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à entrer dans l'Archipel, afin d'attaquer Samos. Cette île s'était insurgée, comme nous l'avons dit, à la nouvelle de l'assassinat du patriarche Grégoire. Les primats rassemblés à Vathi, bourgade située vers l'embouchure de l'Imbrasos, fleuve autrefois consacré à Junon, ayant proclamé l'indépendance, le peuple avait massacré le cadi et ses satellites, qui s'étaient rendus odieux par leurs iniquités. Les campagnes avaient suivi cet exemple! Les Turcs qui s'y trouvaient disparurent, des actions de graces retentirent dans toutes les églises; et les paysans, ivres de joie, allumèrent un si grand nombre de feux sur les montagnes, qu'on aurait cru qu'ils célébraient encore une fois la victoire de Mycale, si on n'avait pas bientôt appris que c'était le triomphe de la Croix dont ils venaient d'inaugurer l'étendard.

Le conseil des anciens, présidé par l'archevêque, décréta de députer immédiatement deux de ses archontes à Psara, pour y faire part de la révolution qui venait de s'opérer. Les consuls des puissances chrétiennes, qui étaient presque tous des indigènes, s'empressèrent de sacrifier leurs emplois à l'honneur de servir leur patrie. Les hommes en état de porter les armes se présentèrent pour la défendre, et, dans l'espace de deux jours, on réunit six mille hommes, animés d'un excellent esprit. On ne tarda à recevoir du canon que pas les Psariens envoyèrent, et le port fut fortifié de manière à ne rien craindre du continent, dont l'île n'est séparée que par un bras de mer d'un mille, qu'on peut franchir sur des radeaux.

Cette espèce de canal entre dans le système de défense de Samos, où l'on n'aborde que par le port Vathi, l'île n'offrant, dans une circonférence de plus de vingt-deux lieues, à l'exception d'une plage aboutissant aux montagnes, que des côtes inaccessibles aux plus faibles barques. Ce mouillage est lui-même borné à peu de distance par des contreforts escarpés, dans lesquels on ne pénètre qu'à la faveur de défilés, susceptibles d'être défendus en faisant rouler des roches qui forment des avalanches de pierres, plus meurtrières que le feu de l'artillerie. Les Samiens connaissaient l'avantage de la position qu'ils occupaient; et une idée salutaire qu'ils conçurent les plaça tout à coup à la tête de l'insurrection. Ils se considérèrent comme le lieu d'aşyle des chrétiens de l'Asie mineure; et la terre témoin du supplice de Polycrate tressaillit sans doute d'allégresse, lorsqu'on proposa, dans le conseil des anciens, de former des corps disciplinés à l'européenne, afin de défendre ce boulevard de l'indépendance.

Plusieurs Samiens avaient combattu sous nos drapeaux pendant l'expédition d'Égypte; d'autres avaient servi en Russie; et quelques jeunes gens, s'étant soumis à l'apprentissage de la manoeuvre, devinrent les instructeurs des milices montagnardes. Vers le commencement de mai, trois mille Samiens marchaient au pas, chargeaient par temps, lorsque les persécutions suscitées contre les chrétiens de l'Asie mineure firent refluer vers eux une multitude de proscrits. Le dénombrement des soldats

qui vinrent ainsi grossir leurs rangs se montait, au premier juin, à plus de quatre mille, tous gens de cœur. On n'avait encore mis en pratique que le système de stratégie par compagnie: mais alors on les amalgama en régiments; et les officiers français de la Chevrette, corvette commandée par M. Richard, qui eurent occasion de les voir manœuvrer, furent étonnés de leur belle tenue. Les chefs étaient coiffés du casque hellénien, les soldats vêtus du costume héroïque; et si les mousquets n'eussent pas annoncé la différence des temps, on les aurait pris pour les vainqueurs de Tigrane.

Au récit de ce prodige politique, les Turcs frémirent, et les Grecs de Scala Nova (1), de la Carie, de la Doride, de la Lycaonie, qui purent échapper à leurs poignards, s'embarquèrent en foule pour Samos. L'île qu'ils encombraient allait se trouver dans le même embarras que Psara, par cette surabondance de population, si l'approche du danger n'avait pas obligé les femmes et les enfants, qui faisaient partie des réfugiés, à se retirer dans des îles éloignées. Dans cette crise, l'archevêque de Samos devint le soutien de tous les infortunés. Il pourvut à leur embarquement, et il resta au milieu de dix mille combattants, qu'il eut le rare bonheur de

(1) Il paraît que ce port est celui d'Éphèse, dont le port ou échelle était Myos, qui, dit un ancien voyageur, n'est esloignée que d'une demi-lieue du Méandre, appelée par les Turcs CouchAdas, c'est-à-dire, l'isle des oiseaux; et par les marchands estrangers, Scala Nova. Relation du Voyage du Levant du sieur Duloir, pag. 35, Paris, 1654.

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maintenir dans une union parfaite. Il avait persuadé au Sénat de les tenir en haleine; on résolut d'attaquer le continent, car la guerre doit nourrir

la guerre.

La première expédition qu'on fit en Asie fut de deux mille hommes, qui revinrent chargés de butin et suivis d'un grand nombre d'esclaves turcs des deux sexes, qu'on ne relâcha qu'après en avoir tiré une copieuse rançon. Huit jours après, les Samiens descendirent de nouveau au fond du golfe de Mycale, où la supériorité de la discipline leur procura la victoire contre une multitude de barbares qui se battirent avec acharnement. Enfin, ils renouvelèrent si souvent leurs excursions, que la partie de l'Anatolie qui fait face à Samos fut abandonnée à plus de six lieues à la ronde par les mahométans.

Les Turcs, qui ne se vengent jamais qu'en lâches, répondaient à chaque victoire des Samiens par le meurtre des chrétiens, que le gouvernement turc livrait à leurs ressentiments. Ainsi, pour les préparer au carnage, on ferma les yeux sur quelques assassinats qui eurent lieu à Smyrne, dans les premiers jours de juin, car les grands coups ne devaient être portés qu'à l'apparition de la flotte turque. Elle était sortie de Constantinople, vers le milieu du mois de mai, avec des équipages composés de vagabonds de race franque, de galériens tirés du bagne, et d'un ramassis de brigands armés, commandés par un vice-amiral qui ne leur cédait en rien pour l'ignorance.

C'était une des créatures du capitan pacha Kara

Ali, qui était resté en arrière pour organiser une seconde escadre, avec laquelle il devait rejoindre son protégé à Mitylène, où le rendez-vous était fixé. Après avoir louvoyé pendant quinze jours sur la Propontide et l'Hellespont, les défenseurs du Croissant, dont les joyeux entretiens roulaient chaque jour sur le plaisir d'incendier les vaisseaux grecs, de dévaster les îles, et de rapporter des cargaisons de têtes à Constantinople, mouillèrent aux Dardanelles. Le sultan les croyait, comme on l'a su depuis, déja arrivés à Mitylène; et, l'œil fixé sur les mers, il en attendait des nouvelles, lorsqu'il apprit que ses braves se trouvaient encore à peu près aux portes de la capitale. Ils s'étaient, au reste, signalés à leur premier attérage, en égorgeant une soixantaine d'artisans grecs, domiciliés dans la ville asiatique des Dardanelles. Ils avaient ensuite pillé des maisons, des églises; brûlé et saccagé le village de Maïto, situé de l'autre côté du détroit; ce n'était rien, puisqu'il n'avait péri que des chrétiens, pourvu qu'on remît en mer. L'ordre leur en fut de nouveau expédié, et celui qui en était porteur ne les quitta qu'après leur avoir vu doubler le cap Sigée.

Le grand Imam avait prédit aux mahométans: que les infidèles baisseraient pavillon à l'aspect du Croissant. On cinglait daus cette confiance vers Imbros, lorsqu'on découvrit l'avant-garde de l'escadre grecque, courant bord sur bord, avec l'étendard de la Croix déployé. La tenue de ces petits navires, leur marche rapide, la précision des manœuvres

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