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tique; d'un seul mot, il pouvait rallier ce que les princes de la terre ambitionnent le plus au monde, la grandeur, la puissance, la gloire, la popularité; il n'a pas voulu le prononcer. Le prince s'est effacé devant le pontife comme l'Italien devant le catholique.

Père commun de tous les peuples, il a fait taire la voix de sa nationalité pour remplir ses devoirs envers l'Église dont il est le chef. Il s'est rappelé qu'il se devait à l'Europe entière et non point seulement à une fraction de l'Europe. L'histoire et Dieu ne l'oublieront point. L'allocution du 29 avril est plus que l'acte d'un grand homme, c'est l'œuvre d'un saint. Claire, énergique, précise, courageuse, elle jette un grand jour sur la situation respective des partis qui se trouvaient en présence; elle prouve que la presse italienne, généralement soudoyée par la révolution, avait trompé l'Europe en attribuant au pontife des paroles qu'il n'avait point prononcées, des actes qu'il n'avait pas commis. Elle fut un coup de foudre pour les révolutionnaires.

Alors, il arriva ce qu'il était facile de prévoir. Les révolutionnaires répondirent à la voix paternelle du pape par un cri de colère. Convoquant l'émeute dans la rue, ils émettent la proposition et posent nettement la question d'un gouvernement provisoire. L'une et l'autre sont repoussées. Alors

leur rage contre l'objet primitif de leur culte simulé, dépasse toutes les bornes; ils accusent hantement Pie IX d'avoir voulu par son encyclique exposer les troupes romaines au danger d'être considérées et traitées non comme une armée régulière, mais comme une horde de brigands; ils vont même jusqu'à prononcer les mots de parjure et de

trahison.

Quelques chefs proposent d'adresser à l'Europe libérale une protestation contre l'allocution du Saint Père; leur motion n'est pas appuyée. A cet effet, les ministres avaient donné leurs démissions en masse ; mais obéissant à la volonté souveraine, ils avaient presque aussitôt consenti à reprendre leurs portefeuilles qu'ils déposèrent définitivement quarante-huit heures après. Dans cet intervalle, les principaux membres des clubs s'étaient réunis. au cercle des négociants, palais Theodoli, pour y combiner la formation d'un ministère purement libéral et le présenter ensuite à la sanction du Saint Père. Un orateur, Mamiani, haranguant le peuple du haut du balcon, déclare, d'après le programme arrêté, qu'aucun prêtre ne sera appelé aux fonctions publiques; que Pie IX sera à la tête du gouvernement; que son premier acte sera la réfutation de son encyclique et la déclaration formelle de guerre à l'Autriche; qu'un bulletin officiel de la grande guerre sera publié quotidienne

ment; enfin, que de grands avantages seront faits à la jeunesse romaine pour l'encourager à chasser les barbares de l'Italie.

Le peuple, battant des mains à ce projet, se joint à la garde civique pour occuper tous les postes, et surveiller spécialement les palais des cardinaux. Le cardinal Della Genga est surveillé à vue. La garde civique, de concert avec la troupe de ligne, occupe le château Saint-Ange. La plus grande agitation règne dans Rome; tout ce qui porte un habit ecclésiastique est exposé aux insultes de la populace; le général en chef de la garde civique, le prince Rospigliosi, cherchant à rétablir l'ordre, et à dégager, sur l'invitation du Saint Père, le cardinal Bernetti, retenu prisonnier dans le palais de la chancellerie, est méconnu par ses propres officiers; un soldat même croise la bayonnette sur sa poitrine. Sa voix est sans écho; il donne sa démission.

Comme toujours, Ciceruacchio est à la tête des émeutiers. Du Capitole il vole au palais Theodoli où les chefs du parti révolutionnaire, puissamment aidés par l'arrivée d'un nommé Fiorentino, Italien de naissance, mais Français par domicile, s'étaient constitués en permanence. Il se précipite dans la salle du conciliabule en s'écriant: Mort aux barbares et vive la révolution! Ses clameurs sauvages étouffent la voix plus calme de ses complices; l'un

d'eux même, Mamiani, prenant la parole, lui recommande la prudence et la modération. « Notre cause est gagnée, dit-il, ne la compromettons pas aux yeux de l'Europe qui nous contemple; en révolution les sacrifices de sang finissent toujours par se tourner contre les sacrificateurs, il est rare alors que les bourreaux ne deviennent pas à leur tour les victimes. Les excès produisent toujours la

réaction. >>

Insensible à ces paroles dictées cependant par la raison, le farouche tribun persiste dans sa violence. « Il n'y a qu'un moyen de sauver la révolution, s'écrie-t-il, et de délivrer Pie IX des ennemis qui le perdent en ruinant la cause sacrée du peuple ; les prêtres se sont mis en travers la liberté, il faut les massacrer pour que la liberté passe.

-

- << Est-ce votre opinion? lui demande Mamiani avec un geste d'horreur.

- « C'est mon opinion, répondit froidement Ciceruacchio.

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« Et qui les tuera ces prêtres?

- << Moi-même, si la patrie l'ordonne.

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« Vous-même! vous pensez donc pouvoir les tuer tous?

Tous, non; ce serait impossible.

- « Vous voyez donc bien que vous commettriez des assassinats inutiles. >>

Le sang-froid de Mamiani calma tout à

coup

l'exaltation fébrile du tribun qui eût arrosé de sang la ville que le père Gavazzi lui avait naguère confiée.

Cependant les délibérations de la réunion centrale se poursuivent dans l'immense salle du cercle des commerçants. L'état-major et les principaux officiers de la garde civique assistent à cette séance fatalement solennelle. Ainsi que Ciceruacchio et ses acolytes, les membres du cercle populaire, en armes, ont remplacé par les couleurs vertes, blanches et rouges la médaille de Pie IX et les couleurs jaunes et blanches qui pavoisaient leurs poitrines; de temps en temps ils font entendre de sourds murmures et prononcent de lugubres menaces contre la vie des cardinaux. Mamiani et Sterbini siégent aux côtés d'Orioli appelé par acclamation au fauteuil de la présidence. Une population immense, inquiète et sombre se presse dans toute la longueur du Corsa, depuis la Porte du Peuple jusqu'à la Place de Venise. En ce moment critique Fiorentino demande la parole, et par une brillante improvisation, qui dura près d'une heure, il rallie toutes les oppositions.

Alors Mamiani, Sterbini, le duc de Rignano et Fiorentino lui-même sont élus pour aller signifier aux ministres l'ultimatum du peuple, demandant: la sécularisation entière du nouveau ministère, la démission du cardinal Antonelli, le renvoi de l'ambassadeur d'Autriche et une déclaration de

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