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au courant de l'opinion publique, égarée ellemême par les déclamations emphatiques d'une audacieuse minorité, et plus encore par le prestige qui s'attache aux mots d'indépendance et de nationalité.

Ainsi que nous l'avons dit, les Chambres, prorogées le 26 août, devaient se rouvrir le 15 novembre; le souverain Pontife songea à profiter de leur vacance pour s'entourer d'un ministère puissant et fort qui remplaçât, par l'intelligence et l'énergie, la faiblesse et le peu d'expérience que le cabinet actuel, animé cependant de bonnes intentions, apportait au soin des affaires. Pour cela, il ne lui fallait qu'un homme dont l'esprit de sagesse fût au niveau de sa pensée et le dévouement à la hauteur des circonstances: il jeta les yeux sur le comte Rossi, et lui fit proposer la première place dans les conseils du Saint-Siége.

Rossi, quoique touché de la confiance que le pontife lui accordait, hésita; d'un seul coup d'œil il avait mesuré l'énorme difficulté des problèmes qu'il aurait à résoudre comme chef du cabinet pontifical. D'un autre côté, sa qualité de Français devenait un obstacle d'autant plus grand qu'il n'avait jamais voulu faire acte de reconnaissance envers la République de février et que l'autorisation de ce gouvernement devenait indispensable à l'acceptation du poste important qu'on lui propo

sait. Cependant comme Pie IX insistait, le père Vaures ménagea une entrevue entre Rossi et le duc d'Harcourt, son successeur à l'ambassade de Rome. Après de longs pourparlers, il fut convenu qu'on écrirait à Paris pour obtenir la sanction du nouveau gouvernement, qui la refusa; cependant comme il y avait urgence, le duc d'Harcourt, se fondant sur ce que le pape, comme chef suprême de deux cents millions de sujets catholiques, pouvait avoir le droit de choisir ses ministres dans les

États qui relevaient de son autorité spirituelle, conseilla de passer outre, et il écrivit lui-même dans ce sens une seconde fois à son gouvernement. Rassuré sur ce point, le comte Rossi accepta, dans un nouvel entretien qu'il eut avec le Saint Père, la direction des affaires et les lettres de naturalisation dont il avait besoin dans sa nouvelle position, autant pour sa garantie personnelle que pour la sûreté de sa famille.

Les conditions qu'il proposa dans son premier programme au pape ne furent pas acceptées; alors s'estimant heureux de pouvoir décliner l'immense responsabilité qu'il n'avait point ambitionnée, il se retira à l'hôtel d'Angleterre.

Dans cet intervalle, les événements ayant subi de notables modifications, le père Vaures fut de nouveau chargé d'inviter le comte Rossi à se rendre au Quirinal. L'ex-ambassadeur, supposant avec

raison qu'il s'agissait de renouer les négociations, refusa d'abord, mais sur les instances pressantes du moine français, il lui dit : «Vous m'avez toujours donné d'excellents conseils dites-moi ce que je dois faire? Vous rendre à l'appel du pape et accepter le poste qu'il vous offre, répondit le père

Vaures.

- « La situation est si difficile!

— « Raison de plus, d'ailleurs l'esprit de Dieu vous dirigera.

«Que sa volonté soit faite!» répliqua Rossi ; et, pressant la main du père Vaures, il ajouta ces paroles de l'Évangile : In verbo tuo, laxabo rete; puis se rendant aussitôt chez le pape, il accepta définitivement la direction du cabinet constitué de la manière suivante :

Le cardinal Soglia, président et secrétaire d'État ;

Ciccognani, grâce et justice;

Montanari, commerce;

Le prince de Rignano, travaux publics et la guerre, par intérim ;

Guarini, ministre sans portefeuille;

Rossi se réservait l'intérieur, la police, et, par intérim, les finances.

Dès lors, l'ex-ambassadeur de France, devenu ministre, se mit à l'œuvre avec courage, et fort de sa conscience, secondée par sa prodigieuse habi

leté, il espéra, sans trop de présomption, arriver à l'accomplissement de l'œuvre la plus difficile qui se fût jamais trouvée dans un pays complétement désorganisé. D'un dévouement sans bornes à la personne du pontife, d'un zèle infatigable, d'une activité à toute épreuve, il se rendait chaque jour au Quirinal pour imprimer lui-même aux divers rouages de la machine gouvernementale l'impulsion rapide de sa puissante volonté. Insensible aux cris de colère, aux injures, aux menaces même de la presse démagogique et des hommes du mouvement, il marchait fièrement devant lui d'un pas ferme sur le terrain qui s'était écroulé sous ceux qui l'avaient précédé. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis son entrée au ministère, que l'influence de son habileté pratique se faisait déjà sentir dans toutes les branches de l'administration. Les premiers à répondre à son appel et jaloux de concourir au bien de l'État, les divers Ordres du clergé et les corporations religieuses, venant à son aide, offrirent au Saint Père une somme de vingt-un millions six cent mille francs.

Dans le même temps, le ministre infatigable, voyant tout et faisant tout par lui-même, projetait la réorganisation civile de l'Etat romain et négociait à Naples, Florence et Turin les bases d'une confédération des États italiens, répondant ainsi victorieusement, sur ce dernier point, aux

griefs des clubs qui cherchaient à le représenter comme hostile à la ligue et par suite à l'indépendance italienne. D'un autre côté, maître sur ce terrain, il revendiquait, en faveur du pape, l'initiative de la pensée première de la ligue, prouvant que le souverain Pontife n'avait rien négligé pour concilier les conditions de justice, de sagesse et de dignité qui seules pouvaient en assurer le succès. C'est ainsi que, le 4 novembre, il réfuta, par une note rédigée avec un talent remarquable et insérée dans la Gazette de Rome, les prétentions du ministère piémontais qui, dans la séance du 21 octobre, en plein sénat, en avait réclamé tout l'honneur. Il établit, de la manière la plus péremptoire, que non-seulement le pape était le promoteur de la ligue, mais qu'il avait vu ses efforts échouer contre les exigences insensées du cabinet de Turin. Ce cabinet, en effet, voulait qu'on déclarât la ligue en principe, et, passant le royaume de Naples sous silence, il demandait qu'on lui envoyât immédiatement des troupes et de l'argent. Après avoir clairement démontré combien il était absurde de vouloir se passer du concours de l'État le plus puissant de la péninsule, après avoir fait comprendre que l'autonomie italienne et l'agrandissement du Piémont n'étaient pas des termes identiques et inséparables, l'auteur de cette note, chefd'œuvre d'habileté politique, ajoutait :

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