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Les conférences avaient lieu, pendant la nuit, dans l'église du convent des Bernardins, à Paris; elles se renouvelèrent, plusieurs fois dans le courant de l'année 1742.

Ces conférences restèrent sans résultat : le cardinal de Fleury avait négligé la marine militaire de la France, et redoutait une guerre maritime contre l'Angleterre. Le cardinal qui hésitait toujours quand il fallait prendre une résolution énergique, fut effrayé à la pensée des conséquences qui pouvaient résulter pour la France d'une guerre contre l'Angleterre ; il se laissa encore aller, en cette circonstance, au système de temporisation et de lenteur qui lui était habituel; c'est ainsi que la France arriva jusqu'à la mort du cardinal, qui la gouvernait et dirigeait sa politique, sans que la guerre eût été déclarée à l'Angleterre. 1)

La guerre n'eut lieu, en effet, qu'en 1744; on reprit alors le projet qu'avait eu le cardinal de Fleury, en 1741, d'envoyer le prince Charles-Edouard en Ecosse; voici à quelle occasion.

Depuis deux ans, une flotte anglaise de 52 voiles, sous les ordres de l'amiral Mathéus 2), semblait avoir placé en état de blocus les côtes de la Provence, et retenait, de cette sorte, dans le port de Toulon, l'escadre espagnole de l'amiral Don Joseph Navarro, qui avait été chargée de porter des troupes en Italie. Louis XV indigné de l'audace des Anglais, et n'ayant plus le cardinal de Fleury pour l'appaiser et suspendre l'exécution d'une détermination hardie, donna l'ordre au Marquis de Court, lieutenant général des armées navales, d'armer une escadre de 14 vaisseaux de ligne, 14 frégates et 3 brûlots, de prendre la mer avec l'escadre espagnole, et de combattre l'amiral Mathéus 3), s'il s'opposait au passage des deux escadres, lesquelles présentaient réunies le nombre de 26 vaisseaux de ligne et de 14 frégates à opposer aux 52 bâtiments de l'amiral anglais. Le combat s'engagea le 22 février 1744; la supériorité du nombre n'assura pas le succès à la flotte britannique. Le combat dura toute la journée; les deux escadres combinées, sorties sans pertes d'un combat où les forces opposées étaient aussi inégales, conduisirent sur les côtes d'Italie les approvisionnements et les renforts de guerre dont avait besoin l'armée espagnole, tandis que l'amiral anglais se vit dans la nécessité de gagner Mahon, pour y réparer

dinal de Fleury, qui, en plusieurs circonstances délicates, le chargea de missions de confiance. Le baron Marc Antoine de Cornot de Cussy (ayeul de l'auteur des Causes célèbres du droit maritime des nations) est mort en 1788.

1) Le cardinal de Fleury mourut le 29 janvier 1743.

2) et 3) ou Matthews.

et ravitailler plusieurs de ses vaisseaux qui avaient été fort maltraités.

Au moment où ceci se passait, les forces navales de l'Angleterre étaient dispersées dans les mers d'Asie et d'Amérique et dans la Méditerranée; les troupes de terre étaient répandues dans les Pays-Bas. L'occasion d'effectuer avec succès une descente en Angleterre, parut favorable à Louis XV; le roi comptait d'ailleurs beaucoup sur l'effet que devait produire la présence du prince Charles-Edouard qui devait accompagner le comte de Saxe, chargé de l'expédition. Malheureusement, la flotte française, placée sous les ordres du comte de Roquefeuil, fut assaillie, en sortant de Brest, par de forts coups de vent et une violente tempête qui la rejeta sur les côtes de la France.

On sait que le prince Charles-Edouard, n'ayant pu obtenir que Louis XV ordonnât un nouvel armement, résolut, dès l'année suivante, de tenter seul la fortune. Conduit en Ecosse par des armateurs de Nantes, il jeta l'ancre, le 19 juillet 1745, dans le Lochnanaugh; il réunit bientôt un grand nombre de partisans, battit le général Cope et gagna la bataille de Falkirk; mais il perdit, contre le duc de Cumberland, la bataille de Culloden 1); vaincu et voyant le parti Jacobite dispersé, il revint en France.

Les malheurs du prince Charles-Edouard doivent rester en dehors de notre travail; nous n'avons tracé les lignes qui précèdent qu'afin de compléter le tableau des événements militaires qui résultèrent, pour la France, de l'appui qu'elle donna à l'Espagne après la prise de Porto-Bello, par l'amiral Vernon, et surtout de l'ordre émané de l'initiative de Louis XV, transmis au Marquis de Court, d'attaquer l'amiral anglais Mathéus ou Matthews dans le but de favoriser le départ, pour les côtes d'Italie, de l'escadre espagnole, tenue en état de blocus, depuis deux ans, dans le port de Toulon, par une flotte anglaise. 2)

Pendant les trois années qui s'écoulèrent depuis le jour où, sans rompre la paix avec l'Angleterre, le cardinal de Fleury se décida à faire partir, pour les côtes de l'Amérique espagnole, la flotte placée sous le commandement du Marquis d'Antin, jusqu'au départ, en 1744, de la flotte chargée de conduire en Ecosse le prince Charles-Edouard, les Anglais violèrent le droit des gens, à l'égard de la France, en deux circonstances remarquables : en attaquant, au mois de janvier 1741, quatre bâtiments placés sous

1) 27 avril 1746.

2) Voir les notes à la fin du volume.

CUSSY. II.

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les ordres du chevalier d'Epinai, feignant de les prendre pour quatre bâtiments espagnols; en attaquant, dans le mois d'août de la même année, les vaisseaux français la Borée, l'Eguillon et la Flore; ne pourrait-on pas dire aussi, en tenant bloquée dans le port de Toulon, pendant deux années, la flotte espagnole ? Dans ces trois circonstances, la marine française eut l'occasion de signaler son courage, et l'avantage lui resta. 1)

Si le cardinal de Fleury n'eut pas négligé, comme il le fit, la marine de la France, il n'est pas douteux que le roi Louis XV n'eût obtenu sur mer des avantages semblables à ceux qu'il obtint pendant la durée de la guerre continentale 2). La France ne possédait, à cette époque, que 35 vaisseaux de ligne; toutefois, si la marine française eut à subir quelques échecs (notamment dans les parages de la Martinique, où le commodore Toushend battit quatre vaisseau français qui escortaient 30 navires de la marine commerciale), l'honneur du pavillon français fut maintenu, avec gloire, en plusieurs circonstances. C'est ainsi que le capitaine de vaisseau Macnemara, qui commandait l'Invincible, soutint une lutte acharnée contre quatre vaisseaux anglais, et parvint à sauver les bâtiments du commerce qu'il était chargé de convoyer; c'est ainsi encore que M. de la Bourdonnais, gouverneur de l'île Bourbon, après avoir dispersé la flotte anglaise de l'amiral Peyton 3), s'empara de Madras (voir chap. II, § 4); que M. Dubois de la Motte, qui en 1746 escortait une flotte marchande avec le vaisseau de ligne le Magnanime et la frégate l'Etoile, mit en fuite quatre vaisseaux de guerre anglais, et arriva, sans aucune perte, à sa destination; que le commodore Mitchel fuit devant une escadre française, sous les ordres du Marquis de Conflans, qui s'empara du bâtiment anglais le Severn, de 50 canons; déjà, le 19 mai 1744, M. de Conflans, commandant du navire le Content, avait partagé la gloire du capitaine Périer, commandant le Mars, en contribuant à la prise du Northumberland, de 70 canons.

1) Ne devons-nous pas également faire mention de l'enlèvement, contre le droit des gens, d'un ambassadeur? Le 20 décembre 1744, le Maréchal de Belle-Isle, chargé par le roi Louis XV d'une mission auprès du roi de Prusse, et traversant un territoire dépendant de l'Electorat de Hanovre, fut arrêté et conduit, avec son frère, au château de Windsor, en Angleterre, où il fut retenu prisonnier pendant huit mois.

2) Il serait trop long de reproduire tous les noms des villes et citadelles, prises par les armées françaises en Flandre, dans les Pays-Bas, en Hollande, en Piémont, en Italie; nous nous bornerons à nommer Courtrai, Menin, Ypres, Gand, Bruges, Oudenarde, Louvain, Anvers, Mons, Bruxelles, Charleroi, Namur, Borg-op-Soom, Maestricht, la Zélande envahie, etc.; en Italie: Nice, Montalban, Château-Dauphin, Cassal, Asti, Alexandrie, Parme, Plaisance, etc.; et à frappeler les batailles de Fontenoi, Rocoux et Laufeld.

*) Voltaire donne le nom de Barnet à l'amiral anglais.

La paix générale conclue à Aix-la-Chapelle, en 1748, mit fin aux hostilités sur terre et sur mer. La paix dura moins de huit années; elle fut encore rompue, sans déclaration préalable de la part de l'Angleterre. (Voir chap. IV guerre de sept ans.)

§ 5.

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Une escadre anglaise de quatre frégates, commandée par le commodore Moore, rencontra, le 5 octobre 1804, à la hauteur du Cap Ste.-Marie, quatre frégates espagnoles venant de Rio de la Plata, en destination de Cadix, chargées des trésors que l'Espagne retirait encore, à cette époque, de ses colonies de l'Amérique du Sud. Le commodore envoya un officier à bord des bâtiments espagnols, pour informer le contre-amiral de S. M. catholique qu'il avait ordre d'arrêter tout bâtiment, à bord duquel de l'or et de l'argent étaient embarqués, attendu que l'or et l'argent faisaient partie des articles de contrebande de guerre.

Ceci se passait en pleine paix entre l'Espagne et la GrandeBretagne, et les vaisseaux espagnols portaient le pavillon de la marine militaire !

En effet, bien que la violation du traité d'Amiens (chap. XXVI) par l'Angleterre, obligeât l'Espagne à faire cause commune avec la France, l'empereur Napoléon avait consenti cependant à la neutralité de cette Puissance. (Voir chap. II, § 4.)

L'Angleterre, de son côté, avait respecté jusque là la neutralité de l'Espagne; les armateurs anglais trouvaient à faire des profits assez abondants, en attaquant les bâtiments français et hollandais ......!

Doit-on admettre comme fondée l'opinion d'un écrivain de l'époque, que le cabinet britannique ne se décida à rompre avec l'Espagne, que lorsqu'il crût nécessaire d'accroître l'ardeur des corsaires anglais, en leur offrant une nouvelle proie? Ce qui parait certain, c'est que des lettres de marque avaient été délivrées, à cet effet, à Londres, plusieurs mois avant la rupture avec l'Espagne, et qu'on en parlait publiquement à la bourse et dans les salons, tant on était habitué, en Angleterre, à voir le cabinet britannique disposé à entraîner l'Espagne dans les guerres qu'il suscitait à la France, pour se donner le droit de frapper cette Puissance dans ses riches colonies de l'Amérique méridionale.

Le contre-amiral espagnol sachant son souverain en paix avec le roi de la Grande-Bretagne, devait se croire à l'abri de toute attaque de la part du commodore Moore; il refusa donc de se

soumettre aux prétentions que cet officier général venait de lui faire exprimer.

Le commodore fit, en conséquence, tirer un coup de canon à boulet sur le bâtiment amiral espagnol; le combat s'engagea. Après une lutte terrible, de part et d'autre, une frégate espagnole sauta; les trois autres, après avoir été désemparées, furent obligées de se rendre. Le commodore Moore les conduisit à Portsmouth.

« Cette prise», dit le Morning Post du 19 octobre 1804, «< fut <<< estimée à trente millions 1), qui furent promenés avec pompe << dans les rues de Londres, comme trophées. » L'escadre qui fut chargée de cette agression inouie, était dépêchée depuis plus d'un mois, avec des ordres cachetés !

<< Cet acte odieux », dit M. Thiers (Livre XXI de l'Histoire du Consulat et de l'Empire), « excita l'indignation de l'Espagne, et le << blâme de l'Europe. Sans hésiter, Charles IV déclara la guerre « à l'Angleterre. Il ordonna, en même temps, l'arrestation des « Anglais, saisis sur le sol de la Péninsule, et le séquestre de toutes <«<leurs propriétés, pour répondre des biens et des personnes des << commerçants espagnols. 2)

«Ainsi, malgré sa nonchalance, malgré les habiles ménage<«<ments de la France, la cour d'Espagne se trouvait forcément « entraînée à la guerre par les violences maritimes de l'Angle

<< terre. >>>

M. Thiers n'hésite pas à dire, en parlant de l'arrestation des frégates espagnoles par la marine anglaise, en vue de s'emparer de l'or expédié du Mexique pour les côtes d'Espagne, que ce fait peut-être qualifié, sans injustice, de véritable piraterie. 3)

Le cabinet espagnol, décidé à se joindre à la France, dans la guerre maritime contre la Grande-Bretagne, fit partir l'amiral

1) La somme enlevée était de 12 millions de piastres, ou 60 millions de francs. 2) Au reste, cet acte de piraterie, auquel l'Espagne ne devait s'attendre en aucune façon, n'a été que la reproduction du mode en usage dans le cabinet anglais, de déclarer la guerre, ainsi que le démontrent les faits qui font l'objet des §§ 1 à 4 de ce chapitre, sa conduite au début de la guerre de sept ans (chap. IV), et la rupture de la paix d'Amiens (chap. XXVI). Mais si le cabinet de Madrid ne pouvait s'arrêter à la pensée, que le cabinet anglais donnerait des ordres tels que ceux que reçut le commodore Moore, quand M. Pitt entretenait une légation auprès de S. M. catholique, il pouvait toutefois s'attendre à voir la guerre éclater prochainement. Les menées de l'envoyé britannique pour soustraire la correspondance de l'ambassadeur de France, avaient déjà beaucoup aigri les rapports entre le Prince de la paix et M. Frère; la présence d'un agent anglais dans l'insurrection de la Biscaye durent convaincre la cour d'Espagne des dispositions hostiles que le cabinet de St.-James nourrissait contre elle.

3) Voir la note du chap. IX.

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