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des Balkans de soutenir contre les Turcs une lutte plus sérieuse. En 1829, pendant l'occupation russe, des soulèvements eurent lieu sur plusieurs points; ils se reproduisirent en 1838; mais l'on remarqua à cette époque que l'esprit de révolte était plus général et qu'il se manifestait dans des régions qui jusqu'alors y étaient restées étrangères. Trois ans plus tard l'effervescence gagnait le pays tout entier.

Un consul étranger écrivait alors : « Les troubles de Bulgarie sont particulièrement déplorables par les cruautés qui en accompagnent la répression et surtout par les excès de toute sorte qui paraissent les avoir suscités. Si la Porte ne réagit pas contre les méfaits des autorités locales, elle risque de voir, comme elle l'a vu en Grèce, le principe du droit sur lequel elle s'appuie et qui la protège auprès des gouvernements européens, céder enfin au cri de l'humanité outragée. »>

En 1850 les exactions des pachas n'en provoquèrent pas moins aux environs de Viddin et de Nisch des désordres assez graves pour qu'Omer-pacha fut appelé à y mettre fin. En 1867 et en 1868, le vilayet du Danube fut le théâtre de plusieurs tentatives armées préparées en Roumanie et l'on n'a pas oublié les exécutions sommaires de Roustchouk ordonnées par Midhat pacha.

Il n'était donc pas juste, aux jours de l'oppression, de considérer les Bulgares, si ignorants et si grossiers qu'ils fussent, comme un peuple satisfait ou comme un peuple indolent dont une longue servitude avait brisé la résistance. Ils savaient au besoin revendiquer leurs droits d'hommes libres et mettre au service de leur cause une remarquable persévérance.

Qui pouvait douter désormais de leur patiente énergie

après les douze années de luttes qui leur avaient valu l'autonomie religieuse, c'est-à-dire la restauration de leur antique église autocéphale d'Okrida et de Tirnovo? N'étaitil pas permis de prévoir que cette première délivrance serait pour eux un acheminement vers l'indépendance nationale qui n'avait pas d'ennemi plus acharné que le clergé phanariote ? Au moyen-âge la constitution politique des empires éphémères de Bulgarie et de Servie avait précédé leur émancipation religieuse comme celle de la Russie. et du royaume hellénique. C'était de toute évidence une évolution contraire qu'annonçait la création de l'Exarchat érigé en 1870. L'affranchissement religieux du principal groupe slave de la Turquie devait préparer son affranchissement politique et, désormais posée devant l'Europe, la question bulgare se dégageait comme un rejeton de la tige déjà puissante qui avait donné naissance à la Grèce et à la Servie modernes.

Aussi bien les Bulgares par plus d'un côté pouvaient se croire non moins aptes que les Serbes au selfgovernment; ils avaient même sur ceux-ci une incontestable supériorité, celle de la patience et du travail. Cette patience si caractéristique avait porté les plus résolus d'entre eux, ceux qui poursuivaient l'idée d'une séparation politique en même temps que le triomphe de l'autonomie cléricale, à des ménagements qui pouvaient faire illusion à la Porte au milieu de ses complications intérieures. Le jeune parti bulgare qui, antérieurement à 1870, avait pour organes des comités secrets établis en Roumanie, loin de viser à l'indépendance absolue vis-à-vis du pouvoir ottoman, n'allait même pas jusqu'à réclamer des immunités aussi étendues que celles dont jouissaient alors les principautés danubiennes.

Il demandait que la Bulgarie se rattachât intimement au gouvernement turc par l'union personnelle; le Sultan aurait été roi des Bulgares; il aurait délégué ses pouvoirs à un gouverneur général ou vice-roi chrétien, chef effectif de l'administration et de l'armée indigènes et magistrat suprême élu par une assemblée nationale. Ce vice-roi aurait géré le pays avec le concours d'un conseil permanent institué par l'assemblée nationale. « Les glorieux maîtres de l'Empire connaissent la fidélité des Bulgares, proclamaient en 1867 les auteurs anonymes de cette constitution. Nous-mêmes qui parlons aujourd'hui, nous entendons respecter cette tradition de nos ancêtres. Toutefois nos souffrances sont devenues intolérables et elles exigent un prompt remède..... Si notre souverain se refusait à tenir compte de notre malheureux état et de nos aspirations légitimes, nous jetterions, comme par le passé, les yeux sur ceux de nos coreligionnaires dont nous pourrions attendre sympathie et secours efficaces et nous saluerions comme libérateur tout étranger conquérant de notre pays. Comment inspirer au peuple bulgare le désir de défendre l'Empire comme son propre territoire ? C'est en lui accordant des droits qui l'attacheraient à l'Empire comme à sa propre patrie. Six millions de Bulgares associés aux fils des Osmanlis ne seraient pas à dédaigner. Ils verraient dans celui qui attenterait à leur autonomie un ambitieux dont il faudrait combattre énergiquement les tendances envahissantes. >>

C'est la Russie, on ne saurait s'y tromper, qui était signalée par les Bulgares eux-mêmes comme l'ennemie éventuelle de la libre Bulgarie et comme l'appui naturel de la Bulgarie opprimée.

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Ces témoignages, si intéressés qu'on les juge, ont leur prix à la veille de la guerre qui va changer la condition politique des Slaves orientaux. Et comme il s'agit ici d'une étude préliminaire destinée à expliquer un fait historique considérable, il n'est pas inutile d'exposer, ne serait-ce que par une courte mention, les vues particulières du gouvernement étranger que ce fait a mis en scène et qui l'a préparé.

Le cabinet de Saint-Pétersbourg caressait l'idée d'un État bulgare bien avant qu'elle ne se fut pour ainsi dire incorporée dans le « comité central bulgare » siégeant à Bukarest. L'empereur Nicolas y avait fait allusion dans ses entretiens confidentiels avec l'ambassadeur britannique en 1854; il se considérait comme le protecteur nécessaire de la nouvelle principauté, c'est-à-dire qu'il entendait y exercer une autorité analogue à celle que le réglement organique de 1831 lui avait reconnue dans les provinces moldo-valaques.

Or ce précédent roumain qui remonte à plus d'un demi siècle, nous verrons la Russie l'invoquer pour sa justification dans le cours des événements qui vont se développer sous nos yeux (1).

(1) Pro memoriâ russe du 9 avril 1878.

CHAPITRE XIV.

Insurrection de l'Herzégovine.

de 1875.

Nouvelle charte

L'oppression en Turquie s'est presque toujours fait sentir sous la forme brutale de l'impôt. Elle était légitimée par ce précepte du Coran : « Frappez les infidèles jusqu'à ce qu'ils s'humilient et payent la taxe. »

La capitation pour les raias, le tribut pour les vassaux et même pour les États indépendants que les armées de l'Islam avaient momentanément occupés, tel a été dès les premiers temps le signe ostensible et le vrai bénéfice de la conquête.

Cependant, rappelons-le, à l'origine les communautés non musulmanes furent chargées de la répartition et des collections fiscales et quoique taillées à merci, elles supportèrent patiemment un régime qui mettait du moins les contribuables à l'abri d'avanies individuelles.

L'abus a commencé ou du moins est devenu intolérable quand le pouvoir se substituant aux municipalités, s'est fait représenter auprès d'elles par des fermiers. De ce moment la perception de l'impôt a été arbitraire, inique et vexatoire. A la longue sans doute, le raia n'a plus été exposé à la honte du soufflet par lequel le collecteur en fonction constatait son autorité; mais il a été impunément dépouillé.

Aussi, comme je le constatais dans le résumé qui termine le premier livre de cette histoire, la plupart des soulèvements

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