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pourrions la rapporter à leur origine: mais puifqu'elle n'a été inventée que comme une aide, & qu'elle n'a point été formée originairement comme une regle invariable, il faut l'accommoder à notre usage, du mieux qu'il nous eft poffible, & ne nous pas figurer que les regles en puiffent être certaines, & fans beaucoup d'exceptions.

Examinons-en quelques points en peu de mots.

Premierement, pour parler des Lettres, nous pe fommes pas d'accord fur leur origine, qui ferviroit bien à fixer nos Alphabets. A la verité les Lettres Latines femblent dériver des Lettres Grecques, les Grecques des Phéniciennes, & les Phéniciennes des Hébraïques. On a tâché de prouver cela, tant par l'Hiftoire, que par le rapport des Lettres, en tournant les caracteres Hébreux

à main droite, felon notre maniere d'écrire. Mais comment répondre après à l'objection fui

vante?

Cadmus, qui apporta les Lettres Phéniciennes chez les Grecs, n'en apporta, dit-on, que feize, Il en avoit donc laiffé quelquesunes en arriere. Car depuis que nous avons eu des écrits en Phénicien ou en Hébreu, l'Alphabet de chacune de ces Langues a toujours été fixe, & de la même étenduë qu'il eft à préfent: ce qui eft évident par plufieurs Pfeaumes & chapitres chiffrés avec les Lettres de l'Alphabeth. S'il y avoit plus de certitude fur l'origine des Lettres, il feroit moins difficile d'en déterminer le nombre, & d'en fixer la valeur; mais on ne fçait que décider fur ces deux points; & les Critiques font en grande difpute à l'égard de quelques Lettres, fçavoir fi c'en eft,

ou non.

que

2o. Nous rencontrons des difficultés également grandes, foit dans l'étymologie, foit dans l'analogie: ce qui provient de ce les Langues ont été formées par le hazard, & non par aucune regle certaine. Lorfque Varron écrivit fon livre de Lingua Latina, certainement l'analogie étoit problématique. Il apporte plu fieurs raifons pour & contre. II oppofe tant d'argumens, & des objections fi fortes, qu'il faut convenir que la question est demeurée douteufe. Dans le même fiècle, Pompée propofa une difficulté* touchant l'analogie d'un mot, à la plupart des Sçavans de Rome, du nombre defquels étoit Ciceron. Ils ne pûrent la réfoudre, & elle refta indécife. S'ils étoient fi indéterminés, eux qui avoient plus de facilités que nous dans leurs recherches, en ce qu'ils

* V. A. Gell. 1.10. cap. 1.

étoient moins éloignés de l'origine; qu'ils avoient plufieurs monumens de l'Antiquité, & que la langue Latine étoit encore vivante chez eux; à plus forte raifon devons-nous l'être, nous qui vivons dans un temps fi éloigné, & qui n'avons pas les mêmes fecours. Nous fommes réduits à tì. rer nos plus grandes lumieres des livres qu'ils nous ont laiffés; & l'avantage que nous avons audeffus d'eux, eft de pouvoir en profiter. C'eft pour cela que nous les fuivons de près, & que nous nous enrapportons beaucoup plus à l'ufage des auteurs anciens & approuvés, qu'à la raison des mots, qui ne restent jamais dans un état fixe & certain. Combien y en a-t-il d'affez conformes à l'analogie, & dont les Sçavans de nos jours fe fervent, qui pour n'avoir point été employés par les Anciens, font non feulement

defapprouvés, mais encore regardés par les Critiques comme des mots qu'on doit profcrire ? Voffius en fournit un nombre infini d'exemples. Peu de perfonnes feroient difficulté de fe fervir des mots, incertitudo, ingratitudo, & d'autres femblables: ils n'ont rien qui foit defagréable, ni qui bleffe l'oreille; neanmoins nos Critiques modernes les ont condamnés, parce que les meilleurs Auteurs claffiques ne s'en font point fervis, & qu'il femble qu'ils les aïent évités, quand ils les ont rencontrés dans leur chemin, en paraphrafant, ou mettant des mots Grecs à la place. Il s'eft trouvé tant d'irrégularités dans les mots, & tant de diverses opinions entre ceux qui en ont traité, que quelques perfonnes ont pris le parti de la négative, & n'ont point voulu admettre d'a* de Vit. Sermon, Sparfim.

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