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connu descendît dans l'intérieur de la salle et montât à la tribune: il se rendit à cette invitation.

» Le véritable auteur de la dénonciation, dit-il, est l'ex-abbé de Saint-Saturnin. » Tous les regards se tourpèrent vers notre frère; mais il s'était glissé hors de l'assemblée aux premières paroles de l'inconnu. Celui-ci expliqua alors comment l'abbé était allé à Périgueux, et s'était adressé à lui pour faire une copie de sa dénonciation et l'envoyer à la société populaire d'Exideuil. Il ajouta qu'il s'était chargé de cette commission, dans la crainte qu'elle ne fût confiée à une autre personne moins disposée que lui à faire connaître un tel acte de perfidic. « J'avais, ajouta-t-il, d'anciennes liaisons d'amitié avec l'abbé de Saint-Saturnin; je sais, à n'en pouvoir douter, que toutes les lettres pressantes, toutes les exhortations que ses frères ont reçues pour quitter le pays, venaient de la même source. Je romps aujourd'hui tous les liens qui m'attachaient à lui; car je ne conçois point de pa triotisme sans vertu. »

» Vous pressentez déjà que notre triomphe fut complet ; le fanatisme révolutionnaire n'était pas arrivé parmi nous au degré d'exaspération où il s'est élevé depuis cette époque. Les coeurs étaient encore accessibles aux sentimens de justice et de générosité. On alla même jusqu'à nous favoriser de l'accolade républicaine, et nous nous retirâmes avec l'inconnu, pleins d'espérance et de sécurité.

» Notre défenseur, vraiment officieux, voulut bien accepter l'hospitalité que nous lui offrîmes de bon cœur. Il nous apprit qu'il se nommait Johanneau, et qu'il était sorti du séminaire en même temps que notre frère. « Nous étions amis, nous dit-il; j'étais le confident de

şes espérances. Il comptait vous forcer à fuir de nouveau et rester maître de votre fortune. C'est moi qui, la nuit dernière, vous ai donné l'avis que vous avez reçu. Je craignais que vous n'eussiez pas assez de fermeté pour affronter l'orage; je vois que je vous connaissais mal, et je vous en félicite. »

» On nous dit, à notre arrivée, que l'abbé nous ayant devancé, était monté à cheval sans prononcer une seule parole, et qu'il était parti au grand galop sur la route de Bergerac. Nous nous réjouîmes d'en être débarrassés ; mais ce ne fut pas pour long-temps.

» Nous commençions à jouir de quelque repos, je reprenais avec plaisir mes anciennes habitudes, et mon frère ne s'occupait que d'améliorations agricoles; mais la lutte des factions devenant de jour en jour plus terrible, la modération n'était plus admise ; et la neutralité devenant un crime, celui qui refusait de s'associer aux excès populaires était considéré comme un ennemi public; le règne d'une proscription générale approchait à grands pas. La fin tragique du malheureux Louis XVI nous plongea dans la douleur et la consternation. Une révolution complète de la nature nous eût moins surpris qu'une telle catastrophe. Nous nous imaginions quelquefois être livrés à des rêves affreux, et nous attendions avec impatience le moment du réveil.

» Cependant nous étions parvenus à l'époque des proconsulats révolutionnaires. On dressait partout des listes de suspects, et le mouvement approchait de nous sans que nous connussions encore toute l'étendue du péril dont nous étions menacés. Ce fut ce même Johanneau dont je vous ai parlé qui nous l'apprit. Un exprès me remit la lettre suivante :

« Le temps est venu de fuir. Vous êtes proscrits, et je » le suis comme vous. Dirigez-vous sur Saint-Yrieix, où

»

je me suis préparé un asile sûr. Le maire de cette ville » est mon ami, et partage en secret vos opinions; adres» sez-vous à lui; changez de noms et d'habillemens. » Fuyez; une haine implacable nous poursuit; votre » frère accompagne le représentant du peuple. Brûlez ce » billet et partez. »

>>

Marguerite me fit donner le même avis par son mari, qui nous avait préparé des passe-ports. Il n'y avait pas à balancer, nous prîmes des habits de paysan et nous partîmes à pied pendant la nuit. Nous étions parfaitement déguisés, et nous parlions si bien le jargon du pays qu'il était impossible de nous reconnaître. A la pointe du jour, nous aperçûmes, d'un petit sentier où nous étions, une brigade de gendarmerie sur la grande route; bientôt parut la voiture du représentant, ornée d'un pavillon tricolore. L'abbé, à cheval, suivait le cortége d'un air important; et nous ne doutâmes point que cette troupe révolutionnaire n'allât établir son quartiergénéral au château de Saint-Saturnin. Nous sûmes depuis que nos conjectures étaient bien fondées. Mon frère marchait sans proférer une seule parole; pour moi, moins philosophe que lui, je maudissais de bon cœur l'abbé, le représentant du peuple et la révolution.

» Il est étrange, dis-je à mon frère, qu'on nous parle de liberté, en nous chassant de notre maison; que ce soit au nom de la vertu et de l'humanité qu'on nous dépouille et qu'on nous envoie en prison ou à l'échafaud. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu de temps pareil au nôtre.

- » Tu te trompes, mon ami, répondit mon frère ;

depuis quelques mois je m'occupe à lire l'histoire, et j'ai vu que dans tous les siècles il y a eu des époques de frénésie et d'atrocité parmi les peuples. Ce sont des maladies périodiques dont les nations sont affligées et qui se guérissent difficilement. Il est fâcheux de venir au monde dans ces temps de fièvre; mais il faut prendre son parti. Une chose singulière, c'est que la méchanceté humaine se couvre toujours d'un prétexte respectable. Nos aïeux ont fait de la religion le même abus que nous faisons de la liberté. On a assassiné et proscrit au nom des droits du ciel comme au nom des droits de l'homme. Qui sait si quelque jour on ne mettra pas en honneur la corruption et la bassesse, en faisant des discours de morale? Il n'y a point d'inconséquence et d'absurdité qu'on ne puisse attendre des passions de l'homme. » A. J.

(La suite au prochain numéro.)

BEAUX-ARTS. PEINTURE.

MARS, VENUS ET LES GRACES,

PAR DAVID.

Dans l'état actuel de l'école française, l'apparition d'un tableau de David devait être un événement. La curiosité, vivement excitée par les rapports qui nous étaient parvenus de la Belgique, souffrait avec impatience le retard qu'on mettait à l'exposition d'un ouvrage que les amateurs étrangers s'accordaient à regarder sinon comme la production la plus extraordinaire du pinceau de l'auteur des Sabines, du moins comme une page digne de figurer à côté des morceaux les plus estimés du grand artiste à qui les chagrins de l'exil semblent avoir donné une vigueur nouvelle, loin qu'elle ait affaibli l'énergie de son talent.

Long-temps avant le jour où il a été offert aux regards avides des admirateurs de David, le tableau, dont nous allous analyser les beautés, était l'objet de toutes les conversations. Les élèves du régénérateur célèbre, à qui la peinture du dix-neuvième siècle doit son lustre et son origine, étaient à peine rassurés sur les suites de l'épreuve que le dernier ouvrage de leur cher maître allait subir, par l'unanimité des éloges dont retentissaient les feuilles belges ; ils redoutaient la critique pour leur respectable chef plus qu'ils ne l'auraient appréhendée pour eux-mêmes ; ils craignaient que l'envie et l'esprit de parti

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