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Nous avons, avec intention, dans les observations qui précèdent, parlé exclusivement des bâtiments de commerce, parcequ'il nous semble, en effet, difficile (avec M. Bravard-Veyrières, professeur du droit commercial à la faculté de droit à Paris), tout en rendant d'ailleurs hommage aux nobles sentiments qui ont inspiré le gouverneur de l'île de Cuba, en 1746 (§ 4); il nous parait difficile, disons nous, que la doctrine énoncée en faveur des bâtiments de commerce de la nation ennemie, naufragés, échoués ou entrés dans le port en relâche forcée, devienne jamais applicable aux vaisseaux de guerre. « Relâcher un vaisseau de guerre ennemi (dit M. Bravard-Veyrières) dont par le fait on se trouve le maître, serait plutôt manquer de prudence que faire acte de générosité. »

Dans l'affaire de la Diana, le conseil des prises s'est montré juste, équitable, humain; mais, il faut bien l'avouer, dans l'affaire du navire prussien la Maria Arendz, qui se trouvait dans une position à peu près analogue, le conseil s'était prononcé tout autrement qu'il le fit dans l'affaire de la Diana; son arrêt du 20 fructidor de l'an VIII (7 septembre 1800) a été strictement conforme aux dispositions des lois et ordonnances de 1684, 1696, 1778, 1794 et 1800.

§ 8.

Naufragés de Calais.

Dans les années 1797 à 1799, le gouvernement français a donné un exemple bien mémorable du respect dù au malheur : Res sacra miser.

Un bâtiment anglais, bâtiment ennemi, échoue sur les côtes du Pas-de-Calais; un grand nombre d'émigrés français qui avaient servi dans l'armée des princes exilés et qui avaient porté les armes contre la France, étaient au nombre des naufragés; ils se rendaient aux Indes orientales, engagés au service de l'Angleterre, mais ayant formellement stipulé d'ailleurs dans leur engagement, qu'ils ne seraient jamais employés contre la France.

La législation qui existait à cette époque contre les émigrés, était une législation de haine, de mort, d'extermination; mais la France, après avoir traversé les temps de la plus hideuse et de la plus féroce barbarie, voyait siéger dans les conseils de la nation, des hommes disposés à écouter la voix de l'équité et de l'humanité. Le directoire, pouvoir exécutif de l'État, consulta le conseil des anciens et celui des cinq cents. Une commission fut

nommée dans le conseil des anciens pour l'examen de la proposition faite par le directoire de rembarquer les naufragés. M. Portalis, rapporteur de la commission, exprima en cette circonstance les plus nobles maximes.

« Point de crime», dit-il, «sans une intention criminelle; or, << quelle est donc la volonté de l'émigré jeté sur nos côtes par la << tempête ? Le malheureux naufragé n'est-il pas absous par la for«tune? Je cherche la volonté de l'homme et je n'aperçois que la « volonté du destin.....; comment lui demander compte des orages? << La France doit devenir pour lui, non un sol dévorant, mais une << terre hospitalière; il demeure sous l'empire de la nature; il ne << tombe pas sous celui de la loi.

nos

<< Représentants, nos braves marins, nos commerçants, «< voyageurs, profiteront peut-être un jour des maximes hospita<«<lières que vous aurez proclamées. Votre loi sera citée comme <«<le sont tous les actes généreux qui ont fondé le droit public << des nations policées et qui ont honoré la nature humaine. »

Ces nobles paroles prononcées en favour des émigrés naufragés servirent, en même temps, la cause de tous les individus qui se trouvaient à bord du bâtiment ennemi, poussé par la tempête sur les côtes françaises.

Une résolution favorable fut adoptée; les deux conseils décidèrent, le 5 thermidor an V (23 juillet 1797) que, conformément au droit des gens, les naufragés devaient être rembarqués dans le plus bref délai et reconduits en pays neutre.

Les événements politiques intérieurs qui survinrent le 48 fructidor suivant (4 septembre 1797) s'opposèrent à l'exécution de cette décision équitable; la loi du 5 thermidor fut rapportée et les naufragés de Calais furent condamnés à la déportation; triste exemple de la mobilité de toutes choses dans les temps de révolutions! Une décision solennelle qui honorait également le gouvernement qui l'avait provoquée, et les assemblées délibérantes qui l'avaient rendue, ne put recevoir son exécution et suivre son cours, un mois après avoir été prise et proclamée ! ......

Les naufragés de Calais furent renfermés au château de Ham, ce château fort, construit dans l'année 1470, où Louis XI fit enfermer le comte de St.-Pol, connétable de France, avant de le faire décapiter; où de nos jours furent détenus les ministres composant le cabinet de Charles X au moment où ce prince fut précipité du trône, par la révolution de 1830, et depuis le prince Louis Napoléon Bonaparte, que la révolution de 1848 a appelé, le 10 décembre de cette même année, à gouverner l'État en qua

lité de président de la république, élu pour quatre ans par le vote populaire. 1)

Dans le courant de l'an VII (1798 à 1799) la question des naufragés de Calais fut mise de nouveau en discussion; ces paroles affligeantes pour l'humanité et la civilisation, furent alors prononcées :

« Le droit des gens ne peut être invoqué par une Puissance << avec laquelle on est en guerre; or, les émigrés sont coupables « de lèse-nation, que la loi condamne, qu'elle doit punir de quelque «manière qu'ils tombent entre ses mains. »

Cette sauvage maxime n'eut pas, pour l'honneur français, le résultat qu'elle tendait à amener; les naufragés de Calais continuèrent à rester au château de Ham.

Un arrêté des consuls leur rendit la liberté; cette mesure réparatrice et juste, mais tardive, fut basée sur le principe: « Qu'il est hors du droit des nations policées de profiter d'un nau«frage pour livrer, même au juste courroux des lois, des mal«< heureux échappés aux flots. >>

§ 9.

Violation de la mer territoriale des États-Unis, par les Anglais.

Le vaisseau de guerre français l'Impétueux, de l'escadre du contre-amiral Willaumez, séparé par l'ouragan du 19 août 1806, sans mâts, sans gouvernail, sans canons, sans poudre sèche et presque sans vivres, était à la hauteur du Cap Henry, lorsqu'il aperçut deux vaisseaux anglais, une frégate et un brick; il chercha à faire côte plutôt que de se laisser prendre. Il était échoué avant que les bâtiments anglais fussent à la portée du canon. Mais quoique dans cet état, et sur le rivage même des ÉtatsUnis, la frégate anglaise vint le canonner et ne cessa son feu que lorsqu'il eût amené. Le commandant français représenta vainement qu'il était sur territoire neutre. Les Anglais firent prisonnier l'équipage et mirent le feu au vaisseau. Par cette conduite la marine anglaise viola un principe généralement admis, celui du respect dû à la mer territoriale, et que son gouvernement

1) Ces lignes ont été écrites en 1849; nous n'avons point à parler des événements qui ont suivi l'acte habile et vigoureux, le coup d'État du 2 décembre 1851, qui a arrêté la France au moment où elle allait être précipitée dans le gouffre de l'anarchie. Un seul fait accompli depuis que le trône impérial a été relevé, appartient a notre ouvrage, c'est la proclamation collective de la France et de la GrandeBretagne, en 1854, concernant le pavillon et les prises. (Voir Livre I, titre III, § 10, ainsi que le chap. XXXVIII.)

CUSSY. II.

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avait reconnu par le traité du 19 novembre 1794, art. 25, avec les États-Unis :

....

<«< Aucune des deux parties ne souffrira que les vaisseaux appartenant aux sujets ou citoyens de l'autre, soient pris à une portée de canon de la côte ni dans aucune des baies, rivières ou ports de leurs territoires, par des vaisseaux de guerre ou autres, ayant lettres de marque de prince, république ou État, quels qu'ils puissent être ...... >>>

La protection que doit accorder le souverain territoriale, jusqu'à la portée du canon, est également reconnue par la GrandeBretagne, par l'art. 41 de son traité du 26 septembre 1786 avec la France.

§ 10.

Violation de la mer territoriale du Portugal par les Anglais.

Dans le chapitre XI, nous avons vu comment, par ordre de la reine Elisabeth, l'amiral Sir Francis Drake s'empara dans le port de Lisbonne de 60 bâtiments anséates, et comment, de nos jours, l'amiral Nelson et d'autres officiers de la marine anglaise, à Livourne et à Gènes, foulèrent aux pieds le droit des gens.

En 1814, une nouvelle atteinte au principe de la mer territoriale fut encore portée par la marine anglaise dans le port portugais de Fayal.

Au mois de septembre 1814, un corsaire américain, le général Armstrong, entra dans le port de Fayal, une des Açores, pour y faire de l'eau. Il y fut suivi par trois bâtiments anglais. Un lieutenant de la marine britannique fut envoyé dans une barque pour reconnaître le bâtiment américain; le capitaine du corsaire, croyant qu'on venait pour l'attaquer, héla l'embarcation et lui cria de ne pas s'approcher. Le lieutenant anglais ordonna de virer de bord, et (selon la version anglaise sur ce fait) sans aucune provocation de sa part, le corsaire américain fit feu sur lui et lui tua plusieurs hommes.

Le bâtiment américain (selon la version américaine), supposant qu'une attaque serait dirigée contre lui (la guerre existait encore entre la Grande-Bretagne et les États-Unis) 1), fut se placer sous la protection de la forteresse de Fayal, à la portée du canon. C'est dans cette situation qu'il eût à subir les hostilités des vais

1) Le traité de paix entre la Grande-Bretagne et les États-Unis fut signé à Gand,

le 24 décembre 1814.

seaux anglais. Le général Armstrong fut bientôt abandonné par son équipage, et ensuite brûlé par les Anglais, sans que les canons du fort de Fayal l'eûssent défendu !

Il n'est guères possible d'admettre que le corsaire américain ait été assez insensé pour commettre les premières hostilités contre trois bâtiments de guerre de la marine anglaise, et qu'il ait de cette sorte violé le premier la neutralité du port.

Mais en admettant même que par suite de quelque malentendu, un coup de fusil ait été tiré de son bord, les trois bâtiments de la marine anglaise n'ont-ils pas dépassé toute limite, dans leur vengeance, en brûlant le corsaire américain, dans un port neutre, et sous les batteries, qui restèrent muettes, de la forteresse le Fayal ?

Dans ce fait, comme dans celui de la prise de la frégate la Modeste, dans le port de Gènes, il y a eu violation brutale du principe, de la part de la marine anglaise, et inertie déplorable, de la part de l'autorité territoriale.

§ 11.

Affaire du Carlo-Alberto. Passagers arrêtés à bord d'un bâtiment de commerce, entré en relâche forcée dans le port de la Ciotat.

Le bateau sarde à vapeur, le Carlo-Alberto, capitaine George Zara, partit le 24 avril 1832 de Livourne, avec la destination de Barcelone. Dans la nuit suivante, il reçut, sur la plage de Via Reggio, S. A. R. Me la duchesse de Berry, et diverses personnes de sa suite, qui avaient été inscrites, pour la plupart, sur les papiers de l'expédition à Livourne, sous des noms supposés; au nombre des personnes qui accompagnaient Me la duchesse de Berry, se trouvaient le comte et le vicomte de Kergorlay, le comte de Mesnard, le comte de Saint-Priest, duc d'Almazan, le chevalier de Candole, M. de Bourmont, M. Adolphe de Sala, Mile Mathilde Lebeschu, demoiselle d'atours de Madame, etc. etc.

Dans la nuit du 28 au 29 avril, S. A. R. débarqua, avec six personnes de sa suite, sur la côte occidentale de Marseille, à l'aide d'un bateau-pêcheur qui guétait le passage du Carlo-Alberto.

Le gouvernement français avait été informé du projet de Me la duchesse de Berry de se rendre en France afin d'y réchauffer, par sa présence, le zèle de ses amis, dans le but de rétablir le duc de Bordeaux, son fils, sur le trône que ses ayeux avaient occupé et honoré pendant une longue suite de siècles, et dont ce prince avait été éloigné par la révolution de 1830.

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