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Plus loin de là, on le voit qui l'enlève pour l'emporter sur le lit nuptial. Les dieux suivent en foule: la déesse se débat, et veut échapper des bras qui la tiennent. Sa robe fuit ses genoux, la toile vole: mais Vulcain répare ce beau désordre, plus attentif à la cacher qu'ardent à la ravir.

Enfin on le voit qui vient de la poser sur le lit que l'Hymen a préparé: il l'enferme dans les rideaux, et il croit l'y tenir pour jamais. La troupe importune se retire: il est charmé de la voir s'éloigner. Les déesses jouent entre elles: mais les dieux paroissent tristes; et la tristesse de Mars a quelque chose d'aussi sombre que la noire jalousie.

Charmée de la magnificence de son temple, la déesse elle-même y a voulu établir son culte: elle en a réglé les cérémonies, institué les fêtes; et elle y est en même temps la divinité et la prêtresse.

Le culte qu'on lui rend presque par toute la terre est plutôt une profanation qu'une religion. Elle a des temples où toutes les filles de la ville se prostituent en son honneur, et se font une dot des profits de leur dévotion. Elle en a où chaque femme mariée va, une fois en sa vie, se donner à celui qui la choisit, et jette dans le sanctuaire l'argent qu'elle a reçu. Il y en a d'autres où les courtisanes de tous les pays, plus honorées que les matrones, vont porter leurs offrandes. Il y en a enfin où les hommes se font eunuques, et s'habillent en femmes pour servir dans le sanctuaire, consacrant à la déesse, et le sexe qu'ils n'ont plus, et celui qu'ils ne peuvent pas avoir.

Mais

Mais elle a voulu que le peuple de Gnide eût un culte plus pur, et lui rendît des honneurs plus dignes d'elle. Là, les sacrifices sont des soupirs, et les offrandes un coeur tendre. Chaque amant adresse ses voeux à sa maîtresse, et Vénus les reçoit pour elle.

Par-tout où se trouve la beauté, on l'adore comme Vénus même: car la beauté est aussi divine qu'elle.

Les coeurs amoureux viennent dans le temple; ils vont embrasser les autels de la Fidélité et de la Constance.

Ceux qui sont accablés des rigueurs d'une cruelle y viennent soupirer: ils sentent diminuer leurs tourments : ils trouvent dans leur coeur la flatteuse espérance.

La déesse, qui a promis de faire le bonheur des vrais amants, le mesure toujours à leurs peines.

La jalousie est une passion qu'on peut avoir, mais qu'on doit taire. On adore en secret les caprices de sa maîtresse; comme on adore les décrets des dieux, qui deviennent plus justes lorsqu'on ose s'en plaindre.

On met au rang des faveurs divines le feu, les transports de l'amour, et la fureur même: car moins on est maître de son coeur, plus il est à la déesse.

Ceux qui n'ont point donné leur coeur sont des profanes qui ne peuvent pas entrer dans le temple: ils adressent de loin leurs voeux à la déesse, et lui demandent de les délivrer de cette

liberté, qui n'est qu'une impuissance de former des désirs.

La déesse inspire aux filles de la modestie: cette qualité charmante donne un nouveau prix à tous les trésors qu'elle cache.

Mais jamais, dans ces lieux fortunés, elles n'ont rougi d'une passion sincère, d'un sentiment naïf, d'un aveu tendre.

Le coeur fixe toujours lui-même le moment auquel il doit se rendre: mais c'est une profanation de se rendre sans aimer.

L'Amour est attentif à la félicité des Gnidiens: il choisit les traits dont il les blesse. Lorsqu'il voit une amante affligée, accablée des rigueurs d'un amant, il prend une flèche trempée dans les eaux -du fleuve d'oubli. Quand il voit deux amants qui commencent à s'aimer, il tire sans cesse sur eux de nouveaux traits. Quand il en voit dont l'amour s'affoiblit, il le fait soudain renaître ou mourir; car il épargne toujours les derniers jours d'une passion languissante. On ne passe point par les dégoûts avant de cesser d'aimer; mais de plus grandes douceurs font oublier les moindres.

L'Amour a ôté de son carquois les traits cruels dont il blessa Phèdre et Ariadne, qui, mêlés d'amour et de haine, servent à montrer sa puissance, comme la foudre sert à faire connoître l'empire de Jupiter.

A mesure que le dieu donne le plaisir d'aimer, Vénus y joint le bonheur de plaire.

Les filles entrent chaque jour dans le sanctuaire pour faire leur prière à Vénus. Elles y expriment des sentiments naïfs comme le coeur qui les fait naître. Reine d'Amathonte, disoit l'une d'elles, ma flamme pour Thyrsis est éteinte : je ne te demande pas de me rendre mon amour; fais seulement qu'Ixiphile m'aime.

Une autre disoit tout bas: Puissante déesse donne-moi la force de cacher quelque temps mon amour à mon berger, pour augmenter le prix de l'aveu que je veux lui en faire.

Déesse de Cythère, disoit une autre, je cherche la solitude; les jeux de mes compagnes ne me plaisent plus: j'aime peut-être. Ah! si j'aime quelqu'un, ce ne peut être que Daphnis.

Dans les jours de fêtes, les filles et les jeunes garçons viennent réciter des hymnes en l'honneur de Vénus: souvent ils chantent sa gloire en chantant leurs amours.

Un jeune Gnidien, qui tenoit par la main sa maîtresse, chantoit ainsi: Amour, lorsque tu vis Psyché, tu te blessas sans doute des mêmes traits dont tu viens de blesser mon coeur: ton bonheur n'étoit pas différent du mien; car tu sentois mes feux, et moi j'ai senti tes plaisirs.

J'ai vu tout ce que je décris. J'ai été à Gnide; j'y ai vu Thémire, et je l'ai aimée: je l'ai vue encore, et je l'ai aimée davantage. Je resterai toute ma vie à Gnide avec elle, et je serai le plus heureux des mortels.

Nous irons dans le temple, et jamais il n'y sera entré un amant si fidèle: nous irons dans le palais de Vénus, et je croirai que c'est le palais de Thémire: j'irai dans la prairie, et je cueillerai des fleurs que je mettrai sur son sein. Peutêtre que je pourrai la conduire dans le bocage où tant de routes vont se confondre; et quand elle sera égarée..... L'Amour, qui m'inspire, me défend de révéler ses mystères.

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