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patrouilles nocturnes au mépris des traités de 1815. Le cardinal légat Ciacchi, homme énergique, avait combattu cette violation du droit des gens par une protestation approuvée d'abord par le souverain pontife, confirmée et publiée ensuite par les soins du cardinal secrétaire d'État. On espérait, d'après cet acte de légitime défense, que le général autrichien apprécierait la valeur de si justes remontrances. Il n'en fut rien: persistant dans ses résolutions, le général d'Auesperg se plaignit au cardinal légat de ce que le poste des prisons avait été confié à la garde civique; il lui témoigna en même temps sa résolution formelle de faire occuper par ses troupes, la grande garde de la place et les autres postes, si ces postes devaient être remis à la garde civique. Le cardinal Ciacchi lui rappela, dans une réponse pleine de dignité, les droits du Saint-Siége, ajoutant que la disposition prise pour le service des prisons émanait réellement de son autorité, et que lors même qu'une mesure semblable s'étendrait aux autres postes, il n'y trouverait nul motif aux protestations et encore moins aux menaces d'occupation faites par le général. Malgré ces observations, le commandant autrichien fit occuper militairement les postes de la grande garde et les quatre portes de la ville.

Lecardinal légat fit paraître aussitôt une seconde proclamation plus énergique encore que la pre

mière, tandis que, de son côté, le gouvernement supérieur adressait au cabinet de Vienne des réclamations basées sur la religion des traités. Dans cette circonstance, la conduite de Pie IX fut, comme dans toutes celles qui l'avaient précédée, digne de son peuple et de lui. Il obtint bientôt après, de la loyauté du cabinet autrichien, l'évacuation complète de la ville de Ferrare.

Les membres des sociétés secrètes et les chefs. de la jeune Italie profitèrent de cet événement pour activer les préparatifs de leur croisade contre l'Autriche. Ils considéraient avec raison cette puissance comme le principal obstacle à leur rêve d'unité fédérative. Le jour approchait où ils devaient arborer le drapeau qu'ils préparaient dans l'ombre. En attendant, leurs projets n'étaient un secret pour personne; l'Autriche elle-même n'en ignorait aucuns détails, ses agens tenaient dans leurs mains tous les fils de la conjuration, elle suivait pas à pas les progrès du mouvement qui s'organisait contre elle; prête à la lutte, elle était fermement résolue à en subir toutes les conséquences. On en trouve une preuve dans cette remarquable dépêche adressée le 2 août par le prince de Metternich à lord Palmerston :

<< L'Italie centrale est en proie à un mouvement révolutionnaire à la tête duquel se trouvent les chefs des castes politiques qui, pendant plusieurs

années, ont menacé les États de la péninsule. En s'abritant sous le couvert des réformes administratives que le souverain pontife a dernièrement accordées, par un motif de manifeste bienveillance pour son peuple, les factieux cherchent à paralyser l'action régulière du pouvoir et se proposent une fin qui, pour qu'elle s'accorde avec leurs vues, ne peut se limiter aux États de l'Église, ni aux États de la péninsule.

« Ces chefs veulent un seul et unique chef politique, ou au moins une fédération d'États sous la direction d'un pouvoir central. La monarchie n'entre pas dans leurs desseins; ce qu'ils veulent en Italie, c'est une abstraction d'utopie radicale. En un mot, ces sectes veulent une république fédérative comme elle existe en Suisse ou dans les États d'Amérique.

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L'empereur notre auguste maître, n'entend pas être une puissance italienne: il se contente d'être chef de son empire. Une portion de cet empire s'étend au-delà des Alpes, il désire le conserver et rien de plus ; mais il est résolu à le défendre contre qui que ce soit..........

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A cette première dépêche, le ministre autrichien en joint une seconde plus explicite encore et par laquelle il demande au ministre anglais l'attitude que le gouvernement de la reine de la GrandeBretagne compte prendre dans les événements qui

se préparent, et s'il reconnaît en principe le maintien du traité de Vienne relativement aux territoires de l'Italie.

La réponse de lord Palmerston ne se fit pas attendre, elle est formelle; le gouvernement de Sa Majesté la reine, dit-il, reconnaît que les clauses et les stipulations du traité de Vienne, en tant qu'elles s'appliquent à l'Italie et aux autres Etats de l'Europe, doivent être maintenues; il ajoute qu'on ne peut apporter aucun changement et faire aucune modification à ces dispositions sans le concours et sans le consentement de toutes les puissances qui y ont pris part.

Une copie de cette dépêche fut remise aux principaux chefs de la jeune Italie, un soir, qu'ils s'étaient réunis dans un de leurs clubs. L'un d'eux, après en avoir donné lecture à haute voix, s'écria, la colère aux lèvres : « De quel droit les puissances européennes prétendent-elles maintenir les stipulations d'un traité honteux qui permet aux aigles étrangères d'intercepter une part du brillant soleil de l'Italie ? Le peuple a-t-il été appelé au sein des conférences qui lui rivaient les fers de l'esclavage? a-t-il prêté volontairement ses mains aux anneaux de l'oppression? a-t-il donné son consentement aux déchirures que l'épée de l'Autriche a faites à la carte du plus beau pays du monde? L'Italie appartient aux Italiens, les Italiens seuls ont le

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droit de modifier, s'ils le veulent, et de fixer, s'ils en ont le pouvoir aussi bien que la volonté, les clauses des traités de 1815. Savez-vous bien ajouta-t-il, le cas que les patriotes doivent faire de cette insolente dépêche? le voici. » Et de ses mains crispées il déchira la réponse écrite de lord Palmerston, aux acclamations des conjurés qui s'écrièrent : A bas l'Autriche! vive l'Italie! Charles Bonaparte, fils de Lucien, prince de Canino, se trouvait à cette époque l'un des agents les plus actifs du parti de la jeune Italie. Petit, gros de taille, portant au front, moins la finesse et la dignité, le type des Bonapartes, le prince de Canino, habituellement vêtu de noir, faisant participer le négligé de sa toilette aux désordres de ses idées, remplaçait par une faconde verbeuse et parfois brillante, la nullité de son intelligence politique. Habile dans l'art de la dissimulation, il avait joué, sous le pontificat précédent, deux rôles diamétralement opposés. Le matin dans les antichambres des cardinaux, le soir dans les conciliabules des sociétés secrètes, il avait exploité par un double jeu les chances du présent et les éventualités de l'avenir. Souvent même on l'avait vu se rendre pieusement au Vatican pour déposer, aux pieds de Grégoire XVI, des hommages que son cœur démentait. Savant naturaliste, bon père de famille, généreux même à l'occasion, il eût fait un excellent citoyen, si, ré

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