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malheurs; et, laissant au public ses jugemens toujours aveugles, il se borna à la consolation de voir ses disgraces respectées par quelques fidèles amis. Ainsi la patrie, qui a un droit réel sur nos biens et sur nos vies, exige quelquefois que nous lui sacrifiions notre gloire: ainsi presque tous les grands hommes, chez les Grecs et chez les Romains, souffroient sans se plaindre que leur ville flétrît leurs services.

M. le duc de la Force a passé les dernières années de sa vie dans une espèce de retraite. Il n'étoit point de ceux qui ont besoin de l'embarras des affaires pour remplir le vuide de leur ame: la philosophie lui offroit de grandes occupations, une magnifique économie, un jugement universel. Il vivoit dans les douceurs d'une société paisible, entouré d'amis qui l'honoroient, toujours charmés de le voir, et toujours ravis de l'entendre. Et, si les morts ont encore quelque sensibilité pour les choses d'ici-bas, puisse-t-il apprendre que sa mémoire nous est toujours chère! puisse-t-il nous voir occupés à transmettre à la postérité le souvenir de ses rares qualités!

Comme on voit croître les lauriers sur le tombeau d'un grand poète, il semble que l'académie renaisse des cendres mêmes de son protecteur. Trois ans entiers s'étoient écoulés sans que nous eussions pu donner une seule couronne; et, ne voyant pas que les savans fussent moins appliqués, nous commencions à croire qu'ils avoient perdu la confiance qu'ils avoient en nos jugemens. Nous

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avons cette année annoncé trois prix, et deux ont été donnés.

De toutes les dissertations que nous avons reçues sur la cause et la vertu des bains, aucune n'a mérité les suffrages de l'académie. Quant à celles qui ont été faites sur la cause du tonnerre, deux ont mérité, deux ont partagé son attention. L'auteur qui a vaincu a un rival qui sans lui auroit mérité de vaincre, et dont l'ouvrage n'a pu être honoré que de nos éloges.

DISCOURS

PRONONCÉ

2

A LA RENTRÉE DU PARLEMENT

DE BORDEAUX, LE JOUR DE LA St. MARTIN,

I 7 2 5.

QUE

XUE celui d'entre nous qui aura rendu les lois esclaves de l'iniquité de ses jugemens, périsse sur l'heure! Qu'il trouve en tout lieu la présence d'un Dieu vengeur, et les puissances célestes irritées! Qu'un feu sorte de dessous terre et dévore sa maison! Que sa postérité soit à jamais humiliée! Qu'il cherche son pain et ne le trouve pas! Qu'il soit un exemple affreux de la justice du ciel, comme il en a été un de l'injustice de la terre!

C'est à peu près ainsi, messieurs, que parloit un grand empereur; et ces paroles si tristes, si terribles, sont pour vous pleines de consolation. Vous pouvez tous dire en ce moment à ce peuple assemblé, avec la confiance d'un juge d'Israël : Si j'ai commis quelque injustice, si j'ai opprimé quelqu'un de vous, si j'ai reçu des présens de quelqu'un d'entre vous, qu'il élève la voix, qu'il parle contre moi aux yeux du Seigneur: LOQUIMINI DE ME CORAM DOMINO, ET CONTEMNAM ILLUD

Je ne parlerai donc point de ces grandes corruptions qui, dans tous les temps, ont été le présage du changement ou de la chûte des états; de ces injustices de dessein formé; de ces méchancetés de systême; de ces vies toutes marquées de crimes, où des jours d'iniquités ont toujours suivi des jours d'iniquités; de ces magistratures exercées au milieu des reproches, des pleurs, des murmures et des craintes de tous les citoyens: contre des juges pareils, contre des hommes si funestes, il faudroit un tonnerre; la honte et les reproches ne sont rien.

Ainsi, supposant dans un magistrat sa vertu essentielle, qui est la justice, qualité sans laquelle il n'est qu'un monstre dans la société, et avec laquelle il peut être un très mauvais citoyen, je ne parlerai que des accessoires qui peuvent faire que cette justice abondera plus ou moms. Il faut qu'elle soit éclairée; il faut qu'elle soit prompte, qu'elle ne soit point austère, et enfin qu'elle soit universelle.

Dans l'origine de notre monarchie, nos pères, pauvres, et plutôt pasteurs que laboureurs, soldats plutôt que citoyens, avoient peu d'intérêts à régler; quelques lois sur le partage du butin, sur la pâture ou le larcin des bestiaux, régloient tout dans la république tout le monde étoit bon pour être magistrat chez un peuple qui dans ses moeurs suivoit la simplicité de la nature, et à qui son ignorance et sa grossièreté fournissoient des moyens aussi faciles qu'injustes de terminer les différens,

comme le sort, les épreuves par l'eau, par le feu, les combats singuliers, etc.

Mais depuis que nous avons quitté nos moeurs sauvages; depuis que, vainqueurs des Gaulois et des Romains, nous avons pris leur police; que le code militaire a cédé au code civil; depuis surtout que les lois des fiefs n'ont plus été les seules lois de la noblesse, le seul code de l'état, et que par ce dernier changement le commerce et le labourage ont été encouragés; que les richesses des particuliers et leur avarice se sont accrues; qu'on a eu à démêler de grands intérêts, et des intérêts presque toujours cachés ; que la bonne foi ne s'est réservé que quelques affaires de peu d'importance, tandis que l'artifice et la fraude se sont retirés dans les contrats, nos codes se sont augmentés: il a fallu joindre les lois étrangères aux nationales; le respect pour la religion y a mêlé les canoniques; et les magistratures n'ont plus été le partage que des citoyens les plus éclairés.

Les juges se sont toujours trouvés au milieu des pièges et des surprises, et la vérité a laissé dans leur esprit les mêmes méfiances que l'erreur.

L'obscurité du fond a fait naître la forme. Les fourbes, qui ont espéré de pouvoir cacher lear malice, s'en sont fait une espèce d'art: des professions entières se sont établies, les unes pour obscurcir, les autres pour alonger les affaires; et le juge a eu moins de peine à se défendre de la mauvaise foi du plaideur, que de l'artifice de celui à qui il confioit ses intérêts.

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