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partements lorsqu'on lui annonça la visite du comte Mamiani, accompagné du duc de Rignano et de l'avocat Lunati. Entrant aussitôt en matière, Mamiani, s'adressant au cardinal, lui dit : « Éminence, nous désirons voir le discours que vous devez prononcer demain.

De quel droit? répondit le cardinal.

- «< De celui que nous confère notre qualité de ministres responsables, répliqua le comte.

- «En cette qualité, vous devriez le connaître, il me semble; n'importe, je ne vois aucun inconvénient à vous le communiquer, le voici. Disant ainsi, le cardinal lui remit la minute qu'il avait sous sa main. Le ministre la parcourut attentivement et tout à coup se levant et frappant des mains, il s'écria, pâle de colère: « La trahison est manifeste, il nous est impossible de marcher d'accord avec Pie IX! Dès ce moment, nous ne sommes plus ministres ! - Monsieur le comte, répliqua froidement le cardinal, sur ce point vous êtes parfaitement libre; cependant, je dois protester contré les termes offensants dont vous venez de vous servir au sujet du Saint Père. Il se peut qu'il y ait trahison, je l'appréhende même, mais à coup sûr elle n'est point dans les actes ni dans les intentions du souverain Pontife. » Cette scène se passait à minuit dans un des vastes salons du magnifique palais Altieri. La gravité de la question, l'heure

avancée de la nuit, les teintes sombres répandues sur les riches tentures par les pâles clartés des lampes expirantes donnaient à cet entretien un caractère imposant et solennel.

Le cardinal, maître de la position, reprit : « Monsieur le comte, dans les circonstances présentes, votre démission ne serait pas seulement un acte inconstitutionnel, ce serait l'action d'un mauvais citoyen. Je vous estime assez pour être persuadé que vous ne donnerez point suite à une parole qui renferme peut-être en elle une révolution. » Le saluant alors avec courtoisie, le cardinal lui souhaita la felice notte et les bons conseils qu'elle suggère. Le comte Mamiani ne donna point sa démission, et le lendemain les deux Chambres s'ouvrirent sans autre incident.

Dès les huit heures du matin, les membres du corps diplomatique et un grand nombre de personnages distingués s'étaient réunis dans la salle du palais de la Chancellerie, où devait avoir lieu cette cérémonie. A midi et demi, Son Éminence le cardinal Altieri, délégué spécialement par Sa Sainteté pour la représenter dans cette occasion mémorable, apparut accompagné des ministres. Un instant après, suivant le cérémonial indiqué, s'étant assis et ayant fait asseoir les membres de l'assemblée, il lut d'une voix ferme et pleine de dignité le discours suivant :

« Messieurs les membres du Haut-Conseil, « Messieurs les députés,

<< Sa Sainteté m'envoie auprès de vous, chargé de l'agréable et flatteuse mission d'ouvrir en son nom les deux conseils législatifs. Le Saint Père veut en même temps que je vous exprime combien cet acte d'autorité souveraine est satisfaisant pour son cœur, puisqu'il lui donne lieu d'espérer que, grâce à votre concours, il verra s'améliorer le gouvernement de la chose publique.

<< Sa Sainteté se félicite avec vous, messieurs, et rend grâce à Dieu de ce que le moment soit venu d'introduire dans ses États les formes politiques qui, tout en étant requises par l'exigence des temps, sont conciliables avec la nature de son gouvernement pontifical. C'est à vous, messieurs, qu'il appartient désormais de fertiliser ces institutions nouvelles et d'en retirer tout le bien que Sa Sainteté avait en vue en vous les accordant.

<< Le Saint Père ne cessera d'adresser au Dispensateur de toutes lumières des prières ferventes pour qu'il répande dans vos intelligences l'esprit de véritable sagesse, afin que les lois et les institutions dont vous vous occuperez soient empreintes du caractère de la religion et de la justice, seules bases solides et véritables de toute sécurité, de toute liberté et de tout progrès.

« Le Saint Père a ordonné à ses ministres de

vous mettre au courant de tout ce qui a rapport à l'état de notre législation et de l'administration publique. Il leur a particulièrement enjoint de vous soumettre l'état des finances dans le but de vous proposer les moyens les plus convenables de rétablir l'équilibre en aggravant le moins possible les charges des populations. Il a également recommandé aux ministres de vous présenter, dans un bref délai, les projets de loi annoncés par le statut fondamental.

« Le Saint Père recommande à votre loyauté et à vos soins incessants l'ordre et la concorde intérieurs avec la concorde, messieurs, la liberté tournera au profit de tous, avec elle se développeront les bonnes lois, les larges réformes, les sages institutions. Instruits par l'expérience, soutiens de la sainte religion dont le siége est dans cette ville, vous pourrez espérer que Dieu ne vous refusera pas la plénitude des biens nécessaires pour vous rendre les dignes émules de la gloire de vos aïeux.>>

De nombreux applaudissements accueillirent ce discours, programme dont chaque phrase renfermait une pensée digne de la belle âme du pontife. Oh! si fidèles à la sainte mission qui leur était confiée, à la ligne de conduite qui leur était si libéralement tracée, les représentants de la nation avaient résisté, comme ils le devaient, à la fièvre révolutionnaire qui rongeait le corps social, les

Romains seraient arrivés sans secousse, progressivement à la possession complète de cette liberté que des ambitieux ont voulu leur imposer, plus tard, avec des ruines et du sang!

La veille de l'ouverture des deux Chambres, le souverain Pontife avait publié un motu proprio pour régler, suivant l'article 64 du statut fondamental, la loi sur la presse. Cette institution était si large, elle jouissait d'une telle liberté, que les directeurs des journaux n'étaient soumis à aucun cautionnement, et que l'amende la plus considérable, perçue pour outrages à la religion, à ses ministres ou au souverain, n'excédait pas la somme de cent écus romains.

Le 9 juin, les deux Chambres se rendirent, pour entrer en fonction, chacune dans le local qui lui avait été assigné. Le Haut-Conseil, au collége de l'Apollinaire; celui des représentants, au palais de la Chancellerie. Les députés se trouvèrent presque tous à leur poste. A midi et demi, le président d'âge, Albini, assisté de l'avocat Armellini et du comte Potenziani, monta au fauteuil : les deux plus jeunes députés, remplissant les fonctions de secrétaires, se placèrent l'un à droite, l'autre à gauche du bureau. Quatre sténographes prirent place autour d'une table ronde posée en avant de la tribune, au bas de l'escalier qui y conduisait. Cinq ministres et cinquante-deux députés

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