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- Où nos chefs nous conduiront, très-saint Père !

<< C'est fort bien, mes amis ! mais il serait mieux d'apprendre par moi-même votre destination. Sachez donc, ajouta-t-il après un moment de silence, que vous partez uniquement pour aller protéger les frontières de nos États. Gardez-vous de lesfranchir, car en le faisant, non-seulement vous transgresseriez mes ordres, mais vous assumeriez sur les troupes pontificales la responsabilité d'un rôle d'agression, rôle qui, dans aucun cas, ne saurait leur convenir. Allez donc, mes enfants, mais rien qu'aux frontières, je le répète, pas au-delà des frontières; telle est ma volonté! »

Après cette courte allocution, le pape recommandant l'obéissance à l'autorité des chefs, l'observance stricte de la discipline militaire, la pratique enfin des vertus qui constituent le véritable soldat, leva ses mains sur la bannière pontificale que lui présenta Sopranzi, il la bénit, et admit ensuite les cinq délégués au baisement du pied. Cette cérémonie terminée, Sopranzi et ses compagnons, ravis des paroles affectueuses que leur avait adressées le Pontife, rejoignirent la foule prodigieusement accrue durant leur présentation au Saint Père. Alors Sopranzi, élevant la voix, s'écria, au milieu d'un profond silence, que le Saint Père venait de bénir la bannière, mais à la condition expresse

qu 'elle ne dépasserait sous aucun prétexte le territoire des États de l'Église. Au même instant, plusieurs hommes s'élancèrent vers lui, l'entourèrent et lui dirent: « Malheureux! que faites-vous? vous allez décourager la jeunesse romaine et l'empêcher de partir.»-«Je m'acquitte de la mission que le Saint Père m'a donnée, » répliqua le courageux et honnête Sopranzi.

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Que comptez-vous faire du drapeau que le Pontife vient de bénir? » lui demanda-t-on alors. «Le porter au ministre de la guerre, » répliqua le sergent. Aussitôt l'un des chefs du parti s'empara de la bannière et l'on se mit en marche pour la place Pilota. La foule était immense; les personnes qui s'étaient réunies à Sopranzi, redoutant l'effet que son assertion pourrait produire sur l'esprit du ministre, l'isolèrent dans le flux du peuple et se présentèrent seuls devant le ministre de la guerre. C'est ainsi que, par la ruse, on étouffa momentanément la voix d'un honnête homme qui n'aurait point faibli devant la menace et la peur.

Le lendemain, les journaux révolutionnaires, dénaturant, au bénéfice de leur parti, le récit des faits qui s'étaient passés au Quirinal, tronquèrent jusques au nom du principal personnage, Dominique Sopranzi, transformé en Dominique Torquatus.

De toutes ces choses, il résulte la preuve évidente, incontestable, que la conduite de Pie IX, dans la question de la guerre de l'indépendance, que son attitude, si diversement interprétée par l'ignorance d'une part, et par la mauvaise foi de l'autre, ne se sont pas démenties un seul instant. Souverain pacifique et spirituel de tous les peuples, il n'a jamais consenti à ce qu'on dépassât les limites d'une juste défense, il a toujours repoussé de son cœur la pensée d'une inique agression. En un mot, il n'a jamais voulu faire de la croix un glaive de bataille. Inflexible devant les injonctions comme devant les prières, il a prouvé que le seul peut-être en Italie il avait la consciencieuse intelligence de la situation.

Quoique les impressions en Italie soient trop ardentes pour être durables, l'enthousiasme produit par la proclamation de la croisade contre l'Autriche se manifesta plusieurs jours avec un élan véritablement national. Les volontaires s'enrôlèrent en assez grand nombre, et les autres firent preuve de dévouement à la patrie en déposant sur des tables dressées dans les grands, centres de la ville, des offrandes patriotiques.

Les troupes expéditionnaires quittèrent Rome dans les premiers jours de mars et se dirigèrent sur Bologne et Ferrare. La veille du départ, la première colonne, composée en grande partie de

volontaires appuyés par quelques soldats de ligne, avait été passée en revue sur la place Saint-Pierre par les généraux Ferrari, Durando et par le moine Gavazzi. Celui-ci portait à sa ceinture, sous la croix verte, rouge et blanche de la croisade, une paire de pistolets de combat. Il prit dès lors le titre de grand aumônier de l'armée de l'indépendance italienne.

Avant de se mettre en route, les principaux officiers se rendirent au Quirinal pour prendre congé du Saint Père, qui leur signifia de nouveau, et de la manière la plus expresse, la défense de franchir la frontière des États de l'église.

Tandis que les volontaires romains s'avançaient, l'arme au bras, à la conquête de l'indépendance et que Charles-Albert rêvait le sceptre de la Haute Italie, le pape, élevant la voix pour interpréter la muette éloquence des œuvres de Dieu, adressait cette proclamation aux peuples de la péninsule:

« Aux peuples d'Italie, salut et bénédiction apostolique.

« Les événements que ces deux mois ont vu se succéder et s'enchaîner avec tant de rapidité, ne sont pas une œuvre humaine. Malheur à qui n'entend pas la voix de Dieu dans ce vent qui agite, renverse et brise les cèdres et les roseaux! malheur à l'orgueil humain s'il attribue aux fautes ou au

mérite de quelque homme que ce soit, ces merveilleuses révolutions, au lieu d'y adorer les secrets desseins de la Providence, soit qu'ils se manifestent par les voies de la justice ou par celles de la miséricorde; de cette Providence qui tient dans ses mains tous les empires de la terre! Et nous, à qui la parole a été donnée pour interpréter la muette éloquence des œuvres de Dieu, nous ne pouvons pas nous taire au milieu des regrets, des craintes et des espérances qui agitent les coeurs de nos enfants.

« Et d'abord, nous devons vous dire que si notre âme fut émue en apprenant de quelle manière, dans une partie de l'Italie, l'intervention de la religion sut prévenir les dangers de ces changements, et comment la charité, par ses actes, fit éclater la noblesse des coeurs, nous ne pûmes cependant ni ne pouvons ne pas être profondément. affligés des insultes qu'en d'autres lieux les ministres de cette religion eurent à souffrir. Quand même, oubliant notre devoir, nous passerions ces insultes sous silence, ce silence pourrait-il les empêcher de diminuer l'efficacité de nos bénédictions?

« Nous ne pouvons nous empêcher de vous dire encore que le bon usage de la victoire est chose plus grande et plus difficile que la victoire même. Si le temps présent rappelle une autre

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