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assistaient à cette séance. Les tribunes réservées au public étaient magnifiquement garnies; celle du corps diplomatique se trouvait au grand complet. L'intérêt était d'autant plus grand qu'on savait que le ministère devait lire son programme. Le président s'étant assis, le comte Mamiani, d'une voix sonore, largement accentuée, lut son discours remarquable par une perfidie habilement déguisée sous le voile des sentiments religieux et sous celui de la franchise politique.

le

Après avoir dit que Pie IX, comme père de tous les fidèles, se retranchait dans les hautes régions de son autorité céleste, qu'il régnait dans la sphère pacifique et sereine du dogme, et distribuait au monde le pain de la parole divine, qu'il priait, bénissait et pardonnait, Mamiani ajoutait que pape, comme souverain constitutionnel du pays, abandonnait à la sagesse des députés le soin de pourvoir à la plus grande partie des affaires temporelles!!!! Cette assertion, contraire en tous points à la vérité, était le prélude des hérésies politiques dont cette harangue abonde.

Relativement à la guerre, le ministre ajoutait : « Vous n'ignorez pas, messieurs, comment, pour nous conformer à la sollicitude paternelle de Sa Sainteté, nous avons confié au roi Charles Albert le commandement immédiat de nos troupes et de nos volontaires, et les avons placés sous sa sauve

garde, tout en réservant au pontife et à son gouvernement les droits et les prérogatives qu'exigeaient sa dignité et la nôtre, ainsi que vous pourrez en juger d'après les termes de la convention, dès que vous en aurez pris connaissance. Du reste, à peine pouvons-nous dire que nous ayons dignement secondé l'ardeur impatiente de nos cités.

« Il Il y a dans l'histoire des peuples de ces moments suprêmes dans lesquels l'esprit national les envahit et les remue si profondément, que nonseulement toute force résistante et antagoniste est brisée, mais qu'elle devient même un stimulant de l'action contraire.

<< Alors une seule pensée s'empare des esprits, un seul sentiment brûle dans tous les cœurs, et cette unanimité si soudaine, si vive, si féconde en merveilles, paraît en quelque sorte, à ceux-là même qui y participent, tenir du prodige, et poussés par un enthousiasme sacré, ils jettent ce cri si puissant et adoptent cette noble devise: Dieu le veut!

<< Le souverain Pontife, témoin d'un de ces mouvements irrésistibles, mais en raison de son ministère sacré, ayant horreur de la guerre et du sang, a eu l'idée digne d'un cœur apostolique et à la fois italien de s'interposer entre les combattants et de faire comprendre aux ennemis de notre commune patrie la cruauté et l'inutilité de leurs

efforts pour priver les Italiens de leurs frontières naturelles ou pour les empêcher de former désormais, dans l'unité et la concorde, une seule et grande famille. Dès que le ministère a été instruit de cette démarche de Sa Sainteté, il s'est empressé de lui en témoigner sa reconnaissance. >>

Plus loin, Mamiani, paraphrasant le fameux Italia fara da sè, ajoute : « Ce que nous avons en commun, avec tous les bons Italiens, le plus à cœur, c'est qu'on nous laisse à nous-mêmes le soin de pourvoir à nos propres destinées. >>

Puis faisant allusion à la France qu'il ne nomme point, mais qu'il désigne clairément, il poursuit : « La plus grande des infortunes qui pourraient arriver en ce moment à la cause de notre nationalité, serait la trop chaleureuse et la trop active amitié d'une grande nation. >>

Le comte Mamiani se retirait de la tribune au bruit des applaudissements de toute l'assemblée, lorsque le prince de Canino, demandant la parole, posa nettement cette question au ministre :

Je désirerais savoir si le programme que nous venons d'entendre est seulement l'opinion politique du ministère, ou l'expression exacte de la pensée du souverain? »

La Chambre, par un long murmure d'improbation, protesta aussitôt contre l'indécence de cette question intempestive: néanmoins, le comte Ma

miani, croyant devoir y répondre, remonta à la tribune et dit : « Je déclare que le discours dont vous venez d'entendre la lecture est l'oeuvre collective du ministère; mais je vous affirme aussi messieurs, que ce discours a été soumis à Sa Sainteté, qui l'a accepté et approuvé pleinement. >>

Un tonnerre d'applaudissements accueillit cette déclaration comme si elle eût été l'expression exacte de la vérité, tandis qu'elle n'était, au contraire, que l'inspiration de la perfidie. En effet, quelques jours avant l'ouverture des Chambres, Mamiani avait soumis son discours au Saint Père, qui, mécontent de son ensemble et de ses détails, voulut lui faire subir quelques modifications: le ministre, feignant d'y consentir, laissa la minute dans les mains du pape, mais peu d'instants après il l'envoya chercher sous le prétexte de la compléter et dans le but réel de se servir des modifications pontificales comme d'une preuve d'approbation souveraine. Les corrections du Saint Père portaient entre autres choses sur ce que le gouvernement romain aurait envoyé des agents polonais en Hongrie. De sa propre main, le pape avait écrit en marge ces quatre mots : Je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, le comte Mamiani ne rendit point le manuscrit au Saint Père, et il prononça son discours tel qu'il l'avait primitivement conçu. Malgré la lutte sourde qui existait entre le pon

tife et son ministère, Rome jouissait d'une tranquillité momentanée, lorsque, le 16 juin, on apprit que la ville de Vicence venait de tomber au pouvoir des Autrichiens. On devait s'y attendre, car les nouvelles venues les jours précédents du théâtre de la guerre faisaient pressentir cet événement arrivé le 11 du mois courant. Cet échec était d'autant plus fatal aux armes italiennes, que la prise de cette ville et sa possession mettaient le corps d'armée du lieutenant-maréchal Welden en communication directe avec celui du maréchal d'Aspre, qui opérait sur la rive gauche de l'Adige et avec l'armée principale sous les ordres du maréchal Radetzki, ayant Vérone pour centre de ses opérations.

Vicence n'avait, pour résister à trente mille hommes et soixante pièces de canon, que douze mille combattants: néanmoins, les hauteurs qui la dominent furent défendues pendant deux jours avec beaucoup de constance et d'intrépidité par les bataillons romains, vénitiens, et surtout par les Suisses de l'armée pontificale.

La nouvelle de la reddition de Vicence répandit l'émoi dans la ville et provoqua même quelques mouvements populaires facilement réprimés par les mesures du gouvernement.

Un fait moins important, mais qui donnait la mesure de la scission profonde qui régnait entre

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