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de Civita-Vecchia, il y arrive à minuit pour s'embarquer sur le Tenare.

Il était six heures et dix minutes lorsque, sur l'ordre qu'il en reçut, le cocher, qui conduisait la fortune de Rome, descendant la colline, traversa la place Trajane, suivit les rues qui mènent au Colisée et parvint bientôt au Therme de Titus où le comte de Spaur attendait près de l'église de Saint-Pierre et Saint-Marcelin avec sa voiture et son chasseur armé, ainsi que lui, de poignards et de pistolets. Enfin une demi-heure après avoir quitté le Quirinal, le Saint Père, l'âme navrée de douleur, mais parfaitement résigné à la volonté de Dieu, franchissait sans difficultés la porte de Saint-Jean de Latran.

La voiture qui transportait l'illustre fugitif rejoignit dans la nuit la comtesse de Spaur qui attendait dans la vallée de l'Aricia près d'Albano. Au moment où les voitures se rencontrèrent quatre carabiniers, faisant une patrouille, s'arrêtèrent; mais douée d'une admirable présence d'esprit la comtesse de Spaur, sans descendre de sa berline de voyage, s'écria avec un ton d'humeur: « C'est vous, monsieur le docteur, vous vous faites bien attendre; c'est fort mal! on ne pourra donc jamais vous corriger de vos lenteurs? » Pendant ce tempslà le Saint Père, descendant sans dire un seul mot de sa voiture, monta dans celle de la comtesse.

Lés carabiniers, loin de soupçonner que le pape se trouvait devant eux, relevèrent eux-mêmes le marchepied en souhaitant aux illustres fugitifs un heureux voyage. Le Saint Père se trouvait au fond de la berline, auprès de la comtesse de Spaur; en face, le jeune Maximilien de Spaur avait pris place auprès de son gouverneur, M. Liebel; une femme de chambre occupait le siége de devant, le comte de Spaur et son fidèle chasseur occupaient celui de derrière.

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Pardonnez-moi, très-saint Père, s'était écriée la comtesse de Spaur lorsque le pape fut entré dans la voiture, pardonnez à votre indigne servante si la nécessité lui procure à vos côtés une place qu'elle ne mérite point. « Vous êtes aujourd'hui, répondit le pape, un des instruments dont la Providence a voulu se servir pour accomplir un de ses mystérieux desseins. » Puis, voyant l'émotion de la comtesse, il ajouta : — « Ne craignez rien, Dieu est avec nous. »

Une partie du voyage se fit assez heureusement, mais à Fondi, le Saint Père fut encore sur le point d'être reconnu ; à sa vue, l'un des postillons, poussant un cri de surprise, dit à l'un de ses camarades : Regarde donc cet abbé, il ressemble au portrait du pape que nous avons chez nous. »> La berline, changeant de chevaux à chaque relai, dévorant l'espace sous les yeux du comte de

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Spaur, qui stimulait avec de l'or le fouet des tillons, avait franchi la frontière des États romains, Pie IX était sauvé! Ce fut alors que, levant les yeux au ciel et rendant grâce à Dieu de sa divine protection, le saint pontife récita d'une voix émue le beau cantique du Te Deum, auquel s'associèrent des lèvres et du cœur ses bienheureux compagnons de voyage.

La voiture du pape, arrivée à neuf heures et demie du matin au môle de Gaëte, rejoignit enfin celle du cardinal Antonelli et du chevalier d'Arnao, qui l'y avait précédée de quelques heures. Les voyageurs descendirent à l'hôtel de Cicéron, où l'on fit servir un déjeuner auquel le Saint Père ne prit aucune part; il se retira dans une chambre particulière où il rendit de nouvelles actions de grâce à la Providence, et consentit à prendre quelques rafraîchissements. Après quelques instants de repos, les illustres voyageurs, se réunissant en conseil, décidèrent que le comte de Spaur irait à Naples pour rendre compte au roi des DeuxSiciles des évènements qui avaient obligé le chef de l'Église à venir chercher un refuge dans les États napolitains; le pape lui remit à cet effet une admirable lettre, qu'il écrivit de sa propre main à Ferdinand II.

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Sire, lui disait-il, le triomphe momentané des ennemis du Saint-Siége et de la religion compro

mettant la personne du chef de l'Église catholique, l'a forcé malgré lui à quitter Rome. Je ne sais sur quel point du globe la volonté du Seigneur, à laquelle je me soumets dans toute l'humilité de mon âme, conduira mes pas errants; en attendant, je me suis réfugié dans les États de Votre Majesté, avec quelques personnes fidèles et dévouées. J'ignore quelles seront vos intentions à mon égard : dans le doute, je crois devoir vous mander par l'entremise du comte de Spaur, ministre de Bavière auprès du Saint-Siége, que je suis prêt à quitter le territoire napolitain, si ma présence dans les États de Votre Majesté pouvait devenir un sujet de craintes ou de différends politiques.

« Signé : PIE IX. »

Alors, changeant ses passeports contre ceux du chevalier d'Arnao, le comte de Spaur, porteur des dépêches autographes du pape, prit immédiatement, en poste, la route de Naples, et le Saint Père et les autres fugitifs se mirent en route d'un autre côté, pour se rendre à Gaëte, situé à une distance de cinq milles du môle qui porte le même nom.

Pendant ce temps et à la même heure, on apprenait à Rome le départ du pape par une lettre autographe, que le maître du Palais, le marquis Sachetti, son destinataire, s'empressa de communiquer, par ordre, à Joseph Galetti. Celui-ci s'en emparant quoiqu'elle ne lui fùt point adressée, et

la conservant par devers lui pour s'en faire une pièce de conviction, la fit aussitôt afficher sur les murs de la ville, au-dessous de la proclamation

suivante :

<< Romains!

« Je crois de mon devoir de porter à votre connaissance une lettre de S. S. adressée au marquis Gerolamo Sachetti et que celui-ci m'a communiquée :

<< Marquis Sachetti, nous vous prions de prévenir le ministre Galetti de notre départ, le chargeant, ainsi que ses collègues du ministère, de faire respecter les personnes qui nous étaient attachées, car elles ont complétement ignoré notre intention. Nous vous recommandons de tâcher de maintenir l'ordre et la paix dans la ville.

<< 24 novembre 1848.

« P., PP. IX. »

Se prévalant de cette pièce pour se considérer comme l'agent légal du souverain, Galetti s'empressa de la communiquer au cercle populaire national qui, après en avoir pris connaissance, adressa aux Romains une proclamation ainsi

conçue:

<< Le pontife est parti en confirmant le nouveau ministère et en lui recommandant de conserver l'ordre et de protéger la propriété de toutes les classes et conditions. Le ministère, régulièrement

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