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les mêmes excuses à M. le consul général, par un de ses fils ou gendre, quand cet officier viendra prendre possession de son poste. »> 1)

Protection consulaire.

§ 15.

Refus fait à Tripoli de livrer deux Français réclamés par le consul général de leur nation.

Chargés de maintenir et d'étendre la protection de leur souverain sur ses sujets à l'étranger, les consuls et consuls généraux, agents politiques et diplomatiques du prince qui les a institués, doivent, au nom de celui-ci, réclamer en faveur de ses nationaux, la protection du droit des gens et des lois territoriales.

C'est dans les pays musulmans, où tant de préjugés, quelquefois même de haine contre les Chrétiens existent que la protection consulaire est surtout essentielle.

Voici un fait qui a failli causer la ruine de Tripoli, car si l'obstination du Bey de Tripoli eut persisté, l'escadre française se voyait dans l'obligation d'ouvrir le feu sur cette ville.

Deux déserteurs français travaillaient depuis quelque temps comme maréchaux-ferrants au quartier de la cavalerie des troupes turques à Tripoli de Barbarie. L'officier supérieur qui commande cette cavalerie, voulant les lier d'une manière indissoluble au service ottoman, les engagea plusieurs fois, mais sans succès, à embrasser l'Islamisme. Ses obsessions devinrent plus vives et plus importunes à l'époque du Ramadan, jeûne qu'on leur fit observer par force. Ces hommes, craignant des violences extrêmes, se décidèrent à aller faire leur soumission au consulat général de France, préférant subir dans leur pays toutes les conséquences d'une première faute que d'abandonner leur Religion.

Un seul put exécuter ce dessein et se placer à l'abri du drapeau national; il vint faire sa soumission au consul, acte qui le remettait sous l'empire des lois françaises et devait lui assurer leur protection. -L'autre déserteur français, arrêté par les Turcs avant d'avoir pu atteindre l'asile consulaire, fut horriblement bâtonné, puis jeté en prison. M. Pellissier, consul général de France à Tripoli, le réclama en vain; les Turcs se refusèrent à le rendre. Bien plus, son compagnon ayant eu l'imprudence de s'éloigner seul du consulat pour faire ses adieux à un Maltais de sa connaissance, au moment même où le représentant de la nation française allait

1) Voir chap. XXXIII, § 2.

le faire embarquer pour Marseille, fut atteint par une cinquantaine de Turcs qui se jetèrent sur lui et l'entraînèrent avec rapidité en l'accablant de tant de coups que les Chrétiens du pays le crurent mort. M. Pélissier, dont la fermeté de caractère est connue par beaucoup d'honorables antécédents, protesta contre ce deuxième attentat avec beaucoup plus d'énergie encore que pour le premier. Cependant, il ne put en obtenir la réparation.

Cette affaire était grave et pouvait prendre de sérieux développements. L'indignation de la population chrétienne était d'autant plus grande que les Turcs avaient repoussé un respectable ecclésiastique, le Père Angelo, préfet apostolique, qui voulait porter les secours de la Religion au Français détenu.

Le consul général de France s'est vu dans l'obligation, à la suite des refus successifs opposés à ses réclamations, d'interrompre toutes relations avec le gouvernement de la régence.

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La violation du droit des gens était trop manifeste pour que le gouvernement français la tolérât; certes, deux hommes qui ont abandonné leur drapeau, qui ont quitté leur pays pour se soustraire aux obligations imposées à tous les citoyens par la loi, semblent bien peu mériter que la France expédie une escadre, que des hostilités soient commencé, qui sans aucun doute doivent avoir des suites désastreuses pour un grand nombre de familles ; mais ces déserteurs, on a voulu les contraindre à abjurer leur Religion et à se faire Musulmans, et les réclamations faites en leur faveur par le consul général, le représentant de la France à Tripoli, ont été repoussées par l'autorité turque, laquelle n'est intervenue dans cette affaire que pour mettre les deux Français en prison et les y retenir malgré qu'ils fussent placés sous la protection du consul général et malgré les protestations énergiques de ce haut fonctionnaire diplomatique, l'organe officiel de la France.

En conséquence, le 20 juillet 1852, l'escadre d'évolutions de la Méditerranée reçut l'ordre de faire voile de Toulon et de se rendre à Tripoli, pour se faire rendre les deux Français retenus dans les prisons, ou, sur le refus des autorités, pour détruire la ville

Un journal anglais fort répandu, le Morning-Herald, a rendu compte de l'arrivée de l'escadre française devant Tripoli, et des conférences qui eurent lieu entre les divers représentants des Puissances étrangères; voici sa relation :

<< L'escadre prit position autour des murs de la ville. Elle formait un cordon de la nature la plus imposante. (Forming a cordon of the most imposing nature.)

CUSSY. II.

22

<< Dans l'après-midi, le consul de France envoya son ultimatum, à savoir que si les hommes n'étaient pas rendus le 29, au lever du soleil, à bord de la frégate de l'amiral de la Susse, on aurait recours à la force.

« Le 28, à six heures et demie du soir, le consul de France adressa une circulaire à ses collègues, annonçant l'intention de recourir à la force le lendemain matin, et leur offrant un asile ainsi qu'à leurs nationaux, à bord de l'escadre. Les consuls d'Angleterre, d'Amérique et de Hollande n'approuvant pas la conduite du consul de France, et regardant comme trop bref le délai accordé pour adopter des mesures de sécurité et de protection pour leurs nationaux, ouvrirent à ce sujet une correspondance avec l'amiral et le consul.

<< Pendant qu'ils s'occupaient de ce soin, ils furent visités par les consuls d'Espagne, d'Autriche, de Naples et de Toscane, qui, très-intimidés, demandaient que les trois consuls d'Angleterre, d'Amérique et de Hollande se réunissent à eux pour se rendre auprès des autorités et obtenir que les hommes fussent livrés et que la ville fût sauvée.

« Après quelques moments, le consul d'Amérique leur dit : « Je conviens avec vous que l'escadre française peut réduire cette << ville en poudre en une demi-heure. Mais dussé je être sûr << qu'elle envoyât la ville et toutes les âmes qui s'y trouvent, dans << les plus basses profondeurs de l'abime, je ne conseillerais pas << au gouverneur de livrer les hommes. >>

« Les agents consulaires n'insistèrent pas.

« Au lever du soleil, le 29, les hommes n'étaient pas rendus. Le consul amena son pavillon et il se rendit à bord des navires avec sa famille et les Français. A ce moment, un message fut envoyé par le gouverneur aux consuls étrangers, les priant de venir conférer au palais sur l'état des choses. Les consuls s'y rendirent. Le mudir ouvrit la conférence par un récit succinct des faits.

« Le pacha, avant de se rendre à Benegazi, a positivement refusé l'extradition des deux hommes. Ces hommes ont renoncé à la qualité de sujets français pour passer sous la domination ottomane, longtemps avant d'avoir été réclamés par le consul; maintenant ils ne veulent pas être livrés au consul; ils sont en liberté dans les rues; ils auraient pu se rendre auprès du consul ou de l'escadre s'ils l'avaient voulu. Le gouvernement est très-opposé à la reddition de ces hommes.

« Le mudir ajouta que le délai donné pour leur délivrance

à bord était expiré, et que l'on s'attendait à une attaque immédiate de l'escadre. La ville est tout à fait hors d'état de se défendre contre ces forces, et en cas d'attaque sa destruction est inévitable : la population, en conséquence, a supplié le gouvernement de livrer les hommes, comme seul moyen d'éviter ces désastreuses conséquences. Le gouverneur termina en disant : « Dans ces circon<< stances, je vous demande votre avis. »><

« Les divers consuls opinèrent différemment, on ne connaît pas positivement leur sentiment. Le consul des États-Unis (avec qui ceux d'Angleterre et de Hollande ont marché de concert dans cette affaire), s'exprima ainsi : « Il m'est impossible, dans aucun cas, « de conseiller de livrer de force un homme qui a adopté un pays « pour le sien, et qui a prêté serment de fidélité dans ce pays. « Je suis entièrement d'avis qu'une attaque aura lieu si les hommes << ne sont pas livrés, et que la ville sera probablement démolie. « Mais un grand principe est impliqué dans cette affaire, et c'est << une question digne du plus sérieux examen que celle de savoir <«< si le principe de doit pas être préféré àlaville. Pour moi et ma << sûreté personnelle, il m'a été offert un asile à bord des navires de « l'escadre, mais je regarde comme un devoir de rester à mon « poste et d'attendre tout ce qui pourra advenir. D'autre part, les << souffrances qui seront le partage d'une population inoffensive, << en cas de bombardement de la ville, doivent être d'un grand << poids auprès de ceux qui décideront la question. Tout en ne « pouvant pas assumer la responsabilité de conseiller la délivrance << ou la non-délivrance des hommes, dans toutes les circonstances, « j'engagerais les autorités, si elles se décident à les livrer, à ne « le faire que sous une protestation solennelle et par écrit, spé<< cifiant les raisons qui les ont déterminées à agir, et réservant << nettement le principe par elles maintenu dans le commencement; <«< elles ajouteraient que la ville étant hors d'état d'être défendue <«< contre la force qui la menace, les autorités ont cédé aux inspi« rations de l'humanité. Ce conseil a été adopté : les hommes ont « été livrés, sous protestation; les autorités ont déclaré céder à « des forces supérieures, laissant la question de droit à la solu«<tion des gouvernements de Turquie et de France. »

En donnant place dans ses colonnes à la relation du MorningHerald, le journal français l'Assemblée nationale l'accompagne des réflexions suivantes :

<< La relation du Morning-Herald est toute favorable aux autorités musulmanes, et suivant un usage auquel ce journal et ses confrères de Londres ne manquent jamais en aucune occasion,

elle est en outre injurieuse pour le clergé catholique. Ce seraient, d'après le Morning-Herald, des prêtres catholiques qui auraient entraîné les deux déserteurs à abandonner le service turc, dans lequel ils se trouvaient parfaitement heureux, et à réclamer la protection du consul de France.

« Comme de raison, il n'est nullement question dans ce récit des horribles traitements que ces malheureux ont soufferts. Tout au contraire, leurs bourreaux sont presque présentés comme des victimes sacrifiées aux injustes exigences du consul et de l'amiral français.

« Une relation aussi évidemment mensongère et calomnieuse n'a pas besoin d'être refutée, mais elle mérite d'être connue en ce qui concerne le rôle qu'auraient joué, dans cette affaire, les représentants de certaines Puissances étrangères. »

On verra, plus loin, que la relation du Morning-Herald a donné lieu à diverses rectifications de la part du gouvernement français.

En annonçant au public français les mesures prises par le gouvernement du prince Louis Napoléon, et les résultats obtenus, le Moniteur, journal officiel, dit en terminant:

« Le 28, à une heure après midi, l'escadre française mouillait devant la place. Aussitôt le concert s'établit entre le commandant en chef et le consul général. Le pacha était parti pour l'intérieur de la régence dès le commencement de l'affaire. Sommation fut faite immédiatement au mudir commandant la place de rendre les prisonniers avant le lendemain 29, au lever du soleil pour tout délai. Le 29, à sept heures du matin, aucune réponse n'ayant été faite, le consul général amena son pavillon et se retira à bord du vaisseau amiral, suivi de plusieurs familles chrétiennes de diverses nations qui furent recueillies sur les bâtiments de l'escadre. Les navires de commerce mouillés dans le port se halèrent au large, hors de portée.

<«< L'escadre allait ouvrir le feu immédiatement après une dernière sommation adressée au mudir, lorsqu'à neuf heures du matin, le commandant en chef fut informé que les deux déserteurs allaient être rendus. A quatre heures, un agent du mudir les amenait à bord de l'amiral.

« Le 30 juillet au matin, l'escadre prenait le large.

« Si la régence de Tripoli n'avait pas immédiatement accordé la satisfaction exigée, notre escadre aurait fait prévaloir, par la force, les légitimes réclamations de la France. »

A la nouvelle de ce qui se passait à Tripoli, le gouvernement du Sultan fit partir deux bâtiments de guerre portant l'ordre au Bey

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