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présence de Chrétien et Villefumade, patriotes avérés, Chantal ne pouvait accueillir cette visite comme une marque de sympathie politique, encore moins personnelle. « Nous avons fait à Chantal, lit-on dans le rapport des commissaires, toutes les représentations amicales et de fraternité que notre attachement à la nouvelle Constitution nous ont suggérées. Mais tout a été inutile. Nous l'attribuons plutôt à l'orgueil de dominer et au défaut de connaissances qu'à de mauvaises intentions (1) ».

La Fédération approchant, préparée en province même avant que Paris la fit officiellement décréter, les deux partis de Cendrieux, restés sur leurs positions, s'apprêtèrent à y faire figure, militairement. Mais l'un devait de toute nécessité laisser le pas à l'autre. Le gentilhomme avait sa troupe aussi. A tout prendre, le gros des deux milices, tiraillé en sens opposés, flottait du parti Chantal au parti Sénailhac, comme le centre dans un parlement. Comment d'ailleurs le contingent normal de deux milices aurait-il pu être fourni par une si petite commune? Chantal était retors. A l'investiture communale il résolut de sup

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cipalités, tant de notre province que des provinces voisines, tendant au même but, adoptant nos principes, consacrant notre mission ou envoyant elles-mêmes des députés à l'Assemblée nationale pour en obtenir ce que nous lui demandons. De ce nombre sont : La municipalité de Périgueux en Périgord, par délibération du 26 mars ». Taine, qui ne pouvait manquer de tirer parti de ce factum, le cote ainsi en note (Rév. 1, p. 372) : Mémoire des députés de la ville de Tulle, rédigé par l'abbé Morellet (d'après les délibérations et adresses des quatre-vingt trois bourgs et villes de la province). Il a consulté sans doute une seconde édition. La première, que nous avons sous les yeux (Biblioth. mun. de Lyon, 25584 bis-dépôt), est signée Melon de Pradou et de Saint-Priest, députés extraordinaires. L'historien des Origines aurait dù feuilleter aussi le Mémoire pour la commune de Brive et observations sur celui publié par MM. les députés de Tulle, Melon de Pradou, maire, avocat au présidial et assesseur du prévôt du Limousin, et de Saint-Priest, major de place (Lyon, même numéro). Brive contredit Tulle victorieusement sur bien des points. Mais Taine a malheureusement laissé de côté nombre des documents qui eussent contrarié son système. (1) Archives départementales de la Dordogne. B. 846. Procès-verbal imprimé (pièce 19).

pléer par l'investiture religieuse, en faisant bénir son drapeau. Le curé Grosbras, qui tenait pour le parti du maire, n'était rien moins que disposé à céder à cette exigence. Mais Chantal avait eu la précaution de se munir d'une autorisation épiscopale. Laissons-le narrer lui-même cette orageuse cérémonie dans une plainte écrite en entier de sa main qu'il adresse à l'Assemblée nationale. Nous n'en rectifions que l'orthographe, qui rendrait difficile la lecture du document. Ces manuscrits spontanés sont trop rares et trop expressifs pour qu'on ne s'y attarde pas, à l'occa

sion.

Nous, capitaine commandant et officiers et fusiliers du régiment patriotique de la paroisse de Cendrieux, nous nous sommes assemblés, le 26 du mois de mai 1790, pour aller à l'église de notre paroisse pour faire bénir le drapeau du régiment comme ayant la permission par écrit de M. l'abbé Poumeau, vicaire général de Périgueux, que nous avons livrée à M. notre curé, dont il a fait la lecture dans l'église devant la municipalité et devant tous les autres habitants de la présente paroisse, avant le commencement de vêpres, en leur disant à tous que M. l'abbé Poumeau lui déclare dans sa lettre qu'il serait sage de bénir ce drapeau pour l'union de la paroisse et que le capitaine commandant méritait bien que cette satisfaction lui fût accordée. Le curé répéta encore qu'il désirait que MM. les officiers municipaux et la troupe et tous les autres habitants fussent contents. Le sieur Chantal, capitaine commandant de la troupe nationale de Cendrieux, cria dans le moment à la troupe et à tous les autres habitants si on était content et si on désirait voir faire la bénédiction du drapeau du régiment de leur paroisse. Alors la troupe et la plus grande partie des autres habitants de la paroise commencèrent à crier : « Oui, nous la voulons voir; oui, nous la voulons voir, la bénédiction du drapeau. C'est notre plus grand désir. » Et la plus grande partie des femmes crièrent la même chose : « Nous voulons la voir, la bénédiction du drapeau.

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Néanmoins, le maire et les officiers municipaux et d'autres personnes domestiques du maire armés de gros bâtons à la

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main et le fils du maire la même chose, le maire le premier et sa suite commencèrent de crier : « Non, non, nous ne le voulons pas qu'il se bénisse, le drapeau; nous ne le voulons pas. » Le domestique du maire ou de sa belle-mère et d'autre gent choisie à sa main levaient les bâtons en l'air pour faire force contre la troupe. Le capitaine commandant [dit de] respecter la place où ils étaient, que c'était devant le Saint-Sacrement et leva les yeux au ciel et dit : « Grand Dieu! rendez justice à qui le mérite. » Et en même temps cria toujours : « La paix! la paix! » et ne commanda jamais à la troupe de faire le moindre mal à personne. Mais le maire, qui voulait toujours monter en chaire, en sa noire conscience, il crie toujours : « Non, non, je ne veux pas que le drapeau se bénisse », et engage toujours les officiers municipaux et tous les notables et ses gens choisis à sa main à crier la même chose, qu'on ne manque pas de le faire. Mais les femmes firent descendre le maire de dedans la chaire en lui disant : « Méchant maire que vous êtes, vous troublez ici toute la compagnie et notre capitaine, parce qu'il veut faire bénir le drapeau pour bien remplir ses fonctions, et vous le troublez entièrement vu la jalousie que vous autres avez contre lui, parce qu'il veut tenir le bon ordre. » Et les femmes prirent le maire et le poussèrent vers le curé pour faire dire au maire devant le curé que le drapeau se bénirait, et on se disputait toujours. Les officiers municipaux et les notables et leur suite voulaient empêcher les femmes d'emmener le maire au curé. On le menaçait. Le frère du capitaine s'avança pour empêcher que des femmes ne prissent du mal, attendu qu'elles étaient de bonnes citoyennes. La municipalité le poussant vivement, le capitaine s'avance toujours pour empêcher que son frère et toutes ces femmes ne fussent pas maltraités. La troupe qu'elle battait du pied, qu'elle ne pouvait plus tenir. Le capitaine crie toujours « La paix! Mes amis, prenez patience. Nous viendrons à bout de tout. » Dans ce moment-là, un des notables sauta au col du frère du capitaine, et le frère du notable fit la même chose. Dans la foule de femmes, que c'était dans la sacristie, ledit Chantal voyant son frère qu'il était au même d'être étranglé de trois ou quatre personnes, qu'on le tenait au col et à la tête vivement, il leva les yeux au ciel et cria : « Grand Dieu! que faire?» Et alors, il mit le sabre à la main et cria hautement: «Tremblez dessous les armes!» Et la municipalité se sépara de son frère sans faire d'autre mal.

Alors le curé dit au capitaine : « M. Chantal, le drapeau

se bénira (1) », et la municipalité sortit de l'église promptement. Elle ne voulait point rester à la bénédiction du drapeau, qu'il s'est béni dans le moment.

Voilà la troisième dispute que la municipalité de Cendrieux a cherchée au capitaine commandant, à toute sa troupe. La première fut le 11 avril dernier, et la seconde le 18 du même mois; la troisième, c'est le 26 mai que l'on voit par la date ici dessus. Le maire et la plupart des officiers municipaux, ils étaient seigneurs dans leur bien, et ils voudraient toujours être les mêmes. Nous ne savons pas comment ils ont fait la cotisation des six derniers mois et de même, en 1790; et comme le capitaine veut tenir le bon ordre dans l'intérêt du peuple suivant les ordonnances que nous recevons de Nos Seigneurs de l'Assemblée nationale, nous n'avons pas manqué d'envoyer tout le procès-verbal à Nos Seigneurs de l'Assemblée nationale de tout ce que la municipalité nous a fait et de la manière que nous nous sommes comportés, et nous n'avons reçu aucune nouvelle, dont la compagnie en fait du mauvais sang. La municipalité nous a toujours trompés jusqu'ici; et on nous a sollicité beaucoup de nos gens de notre troupe qu'ils ne se présentent pas à l'assemblée, disant qu'on mettrait à la porte le pauvre métayer, si on va à l'assemblée du capitaine qu'il demande par les ordonnances du roi. Le capitaine ne manque pas tous les dimanches matin de crier : « Venez, venez, mes généreux citoyens! N'ayez peur ne rien. Vos maîtres ne peuvent pas vous mettre à la porte par cette seule raison que vous obéissez aux ordonnances du Roi. »

Voilà, Nos Seigneurs, de la manière que je me comporte; mais que nous ne sommes pas armés, et nous en avons grand besoin. Et pour faire mon devoir, je me suis ruiné pour soutenir jusqu'ici la nation de mon pays, et suis entre la mort et la vie. J'ai ma pauvre mère qu'elle en souffre, qu'elle est toujours malade et a prenant de 80 ans. Mes frère et sœur en souffrent

Le curé Grosbras

(1) Archives départementales de la Dordogne. dépose dans l'information, le 1er juillet 1790 (pièce 35) et dit en résumé : Je voulais le consentement des habitants. J'exhortai à la paix. Chantal cria. Il voulait qu'on bénit. Ceux qui étaient dans le sanctuaire disaient : Non, non. Je n'ai entendu personne qui eût dit oui. Je montai en chaire pour exhorter à la paix. Puis, j'entrai dans la sacristie. Troupe d'hommes et de femmes. Bataille dans la sacristie. « Il n'y a pas d'autre parti à prendre, dirent les officiers municipaux, pour faire cesser ce train, que de bénir le drapeau; vous n'avez qu'à le bénir. Ce que je fis de suite. »>

de même. Enfin, tout ce que j'ai fait, ce n'est que pour tenir le bon ordre.

Fait à Cendrieux, le 26 mai 1790.

Louis CHANTAL, capitaine commandant. - Jean BRUNY, lieutenant.LESFARGUES, caporal. Louis PINAU, porte-enseigne. PEULIAT, sergent-major. Jean CHANTAL. LACOSTES (1).

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Ainsi revêtu du sacrement, Chantal reprend courage. Plus que jamais il veut sa place à la fête départementale du 29 juin. Entre temps, le 8 juin, il va faire tapage aux deux assemblées primaires de son canton, à Saint-Jean-deVergt et à Sainte-Marie-de-Vergt. Le procureur de la commune, qui le charge comme témoin, l'accuse de s'y être <«<exhalé en propos séditieux vis-à-vis de ses concitoyens ». Chantal aurait dit « que l'assemblée qu'ils composaient n'avait été faite que dans la vue de les tromper dans leurs intérêts (2) ». Il visait apparemment la prédominance redoutable de l'ennemi terrien. On ne trouve, au demeurant, parmi les électeurs élus dans ce canton ni le nom de Crespiat ni celui de Sénailhac.

Chantal avait fini par grouper sous son drapeau une soixantaine de partisans. « Il a réussi, dit son noble compétiteur dans une dénonciation désespérée (3), à rassembler une troupe de bordiers, de métayers, de domestiques et de fils de famille, auxquels il persuada qu'ils pouvaient se regarder comme des citoyens soldats et des soldats citoyens. » Ce n'était ni mal pensé, ni mal dit, mais c'était t bien osé de la part d'un simple plébéien. Il était temps de

(1) Archives départementales de la Dordogne. Pièce 30. pour envoyer à l'Assemblée nationale).

(2) Archives départementales de la Dordogne. Lafosse, procureur de la commune de Vergt.

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Déposition de Jean

(3) Archives départementales de la Dordogne. (P. 33). Mémoire à MM. de l'état-major de la garde nationale de Périgueux.

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