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l'on sait aimer. Et, pendant que cette troupe se livrera à une joie insensée, ma joie, mes soupirs, et mes larmes même, te rediront sans cesse mes

amours.

Le dieu sourit à Ariadne; il la mena dans le sanctuaire. La joie s'empara de nos coeurs: nous sentîmes une émotion divine. Saisis des égarements de Silène et des transports des bacchantes, nous prîmes un thyrse, et nous nous mêlâmes dans les danses et dans les concerts.

SEPTIÈME CHAN T.

Nous quittâmes les lieux consacrés à Bacchus;

mais bientôt nous crûmes sentir que nos maux n'avoient été que suspendus. Il est vrai que nous n'avions point cette fureur qui nous avoit agités; mais la sombre tristesse avoit saisi notre ame, et nous étions dévorés de soupçons et d'inquiétudes.

Il nous sembloit que les cruelles déesses ne nous avoient agités que pour nous faire pressentir des malheurs auxquels nous étions destinés.

Quelquefois nous regrettions le temple de Bacchus; bientôt nous étions entraînés vers celui de Gnide: nous voulions voir Thémire et Camille, ces objets puissants de notre amour et de notre jalousie.

Mais nous n'avions aucune de ces douceurs que l'on a coutume de sentir lorsque, sur le point de revoir ce qu'on aime, l'ame est déjà ravie, et semble goûter d'avance tout le bonheur qu'elle se promet.

Peut-être, dit Aristée, que je trouverai le. berger Lycas avec Camille; que sais - je s'il ne lui parle pas dans ce moment? O dieux! l'infidèle prend plaisir à l'entendre.

On disoit l'autre jour, repris-je, que Thyrsis, qui a tant aimé Thémire, devoit arriver à Gnide: il' l'a aimée, sans doute qu'il l'aime encore: il faudra que je dispute un coeur que je croyois tout à moi.

L'autre jour, Lycas chantoit ma Camille: què j'étois insensé! j'étois ravi de l'entendre louer.

Je me souviens que Thyrsis porta à ma Thémire des fleurs nouvelles. Malheureux que je suis elle les a mises sur son sein! C'est un présent de Thyrsis, disoit-elle, Ah! j'aurois dû les arracher et les fouler à mes pieds.

Il n'y a pas long-temps que j'allois avec Camille faire à Vénus un sacrifice de deux tourterelles : elles m'échappèrent, et s'envolèrent dans les airs.

J'avois écrit sur des arbres mon nom avec celui de Thémire: j'avois écrit mes amours, je les lisois et relisois sans cesse ; un matin je les trouvai effacées.

Camille, ne désespère point un malheureux qui t'aime l'amour qu'on irrite peut avoir tous les effets de la haine.

Le premier Gnidien qui regardera ma Thémire, je le poursuivrai jusques dans le temple; et je le punirai, fût-il aux pieds de Vénus.

Cependant nous arrivâmes près de l'antre sacré où la déesse rend ses oracles. Le peuple étoit comme les flots de la mer agitée: ceux-ci venoient d'entendre, les autres alloient chercher leur réponse.

Nous entrâmes dans la foule: je perdis l'heureux Aristée déjà il avoit embrassé sa Camille; et moi je cherchois encore ma Thémire.

Je la trouvai enfin. Je sentis ma jalousie redoubler à sa vue, je sentis renaître mes premières fureurs: mais elle me regarda, et je devins tranquille. · C'est

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C'est ainsi que les dieux renvoient les Furies, lorsqu'elles sortent des enfers.

O dieux! me dit-elle, que tu m'as coûté de larmes! Trois fois le soleil a parcouru sa carrière; je craignois de t'avoir perdu pour jamais. Cette parole me fait trembler. J'ai été consulter l'oracle: je n'ai point demandé si tu m'aimois; hélas! je ne voulois que savoir si tu vivois encore. Vénus vient de me répondre que tu m'aimes toujours.

Excuse, lui dis-je, un infortuné qui t'auroit haïe, si son ame en étoit capable. Les dieux, dans les mains desquels je suis, peuvent me faire perdre la raison: ces dieux, Thémire, ne peuvent pas m'ôter mon amour.

La cruelle Jalousie m'a agité, comme dans le Tartare on tourmente les ombres criminelles. J'en tire cet avantage, que je sens mieux le bonheur qu'il y a d'être aimé de toi après l'affreuse situation où m'a mis la crainte de te perdre.

Viens donc avec moi, viens dans ce bois solitaire: il faut qu'à force d'aimer j'expie les crimes que j'ai faits. C'est un grand crime, Thémire, de te croire infidèle.

Jamais les bois de l'Élysée, que les dieux ont faits exprès pour la tranquillité des ombres qu'ils chérissent; jamais les forêts de Dodone, qui parlent aux humains de leur félicité future; ni les jardins des Hespérides, dont les arbres se courbent sous le poids de l'or qui compose leurs fruits, ne furent plus charmants que ce bocage enchanté par la présence de Thémire.

Je me souviens qu'un satyre, qui suivoit une nymphe qui fuyoit toute éplorée, nous vit, et s'arrêta. Heureux amants! s'écria-t-il, vos yeux savent s'entendre et se répondre; vos soupirs sont payés par des soupirs: mais moi, je passe ma vie sur les traces d'une bergère farouche, malheureux pendant que je la poursuis, plus malheureux encore lorsque je l'ai atteinte.

Une jeune nymphe, seule dans ce bois, nous apperçut et soupira. Non, dit-elle, ce n'est que pour augmenter mes tourments que le cruel Amour me fait voir un amant si tendre.

Nous trouvâmes Apollon assis auprès d'une fontaine: il avoit suivi Diane qu'un daim timide avoit menée dans ces bois. Je le reconnus à ses blonds cheveux, et à la troupe immortelle qui étoit autour de lui. Il accordoit sa lyre: elle attire les rochers; les arbres la suivent; les lions restent immobiles. Mais nous entrâmes plus avant dans les forêts, appelés en vain par cette divine harmonie.

Où croyez-vous que je trouvai l'Amour? Je le trouvai sur les lèvres de Thémire; je le trouvai ensuite sur son sein: il s'étoit sauvé à ses pieds; je l'y trouvai encore: il se cacha sous ses genoux; je le suivis; et je l'aurois toujours suivi, si Thémire toute en pleurs, Thémire irritée, ne m'eût arrêté. Il étoit à sa dernière retraite: elle est si charmante, qu'il ne sauroit la quitter. C'est ainsi qu'une tendre fauvette, que la crainte et l'amour retiennent sur ses petits, reste immobile sous la

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