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S. III. Rencontre des Voyeles.

On doit abfolument éviter, dans les Vers, la rencontre des Voyeles qui he se mangent point par la prononciation: c'eft-à-dire, qu'un mot qui finit par une voyele autre que l'e muet, ne peut jamais fe trouver avant un mot qui commence auffi par une voyele, ou par une h non aspirée: ce que M. Defpréaux a très-bien exprimé par ces deux Vers:

Gardez qu'une voyele à courir trop hâtée,

Ne foit d'une voyele en fon chemin heurtée.

La

Ainfi on ne pourroit jamais faire entrer dans des Vers, ces mots loi évangélique, Dieu éternel, vérité immortele, le vrai honeur, &c. Les anciens Poêtes ne s'affujétiffoient pas à cette regle: mais elle est devenue indifpenfable pour ceux d'aujourd'hui.

Quoique l'affirmation oui commence par une voyele, on peut néanmoins la répéter avec grâce dans un Vers, ou la mettre à la fuite d'une interjection terminée par une voyele, comme dans ces Vers:

Oui, oui, fi fon amour ne peut rien obtenir,

Il m'en rendra coupable, & m'en voudra punir.

Hé! oui, tant pis, c'est là ce qui m'afflige.

L'h afpirée étant regardée comme une véritable confone, elle en a toutes les propriétés dans la prononciation : c'est-à-dire, qu'elle peut être précédée des mêmes lettres, & que celles qui fe prononcent ou ne se prononcent pas avec les confones, le prononcent auffi ou ne fe prononcent pas avant I'h afpirée. Ainfi elle peut fe rencontrer à la fuite de quelque voyele que ce puiffe être, comme dans ces Vers:

Chacun s'arme au hazard du livre qu'il recontre.

Dieu qui voyez ma honte, où me dois-je cacher?

Si je la haïffois, je ne la fuirois pas.

On appliquera dans la fuite à l'h non afpirée, ce que nous pourons dire des voyeles; & à l'h afpirée, ce que nous dirons des confones.

Let qui eft renfermé dans la conjonction &, ne se prononçant jamais, on ne peut pas mettre dans les Vers cette conjonction avant un mot qui commence par une voyele. Ainfi ce Vers ne vaudroit rien:

Qui fert & aime Dieu, poffede toutes chofes.

Quoique l'n finale de la négation non, ne fe prononce pas plus que le r de la conjonction &, cependant les Poêtes font en poffeffion de la mettre avant des mots qui commencent par une voyele, comme dans ces Vers:

Non, non, un roi qui veut feulement qu'on le craigne,

Eft moins roi que celui qui fe fait faire aimer.

Nous obferverons, mal-gré cet ufage, que la prononciation de non avant une voyele, n'est pas moins défagréable que celle d'une voyele avant une autre, & qu'il est toujours mieux de mettre cette négation avant une confone, comme dans ce Vers :

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Non, je ne puis foufrir un bonheur qui m'outrage.

On peut dire la même chofe des autres mots qui font terminés par une voyele ou par une diphthongue nafale, dont l'n ne fe prononce pas avant un mot qui commence par une voyele. Ainfi quoiqu'on trouve fouvent dans les Poêtes, ces mots avant d'autres qui commencent par une voyele, la rencontre de la voyele ou diphthongue nasale avec une autre, a toujours quelque chofe de rude à l'oreille : comme on peut le reconoître dans ce Vers: Ah! j'atendrai long-temps : la nuit eft loin encore.

ou dans ceux-ci :

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La premiere fois qu'un renard
Aperçut le lion, animal redoutable,
Il eut une peur éfroyable,

Et s'enfuit bien loin à l'écart.

Cet ufage étant établi & autorisé par les meilleurs Poêtes, nous ne prétendons pas le condamner. Mais on conviendra au moins qu'une confone, à la fuite d'une voyele ou diphthongue nafale dont l'n ne fe prononce pas, rendroit le Vers plus doux & plus coulant, comme dans ceux-ci :

L'un paîtrit dans un coin l'embonpoint des chanoines,
L'autre broie en riant le vermillon des moines.

M. l'Abbé d'Olivet, après avoir raporté dans fon Traité de la Profodie Françoife, ce que M. l'Abbé de Dangeau & M. l'Abbé Régnier ont dit au fujet de la prononciation des voyeles nafales, ajoute qu'il eft à croire què l'obfervation faite par ces Auteurs qui mettent les voyeles nafales au rang des véritables voyeles, & qui en condamnent la rencontre avec d'autres voyeles dans les Vers, tiendra déformais lieu de précepte, du moins pour ceux de nos Poêtes qui tendent d'la perfection.

Il obferve cependant que cette rencontre peut abfolument fe foufrir, quand la prononciation permet de pratiquer un repos, de pratiquer un repos, quelque court qu'il foit, entre le mot qui finit par un fon nafal, & le mot qui commence par une voyele: & il dit que ce feroit peut-être outrer la délicateffe que

blâmer ce Vers d'Athalie:

Celui qui met un frein à la fureur des flots.

ou cet autre :

Difperfe tout fon camp à l'aspect de Jéhu.

de

Les

Les mots qui ont une voyele avant l'e muet final, tels que font, vie, envie, partie, vue, proie, joie, facrée, &c. ne peuvent pas entrer avec grâce dans le corps du Vers, moins qu'ils ne foient fuivis d'un_mot qui commence par une voyele avec laquelle l'e muet se mange. Ainfi ces Vers ne valent rien :

Anfelme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure.
Ah! n'aye point pour moi fi grande indifférence.]

La bourse eft criminele, & paye son délit.

Mais ceux-ci font réguliers:

C'eft Vénus toute entiere à fa proie atachée.

J'ai pris la vie en haine, & ma flamme en horreur.

Athênes par mon pere accrue & protégée,

Reconut avec joie un roi fi généreux.

Si dans le même mot l'e muet précédé d'une voyele, eft fuivi d'une s ou des lettres nt, ce mot ne peut fe mettre qu'à la fin du Vers, comme dans ceux-ci :

Je vois combien tes vœux font loin de tes pensées.
Auffi-tôt maint efprit fécond en réveries,
Inventa le blafon avec les armoiries.

Tandis que dans les airs mille cloches émues,
D'un funebre concert font retentir les nues.

Au feul nom de Henri les François fe rallient:
La honte les enflamme, ils marchent, ils s'écrient.
Souvent dans leurs projets les conquérans échouent.

Ainfi ces deux Vers ne valent rien :

Tu payes d'imposture & tu m'en as donné.

Ce que voyent mes ieux, franchement je m'y fie.

L'e muet au dedans d'un mot & à la fuite d'une autre voyele, fe fupprime toujours & ne fait pas une fyllabe particuliere dans la prononciation: ce. qui arive le plus ordinairement dans les futurs des Verbes. Ainfi tuerai crierons, louerez, facrifiera, enjouement, &c. fe prononcent, tûrai, criront, lourez, facrifira, enjoûment, comme dans ces Vers:

J'efpere toutefois qu'un cœur fi magnanime
Ne facrifiera point les pleurs des malheureux........

Aaaaa

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J'avouerai qu'autrefois au milieu d'une armée
Mon cœur ne foupiroit que pour la renoméé.
S'il vient il paiera cher un fi fenfible outrage.

facrifiera ne fait que quatre fyllabes, j'avouerai n'en fait que trois, paiera n'en fait que deux.

&

§. IV. Des Voyeles qui forment ou ne forment pas de Diphthongues.

Il est encore très-effentiel de favoir quand plufieurs voyeles forment dans les Vers une diphthongue ou n'en forment pas, c'est-à-dire, quand elles doivent fe prononcer en une ou en deux fyllabes: fur quoi nous donnerons ici quelques regles particulieres, en parcourant les différentes fortes de diphthongues, dont la plupart doivent fe prononcer en deux fyllabes, dans la poéfie & dans le difcours foutenu.

IA, forme généralement deux fyllabes, foit dans les Noms, foit dans les Verbes, comme dans di-amant, di-adême, étudi-a, confi-a, oubli-a, &c. excepté dans quelques mots qui fe réduifent à peu-près à ceux-ci, diáble, fiacre, liard, familiarité, familiarifer:

De peur de perdre un liard foufrir qu'on vous égorge.

Sa familiarité jusque-là s'abandone.

Je hais.... ces gens.....

Dont la fiere grandeur d'un rien se formalife,

De crainte qu'avec elle on ne familiarife.

IE, avec l'e ouvert ou fermé, n'eft ordinairement que d'une fyllabe, de quelque confone qu'il foit fuivi, comme dans ciel, iroifie-me, fie-vre, pie-ce, ami-tié, ba-riere, pa-pier, pre-mier, &c.

Il faut obferver que dans les Verbes en ier de la premiere conjugaison, ie forme deux fyllabes à l'infinitif, à la feconde perfone du pluriel du préfent de l'indicatif, ou de l'impératif, & au participe paffif. Ainfi il faut prononcer, étudi-er, confi-er, déli-er, mari-er; vous étudi ez, vous confiez, vous déli-ez, vous mari-ez; étudi-é, confi-é, déli-é, mari-é.

IAI, dans la premiere perfone du prétérit de ces Verbes, fe prononçant comme ié, forme auffi deux fyllabes: J'étudi-ai, je confi-ai, je déli-ai, je mari-ai. On prononce de même, vous ri-ez, vous fouri-ez, impi-été, inqui-et, inquiéter, inqui-étude, hardi-effe, matéri-el, effenti el, & quelques autres mots en el de plus d'une fyllabe.

HIER, s'emploie quelquefois en une feule fyllabe, comme dans ce Vers:
Hier j'étois chez des gens de vertu finguliere.

Mais on en fait plus communément deux fyllabes, comme dans ce Vers:
Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main,

Ah! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous atends demain.

Il est d'une feule fyllabe dans avant-hier.

Le bruit court qu'avant-hier on vous assassina.

Io, eft communément de deux fyllabes, comme dans vi-olence, vi-olon, di-ocêfe. On pouroit en excepter, fio-le & pio-che.

Prends la fiole où.....

Je crains en ce défordre extrême.....

OE, ne fait qu'une fyllabe, comme dans boë-te, coë-fe, moë-le, poë-le; excepté dans po-éfie, po-ême, Po-ête.

Oi, avec le fon de l'o & de l'e ouvert, n'est jamais que d'une syllabe, comme dans roi, loi, voi-là, emploi, &c.

UE, avec l'e ouvert ou fermé, est toujours de deux fyllabes, com.me dans du-el, tu-er, tu-é, attribu-er, attribu-é, fu-er, fu-é.

Ui, ne forme qu'une fyllabe, comme dans lui, ce-lui, dédui-re, conftrui re, fuir, fui, aigui-fer, &c. excepté dans ru-ine, ru-iner, bru-ine. IAI, eft de deux fyllabes dans ni-ais il eft quelquefois de deux & quelquefois d'une feule dans bi-ais, bi-aifer, ou biais, biai-fer.

:

IAU, est toujours de deux fyllabes, comme dans mi-auler, befti-aux, provinci-aux, impéri-aux, &c.

IEU, fe prononce ordinairement en deux fyllabes, comme dans pi-eux, odi-eux, furi-eux, précieux : excepté dans cieux, Dieu, lieu, lieu-tenant, mi-lieu, mieux, pieu, é-pieu, effieu, vieux, ieux.

OUE, avec l'e ouvert ou fermé, eft de deux fyllabes, comme dans jou-et, lou-er, lou-é, avou-er, avou-é: excepté dans fouet & foué-ter. Oui, eft de deux fyllabes, comme dans ou-ir, ou-i, jou-ir, jou-i, éblou-ir, éblou-i: excepté dans bouis, & dans oui, marquant affirmation.

Et deux fois de fa main le bouis tombe en morceaux.

IAN, & IEN avec le même fon, forment deux fyllabes, comme dans étudi-ant, fortifiant, ri-ant, li-ant, client, pati-ent, impati-ence, expédi-ent, expéri-ence: il faut feulement excepter vian-de,

Autour de cet amâs de viandes entafsées,

Régnoit un long cordon d'alouetes pressées.

IEN, avec un autre fon qui approche de iin, ne forme ordinairement qu'une feule fyllabe, dans les noms fubftantifs, les pronoms poffeffifs les verbes, & les adverbes, comme dans bien, chien, rien, mien, tien, fien, je viens, je tiens, combien, &c. excepté li-en, parce qu'il vient du Verbe lier de deux fyllabes.

Ien, eft de deux fyllabes, quand il termine un nom adjectif d'état, de profeffion, ou de pays, comme dans Grammairi-en, comédi-en, mufici-en, hiftori-en, gardi-en, magici-en: excepté chré-tien.

ION, n'eft d'une fyllabe que dans les premieres perfones du pluriel de l'imparfait de l'indicatif, du conditionel préfent, du préfent & de l'imparfait

Aaaaaaij

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