'en ont point, qui est partie principale dans les affaires importantes, et partie jointe dans toutes. Cette instruction admirable qui manquait aux anciens, est une barrière contre les surprises, les dénis de justice, les violences et les abus: la partie publique agit, et tous les droits sont conservés; elle veille, et tous les citoyens sont tranquilles ; elle exerce toutes les actions du public; elle représente les absents; et, parmi nous, une de ses principales fonctions, selon le témoignage de d'Aguesseau, est de faciliter l'accès de la justice aux étrangers, de proposer leur défense, de leur offrir un appui, et de se rendre à leur égard le garant de la loyauté nationale.

<< Le commissaire danois ne doit donc pas s'alarmer, si je réclame les règles qui ne permettent qu'aux parties, ou à leurs fondés de pouvoirs, d'exercer des actions et de former des demandes. L'intérêt de protection qu'il doit à ses compatriotes, suffit pour l'autoriser à éclairer la Religion des membres du conseil, par des notes, par des instructions, par des mémoires. Jamais on ne doit dédaigner les moyens de connaître la vérité; de quelque part qu'elle vienne, elle a des droits sur l'esprit et sur le cœur des hommes.

« Le commissaire danois peut donc recommander et instruire; il peut, par le devoir de sa place, protéger indéfiniment les négociants de sa nation. Mais pour pouvoir agir plus particulièrement dans les contestations pendantes entre les négociants de sa nation et les négociants français, il aurait besoin d'un pouvoir spécial de la partie ou des parties au nom desquelles il agirait.

<< Le procureur fondé de plusieurs parties doit agir séparément dans chaque cause, pour l'intérêt de chaque client, et ne pas cumuler, par des demandes in globo, des intérêts divers qui ne se ressemblent souvent pas, et qui exigent chacun un examen séparé, et une énonciation distincte.

« Je conclus donc à ce qu'il soit dit n'y avoir lieu de prononcer sur la demande du commissaire-général danois dans les contestations par

ticulières mues entre les négociants de sa nation et ceux de la France, sauf à lui à fournir au commissaire du Gouvernement près le conseil, telles notes ou tels mémoires qu'il jugera utiles à l'intérêt desdits négociants de sa nation. >>

Le conseil a adopté ces conclusions, et décidé comme principe général, qu'un commissaire des relations commerciales, étranger, reconnu par le gouvernement français, ne peut point, à ce titre, et en vertu de son mandat seul, comme agent politique, intervenir dans des contestations particulières, mues entre les négociants français et étrangers, faire des demandes et intenter des actions au nom des sujets de son souverain et pour eux.

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Dans l'année 1806, les autorités locales des ports de Marseille et d'Anvers, crurent devoir intervenir les premières à l'occasion d'une rixe qui eut lieu dans le canot du navire américain le Newton, entre deux matelots du même navire; les secondes, à l'occasion d'une blessure grave faite par le capitaine en second du navire le Sully, à l'un des matelots du bord.

Les consuls américains protestèrent contre l'intervention de l'autorité française et réclamèrent contre l'atteinte portée à leurs prérogatives.

La question fut soumise au conseil d'État. L'avis donné, dans la séance du 28 octobre 1806, par cet illustre corps, qui comptait parmi ses membres les plus savants jurisconsultes, présente de trop précieux enseignements pour ne pas être reproduit en entier ; cet avis, auquel l'empereur Napoléon a donné son approbation le 20 novembre suivant, forme encore la jurisprudence de la France dans l'espèce.

« Le conseil d'État, qui d'après le renvoi à lui fait par Sa Majesté, a entendu le rapport de la section de législation sur celui du grand-juge ministre de la justice, tendant à régler les limites de la juridiction que les consuls des États-Unis d'Amérique, aux ports de Marseille et d’Anvers, réclament, par rapport aux délits commis à bord des vaisseaux de leur nation étant dans les ports et rades de France;

<< Considérant qu'un vaisseau neutre ne peut être indéfiniment considéré comme lieu neutre, et que la protection qui lui est accordée dans les ports français, ne saurait dessaisir la juridiction territoriale, pour tout ce qui touche aux intérêts de l'État;

« Qu'ainsi le vaisseau neutre admis dans un port de l'État est de plein droit soumis aux lois de police qui régissent le lieu où il est reçu ;

« Que les gens de son équipage sont également justiciables des tribunaux du pays, pour les délits qu'ils y commettraient, même à bord, envers des personnes étrangères à l'équipage, ainsi que pour les conventions civiles qu'ils pourraient faire avec elles ;

<«< Mais que si jusque-là la juridiction territoriale est hors de doute, il n'en est pas ainsi à l'égard des délits qui se commettent à bord du vaisseau neutre de la part d'un homme de l'équipage neutre envers un autre homme du même équipage;

« Qu'en ce cas, les droits de la Puissance neutre doivent être respectés, comme s'agissant de la discipline intérieure du vaisseau, dans laquelle l'autorité locale ne doit pas s'ingérer, toutes les fois que son secours n'est pas réclamé, ou que la tranquillité du port n'est pas compromise;

<«< Est d'avis que cette distinction, indiquée par le rapport du grandjuge et conforme à l'usage, est la seule règle qu'il convienne de suivre en cette matière ;

<<< Et appliquant cette doctrine aux deux espèces particulières pour lesquelles ont réclamé les consuls des États-Unis ;

<< Considérant que, dans l'une de ces affaires, il s'agit d'une rixe passée dans le canot du navire américain le Newton, entre deux matelots du même navire, et dans l'autre, d'une blessure grave faite par le capitaine en second du navire le Sully, à l'un de ses matelots, pour avoir disposé du canot sans son ordre;

« Est d'avis qu'il y a lieu d'accueillir la réclamation, et d'interdire aux tribunaux français la connaissance des deux affaires précitées. << Approuvé au quartier général impérial de Berlin, le 20 novembre 1806. Signé NAPOLÉON. »

§ 8.
Affaire d'attributions.

M. Beasley, consul des États-Unis d'Amérique au Havre, ayant jugé à propos d'exercer, à l'égard de ses compatriotes, quelquesunes des fonctions attribuées aux courtiers-interprètes, ceux-ci lui intentèrent un procès, ainsi qu'au capitaine américain Covel.

Le jugement du tribunal correctionnel du Havre, rendu le 26 août 1818, condamna le consulat américain; le jugement fut réformé par la cour royale de Rouen, le 30 novembre suivant.

Une difficulté de même nature s'est présentée également, à la même époque, entre le consulat de Suède à l'île de Rhé et les courtiers-interprètes de la localité.

Ces deux affaires donnèrent lieu à diverses lettres du ministre des affaires étrangères. Celle qui fut écrite, le 25 mai 1849, à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, doit être conser

vée; en même temps qu'elle présente un exposé clair de ces deux affaires, elle renferme des observations et des points de doctrine qui intéressent vivement le service consulaire, et, par cela même, dirons-nous, le droit maritime lui-même.

Lettre écrite par S. E. le ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères de France, à S. E. M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

<< Paris, le 25 mai 1819.

<< Mons. le garde des sceaux! Au mois de juillet dernier les courtiers-interprètes du Hâvre intentèrent un procès devant le tribunal correctionnel de cette ville, contre le S' Covel, capitaine américain, Taylor, chancelier du consulat des États-Unis, et Touret, secrétaire du consul, pour raison de contravention aux lois relatives aux fonctions des courtiers-interprètes.

<< M. Beasley, consul des États-Unis au Hâvre, voulut intervenir au procès, déclarant prendre fait et cause pour les Srs Taylor et Touret, qui avaient agi par ses ordres.

« Le tribunal correctionnel du Hâvre rendit, le 26 août, un jugement où, en refusant d'admettre l'intervention du consul, il fut fait défense aux Srs Taylor et Touret d'immiscer à l'avenir dans les fonctions des courtiers, les condamne aux frais et dépens et les met hors de cause.

« Le consul et les S's Taylor et Touret ont appelé de ce jugement, devant la cour royale de Rouen, qui, par arrêt du 30 novembre, réforme le jugement du tribunal du Hâvre, pour raison d'incompétence, admet l'intervention dans la cause du consul américain et le renvoie, ainsi que les S's Taylor et Touret, devant l'autorité compétente, pour y faire statuer, sur les questions suivantes :

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<< 4° Si M. Beasley, en sa qualité de consul des États-Unis, au Havre, a le droit d'exercer, à l'égard des gens de sa nation, les fonctions de courtiers-interprètes, conducteurs de navires, concurremment avec ceux nommés par le gouvernement français ?

« 2o Si, dans le cas de l'affirmative, ce consul a le droit de déléguer ces fonctions à son chancelier, à son secrétaire ou à tous autres ?

« L'arrêt dispose, de plus, que les parties seront tenues de justifier de la décision, à intervenir dans le délai de trois mois, faute de quoi les poursuites seront reprises.

« Cet arrêt a été attaqué en cassation, par les courtiers-interprètes ; mais la cour a rejeté le pourvoi le 26 mars dernier.

<< En ce moment, M. le ministre plénipotentiaire des États-Unis réclame auprès de moi, la décision exigée par la cour royale de Rouen et qui doit être produite par le consul, d'ici au 26 juin, terme de l'expiration du délai à compter du 26 mars, date de l'arrêt de la cour de cassation.

« Le ministère de V. E. a été informé par plusieurs lettres, que lui adressa mon prédecesseur, au mois d'août de l'année dernière, des

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