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Il ne paraît pas que l'on doive rejeter une prétention qui se fonde avant tout sur une considération d'équité. Si l'étranger profite du nouvel ordre de choses, lorsqu'il a gain de cause, comment admettre qu'il puisse s'y soustraire, lorsque la sentence est rendue contre lui (1)?

(1) Déjà l'Angleterre, l'Autriche-Ilongrie et les Etats-Unis ont accepté l'intervention de l'autorité locale.

CHAPITRE XXIV.

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Antagonisme des Slaves et des Grecs. La réforme en Albanie.

La question bulgare posée au congrès de Berlin pouvait être considérée comme résolue en tant qu'elle avait pour objet d'une part la formation d'une principauté tributaire au nord des Balkans et d'autre part l'institution d'un gouvernement spécial dans la province inférieure dite Roumélie orientale. Cependant, comme on l'a vu, cette double création était loin de répondre aux aspirations et aux vœux de la grande race chrétienne qui prédomine dans la Turquie d'Europe. Elle ne pouvait satisfaire les Bulgares autonome's non seulement parce qu'elle établissait entre eux une séparation arbitraire; mais aussi parce qu'elle laissait sous la domination directe et absolue de la Porte des provinces occupées par des congénères que le traité de San-Stefano avait émancipés.

Au-delà des limites assignées à la Roumélie orientale et à la principauté bulgare, il y avait, en effet, la Macédoine qui s'était trouvée un moment unie aux destinées de ces deux groupes et qui se réclamait de ce précédent comme s'il n'avait point été rayé du programme de Berlin. Cette région, l'ancien royaume de Philippe et d'Alexandre, compte environ 600.000 Bulgares contre 300.000 Turcs, 60.000 Grecs et 20.000 Valaques. En attendant mieux, la Macédoine demandait à former un vilayet autonome, c'està-dire une seconde Roumélie.

Les Grecs de leur côté s'élevaient avec véhémence contre les prétentions envahissantes des Bulgares méridionaux en leur déniant tous droits à l'hégémonie dans un pays « où l'hellénisme avait eu le privilège de jeter les assises de la civilisation. » « Il n'y a qu'une trentaine d'années, disaient lés Syllogues de Constantinople (1), que les Bulgares ont commencé à donner signe de vie en Macédoine. Ce sont des colons nomades, des immigrants venus comme simples ouvriers au service des begs et des Grecs propriétaires et ils ne sont pas plus autorisés à se dire les maîtres légitimes du sol qu'ils habitent, que les Chinois de Californie et les Flamands du nord de la France. »

Toutes spéculatives qu'elles puissent paraître en présence des résolutions formelles du congrès de Berlin, ces revendications réciproques n'en avaient pas moins une portée pratique très sérieuse, en tant que manifestations locales des grandes rivalités de races avec lesquelles l'Europe avait à compter dans l'exécution de ses volontés souveraines.

L'antagonisme de l'élément grec et de l'élément slave en Orient, était de date relativement récente. Il n'existait pas à la fin du siècle dernier. A cette époque les phanariotes constituaient un parti puissant à Constantinople; ils gouvernaient la Moldavie et la Valachie; la plupart des

(1) En 1869, il s'est formé en Turquie une société grecque qui s'est donnée pour tàche de combattre le slavisme oriental. Elle devait prendre tout d'abord le nom d'hétairie; mais on a pensé que cette qualification serait trop transparente par les souvenirs qu'elle rappelait. Celle de syllogues ou association pour la propagation des let tres grecques lui a été préférée.

éparchies balkaniques leur appartenaient et les populations bulgares et serbes subissaient patiemment la servitude ottomane. C'était à peine si les Slaves étaient distingués des Grecs; on ne les qualifiait même pas de GrecsSlaves, dénomination que se sont plu à leur donner plus tard des philhellènes obstinés. L'on ne voyait dans les uns et les autres que des chrétiens courbés sous la même loi despotique, relevant presque tous d'une même confession et représentés auprès du pouvoir central par une même autorité, celle du patriarchat de Constantinople. La religion primait à ce point la nationalité qu'en Syrie même l'on appelait grecs les arabes orthodoxes.

Depuis, tout à bien changé. La Morée et les provinces supérieures ont été, il est vrai, érigées en État indépendant et les îles Ioniennes leur ont été annexées. Mais la domination phanariote a cessé dans les provinces danubiennes ; les Slaves ottomans se sont réveillés comme les Roumains; un certain nombre d'entre eux ont reconquis leur autonomie; tous ont plus ou moins senti et essayé leurs forces; tous ont eu conscience de leurs droits. Enfin le clergé grec qui disposait des sièges épiscopaux de la Bulgarie, a dû presque partout les abandonner et désormais l'on ne peut plus dire comme le proclamait en 1822 l'assemblée de Trézènes : « Tous les habitants de l'Empire turc qui croient en Jésus-Christ sont compris dans la nouvelle nationalité grecque. >>

Aujourd'hui c'est l'élément slave qui l'emporte sur l'élément hellénique et aux yeux de la Russie du moins, les Grecs doivent renoncer désormais à leur grand rôle dans l'œuvre traditionnelle de délivrance à laquelle les Czars les avaient longtemps associés.

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