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Gravina pour Paris en qualité d'ambassadeur, et lui donna, en même temps, le principal commandement de la marine espagnole; avant de quitter Paris, l'amiral Gravina signa, le 4 janvier 1805, une convention qui spécifiait la part que chacune des deux Puissances prendrait à la guerre.

La France s'engagea à entretenir constamment à la mer 47 vaisseaux de ligne, 29 frégates, 14 corvettes, 25 bricks, et à presser le plus vivement possible l'achèvement de 16 vaisseaux et de 14 frégates qui se trouvaient sur les chantiers; l'Espagne de son côté promit d'armer, sur le champ, 32 vaisseaux de ligne pourvus d'eau pour quatre mois et de vivres pour six mois.

En résumé les forces totales sur mer de la France, de l'Espagne et de la Hollande réunies, présentaient à cette époque 92 vaisseaux de ligne, dont 60 appartenant à la France, 24 à l'Espagne, et 8 à la Hollande; l'Angleterre comptait 89 vaisseaux parfaitement armés. (Voir chap. XXVI Rupture de la paix d'Amiens par l'Angleterre, en 1803.)

CHAPITRE XII.

DE LA MER TERRITORIALE (OU DU TERRITOIRE MARITIME) DE L'ÉTAT. 1)

Violation de la mer territoriale;

Prises maritimes par suite de naufrage,

échouement, ou relâche forcée ou volontaire.

§ 1.

Prises faites dans les eaux du port de Livourne.

Le corsaire français le Patriote se trouvait, le 30 nivose an VI (20 janvier 1796) dans le port de Livourne, au moment où les signaux du port firent connaître l'arrivée prochaine du navire danois la Christiana Colbiorusen.

Le Patriote se hâte de prendre la mer; il marche à la rencontre du navire danois, l'attaque, s'en empare et le conduit dans le port d'Ajaccio, en Corse, où la Christiana Colbiorusen est déclarée de bonne prise. La cour de cassation ne confirma pas cet

1) Voir Livre I, titre II, §§ 39, 40 et 41; titre III, §§ 23 et 28.

acte de piraterie: par son arrêté du 14 ventose an VII (14 mars 1799), elle annula le jugement, parceque la prise avait été faite dans les eaux du port de Livourne, après qu'elle eût été signalée au fanal du port, et, par conséquent, en violation de tous les principes du droit des gens et des lois de la neutralité, envers le gouvernement toscan.

Le port de Livourne a été le théâtre d'un fait bien autrement coupable en raison de la haute position du personnage qui, sans respect pour l'indépendance et la dignité d'une nation amie et neutre, en assuma la responsabilité morale. L'amiral Nelson, abusant de la supériorité des forces qu'il commandait et de la puissance de la grande nation qui lui avait confié l'honneur de son pavillon, se présenta, dans le mois de novembre 1798, dans le port de Livourne pour y enlever une flotte de navires génois richement chargés; il s'en empara sans difficulté ni résistance.

§ 2.

Prise de la frégate la Modeste dans le port de Gènes.

Le port de Gènes avait été le théâtre, dans le mois de décembre 1793, d'un attentat de cette nature.

La frégate française la Modeste se trouvait à l'ancre dans le port de Gènes, port neutre à cette époque.

A l'abri de la neutralité, le commandant de la Modeste dut voir, sans crainte ni soupçon d'aucune nature, un vaisseau anglais de 74 canons venir se placer à côté d'elle.

Tout à coup, le commandant anglais somme le commandant français d'amener son pavillon; sur son refus, des ponts volants, que l'on tenait tout prèts, sont jetés sur la frégate française, trois cents Français, pris à l'improviste furent massacrés avant qu'ils eussent eu le temps de s'armer; la frégate la Modeste fut emmenée en Angleterre.

Cet acte de brigandage, cette surprise inique sous la foi du droit des gens, cette atteinte inouie portée à l'indépendance des nations et à la neutralité, aurait du trouver un juge sévère à Londres, et le gouvernement britannique aurait dû considérer comme un devoir sacré d'en punir l'auteur: il n'en fut rien.

Le gouvernement génois avait-il à prendre quelque mesure avant ou après l'événement?

Il ne pouvait certes pas prévoir qu'une violation aussi flagrante de tous les principes du droit des gens allait s'accomplir

sous ses yeux; et, l'attaque commencée d'une manière aussi inattendue, il n'avait peut-être pas les moyens nécessaires pour empêcher que le crime s'accomplit, ni pour faire respecter son réglement du 1er juillet 1779, lequel porte, art. I: «Il ne pourra se commettre aucune hostilité, entre les Puissances belligérantes, dans les golfes et plages de notre domination, à la distance qui se trouve sous la portée du canon. »>

Par un décret du 22 décembre 1793, la convention qui gouvernait alors la France, déclara que le peuple génois ne serait pas rendu responsable de l'attentat du commandant anglais, et que les relations politiques entre la France et la république de Gènes seraient maintenues et protégées comme par le passé. Cette modération était d'autant plus remarquable de la part d'un pouvoir qui s'est montré si fréquemment violent, que le peuple qui en était l'objet était plus faible.

Toutefois, si nul acte de coërcition et de vengeance ne fut exercé envers Gènes, en punition de n'avoir pas sû défendre, comme c'était son devoir et son droit de le faire, la frégate française qui se trouvait sous sa protection, quand vint, en 1796, le moment de signer avec la république de Gènes un traité d'alliance, le gouvernement génois s'engagea à payer deux millions de francs, en indemnité, et de fournir deux autres millions en prèt. Le montant de l'indemnité avait déjà été fixé à l'avance entre le gouvernement français et M. Vincent Spinola, que le sénat de Gènes avait envoyé à Paris aussitôt après l'événement du mois de décembre 1793.

Tous les partisans de la France qui avaient été expulsés du sénat et du territoire de la république, furent, après le traité de 1796 et conformément à sa teneur, rappelés et réintégrés dans la position qu'ils occupaient avant leur banissement. De plus, la république (dans les eaux de laquelle l'amiral Nelson avait encore, peu de temps avant, enlevé un bâtiment français à la vue des batteries génoises), ferma tous ses ports aux Anglais.

§ 3.

Prise de divers bâtiments américains à la hauteur de Pillau, par un corsaire français.

Le corsaire français le Tilsit, capitaine Desmolands, captura, le 14 juin 1808, par le travers de la pointe de Brusterort, à la hauteur de Pillau, le navire américain le Daniel-Frédéric, qui

était mouillé en cet endroit, ainsi que quatre autres bâtiments des États-Unis.

Le ministère prussien protesta contre cette violation de la mer territoriale de la domination de S. M. prussienne.

Mais il résulta des dépositions elles-mêmes des équipages capturés, que le navire Daniel-Frédéric et les quatre autres navires américains avaient été pris, par le corsaire le Tilsit, à deux et trois lieues de distance des côtes prussiennes, c'est-à-dire au-delà de la limite assignée par l'usage, le droit public et les traités à la mer territorlale de chaque État.

Peut-être aurait-on du, avant de prononcer un jugement, prendre en considération, d'une part, la déclaration du roi de Danemarck, du mois de mai 1780, portant que la Baltique est une mer fermée, interdite aux hostilités entre les nations belligérantes, déclaration à laquelle la France avait adhéré le 25 mai 1780 (voir Livre I, titre II, §§ 39 et 54); d'autre part,

1° La convention du 9 mars 1759, entre la Prusse et la Russie, - convention à laquelle ont adhéré la France et le Danemarck, portant, art. 3, que le but de la dite convention est de conserver la liberté de la navigation commerciale dans la Baltique, pendant la guerre (Recueil des traités de MM. d'Hauterive et de Cussy, 2e partie, 5o volume, p. 476).

2o La teneur de l'article séparé du traité du 28 juin 1780, entre le Danemarck et la Russie, portant que la Baltique est une mer fermée où toutes les nations peuvent naviguer en paix et que les deux Puissances contractantes prendront toutes les mesures capables de la garantir de toutes hostilités, violences et pirateries.

3o Le traité conclu le 8 mai 1781, entre la Russie et la Prusse (art. 1 séparé) portant (comme les documents précédents), que les contractants sont mutuellement convenus de soutenir que la Baltique est une mer fermée, incontestablement telle par sa situation, où toutes les nations doivent et peuvent naviguer en paix et jouir de tous les avantages d'un calme parfait; et de prendre, à cet effet, entr'elles des mesures capables de garantir cette mer et ses côtes de toutes hostilités et violences.

4o Le traité conclu en 1794, entre le Danemarck et la Suède, portant, art. X: «La Baltique devant toujours être regardée comme une mer fermée et inaccessible à des vaisseaux armés des parties en guerre éloignées, est encore déclarée telle de nouveau par les parties contractantes, décidées à en préserver la tranquillité la plus parfaite. (Voir les déclarations et traités de 1780-1781 et

1794, au Recueil des traités de MM. de Cussy et de Martens, tome I, p. 204, et tome II, p. 194 et 224.

Mais ces précédents en faveur de la neutralité de la Baltique, dont les eaux baignent le territoire des États du Nord avec lesquels la France était en paix, en 1808, ne furent point invoqués, ou furent écartés.

Le conseil des prises, en s'appuyant uniquement sur la circonstance que les bâtiments saisis par le corsaire le Tilsit, avaient été pris à plus d'une portée de canon, limite consacrée par le droit public et par les traités, de la mer territoriale, déclara qu'il n'y avait point eu violation de la mer territoriale de S. M. prussienne; que dès lors les réclamations du ministère prussien au sujet des bâtiments capturés, ne devaient leur existence qu'à un exposé inexact fait, dans le principe, par les équipages des bâtiments capturés, des vraies circonstances de la capture; et que la prise du Daniel-Frédéric et des quatre autres bâtiments, arrêtés par le corsaire français le Tilsit, à la hauteur de Pillau, était jugée de bonne prise.

§ 4.

Bâtiment poussé par la tempête dans un port ennemi. 1)

On n'a point contesté jusqu'à présent aux États belligérants le droit de s'emparer d'un vaisseau ennemi, poussé par la tempête dans un de leurs ports; ce droit est consacré en France (nous regrettons d'avoir à le dire), par l'art. 14 du réglement du 26 juillet 1778, ainsi que par l'arrêté du 6 germinal an VIII (27 mars 1800).

L'exercice de ce droit soulève un sentiment de répulsion; il semble qu'il y ait lâcheté à profiter du malheur d'un ennemi, qu'un cas fortuit, qu'un sinistre de mer, que la tempête livre sans défense (voir § 8); nous nous élevons contre cet usage tout autant que nous le faisons contre cet autre abus de la force, qui consiste à saisir et à déclarer de bonne prise les bâtiments d'une nation étrangère qui se trouvent dans nos ports au moment où nous lui déclarons la guerre. Tout gouvernement qui se respecte et qui respecte la justice, devrait comprendre qu'en s'abritant derrière l'usage en pareil cas, il commet. une iniquité, un crime, lorsqu'il s'empare de bâtiments que leur confiance en sa probité a retenu dans ses ports.

1) Voir chap. XI.

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