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V

En somme, il ne faut pas se laisser tromper par un ou deux arrêtés d'Albert qui pourraient le faire considérer comme hostile à la religion catholique. Nous avons vu qu'il fit tous ses efforts pour contribuer à la renaissance du culte après la loi du 3 ventôse. D'ailleurs, il faut ajouter que, si Albert favorisa ainsi le catholicisme, il ne fit que satisfaire à l'ardent désir des habitants, restés fidèles à la foi de leurs pères. Dans leur compte rendu décadaire au Comité de salut public (1), les membres du Comité révolutionnaire du district de Reims s'écriaient, avec raison, le 6 nivôse an III: « Il est bien temps que l'instruction publique remédie aux maux que peut causer l'ignorance et la superstition.

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S. BLUM.

(1) Arch. munic. de Reims, 19e carton (Comité révolutionnaire du district de Reims).

PRÉLIMINAIRES ET CAUSES

DES

JOURNÉES DE PRAIRIAL AN III

Pourquoi une partie de la 'population parisienne s'estelle insurgée les 1, 2 et 4 prairial an III ?

La réponse à cette question doit être cherchée dans l'état de l'esprit public parisien pendant la période de la réaction thermidorienne qui a précédé le mois de prairial, c'est-à-dire en germinal et floréal an III.

Les documents qui nous renseignent sur ce point sont réunis dans le recueil de M. Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire (1). C'est, d'après les bulletins de police et les extraits d'articles de journaux qui y sont contenus, que je ferai cette étude. Je me servirai également, pour traiter de certains points plus spéciaux, d'autres documents importants de sources diverses: je les énumèrerai à mesure que j'aurai à les utiliser.

Dans les premiers jours de germinal, une insurrection eut lieu avec laquelle les événements de prairial devaient présenter de nombreux caractères de ressemblance il est indispensable pour bien comprendre les journées de prairial an III d'exposer, au moins sommairement, les causes,

(1) 5 volumes in-8. La partie de ce recueil qui concerne la période germinal-prairial est au tome Ier.

les faits et les conséquences principales des journées des 12 et 13 germinal, qui n'ont pas été sans contribuer dans une certaine mesure à l'éclat de l'insurrection du 1er prairial.

I

Le fait qui, de thermidor an II à prairial an III, domine la situation matérielle et morale de Paris, c'est la famine. -« .....Paris a faim, Paris ne mange pas à sa suffisance, Paris se meurt d'inanition: voilà dans les journaux et les rapports [de police] le fond de l'histoire de Paris depuis la chute de Robespierre. Paris se résignera-t-il à mourir de faim? Paris se révoltera-t-il pour avoir du pain? C'est le problème qu'agitent les journaux et les rapports. C'est la grande question, l'obsédante et perpétuelle question: toutes les autres sont présentées comme len dérivant ou comme y étant subordonnées (1)... »

Paris avait déjà éprouvé cette famine en 1793 et 1794. Pour y remédier, la Convention avait pris des mesures révolutionnaires : elle avait voté la loi du maximum pour empêcher l'accaparement des subsistances et la dépréciation des assignats (2); elle avait créé l'armée révolutionnaire, chargée d'assurer par la force l'approvisionnement de Paris (3); mais, la famine s'étant allénuée au commencement du printemps de 1794, la Convention avait supprimé l'armée révolutionnaire (4).

Quant au maximum, il fut aboli en nivôse an III, au

(1) Aulard, La réaction thermidorienne à Paris (article de la Revue de Paris, 15 décembre 1898).

(2) Décrets des 4 mai, 11 et 29 septembre 1793.

(3) Ibid., 5 et 9 septembre 1793.

44) Décret du 7 germinal an II.

nom du principe de la liberté du commerce, et aussi, disait-on, pour empêcher la famine dont les cultivateurs étaient la cause puisqu'ils préféraient garder leurs grains que de les vendre au taux du maximum (1).

L'abolition du maximum ne mit cependant pas un terme à la disette. Les fermiers ne se dessaisirent pas plus volontiers de leurs grains. Pour approvisionner Paris, il fallut encore recourir à la force contre les fermiers et surtout contre les habitants des environs de Paris, qui, voyant que l'on dirigeait de grandes quantités de grains vers la ville dans un temps où il était difficile de s'en procurer, craignaient qu'à leur tour ils ne fussent réduits à la famine et s'opposaient au départ ou au passage des convois de vivres. Cette disette factice persista donc; elle fut même accrue de ce fait que les accapareurs pouvaient exercer librement leur trafic. Toutes choses renchérirent dans des proportions effrayantes : le pain aussi bien que les matières. d'or et d'argent (2).

Une telle situation était relativement tenable pour les riches ou pour les commerçants qui élevaient leurs tarifs en proportion de la dépréciation des assignats et de la cherté des subsistances; mais il n'en allait pas de même pour les ouvriers et les petits rentiers. En ce qui concerne les ouvriers, leurs salaires avaient été augmentés, mais non pas en proportion de l'augmentation du prix des comestibles. Comment un ouvrier pouvait-il nourrir sa famille avec un salaire de 10 francs par jour alors que la livre de pain valait déjà ce prix au taux du commerce libre? N'ayant pas de quoi vivre, la population ouvrière menaçait de se révolter. - La Convention, désireuse

(1) V. le Moniteur des 5 et 6 nivôse an II (compte rendu de la séance du 3 nivôse).

(2) Aulari, La réaction thermidorienne à Paris.

d'éviter cette funeste extrémité, avait maintenu les distributions publiques de pain à 3 sous la livre dont le gouvernement faisait les frais. Mais on n'avait pas à discrétion de ce pain bon marché les farines n'arrivaient pas en quantité suffisante à Paris, car les charrois étaient très coûteux, et la mauvaise volonté des paysans était un grave obstacle à la régularité des arrivages. Il avait fallu se résigner au régime du rationnement: le décret du 26 ventôse an III avait fixé à une livre la portion de pain due à chaque citoyen. Toutefois, les ouvriers chefs de famille avaient droit à une livre et demie. Toute minime qu'elle était, cette ration ne put être assurée à chacun. Les derniers venus à la distribution étaient souvent obligés de s'en retourner les mains vides. Aussi voyait-on se former dès minuit, aux portes des boulangers, de longues queues d'affamés anxieux. Pour donner à tous une portion, il fallut diminuer la ration.

Dans les premiers jours de germinal, des tendances hostiles à la Convention se manifestent parmi la foule qui stationne à la porte des boulangers en attendant la distribution. La Convention est considérée par les hommes du peuple comme réactionnaire et peu bienveillante à l'égard du peuple. Le 1° germinal, on voit se produire des rixes entre les ouvriers et les « jeunes gens », les « muscadins », qui crient avec affectation Vive la Convention! pour riposter aux cris de Vive la République! des démo

crates.

Du 1° au 10 germinal, les rations de pain diminuent sensiblement, et tout le monde n'obtient pas la sienne. Beaucoup de personnes qui n'ont pu avoir leur part de pain ou de viande se suicident.

Le 8 germinal, on fait queue dès huit heures du soir à la porte des boulangers pour la distribution du lendemain,

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