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moment de silence solennel, il reprit avec calme et sans trahir aucune émotion :

« Messieurs,

« La circonstance est tellement impérieuse, les choses fatales se pressent et se succèdent avec tant de rapidité, que je dois en appeler à la loyauté de ma garde civique. A ce corps, je confie ma personne, le sacré collége, la vie et la fortune de tous les citoyens, le maintien de l'ordre et de la tranquillité publique. C'est la plus grande preuve de confiance que puisse donner un souverain à ses sujets. J'ai chargé une commission de réunir toutes les dispositions que j'ai ordonnées pour harmoniser les réformes nécessaires et les approprier aux besoins des temps.

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J'augmenterai le nombre des membres de la consulte d'État, je donnerai plus d'importance et plus d'étendue à leurs attributions. Ce que j'ai accordé sera maintenu. Un plus grand bien encore eût été fait, si ceux dont j'implorai le concours n'avaient voulu me l'imposer par des conditions. Des conditions! messieurs, je n'en accepterai jamais de personne! entendez-vous bien! Non, il ne sera jamais dit que le pape ait consenti à des choses contraires aux lois de l'Église, aux principes de la religion. Si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, on voulait faire violence à ma volonté, me forcer dans mes droits; si jamais je me voyais

abandonné des hommes que j'ai tant aimés et pour lesquels j'ai tout fait! je me jetterais dans les bras de la Providence qui, elle, ne me faillirait point.

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Que les bons citoyens donc se gardent des malintentionnés qui, sous de vains prétextes, désirent bouleverser l'ordre public, et parvenir, par des ruines, à la possession des biens d'autrui. La Constitution n'est pas un nom nouveau pour notre pays. Les États qui la possèdent aujourd'hui l'ont copiée sur notre histoire. Nous avons eu la Chambre des députés dans le collége des avocats consistoriaux; nous avons eu la Chambre des pairs dans le sacré collége, à l'époque même de notre prédécesseur Sixte-Quint. Sur ce, messieurs, allez, et que le ciel avec vous me soit en aide. »

Dans la soirée du même jour, une manifestation plus nombreuse encore que toutes celles qui avaient eu lieu jusqu'alors, rassembla plus de quarante mille hommes sur la place du Quirinal. Au moment où le pape acclamé parut au balcon pour bénir le peuple, une voix, une seule voix, celle d'un nommé Andreis, fit entendre ce cri: Plus de prêtres au gouvernement! Alors d'un signe de sa main droite, le souverain pontife, imposant silence, s'écria d'un ton ferme et péné

trant :

<< Avant que la bénédiction du ciel descende sur vous, sur les États romains, et, je le répète,

sur toute l'Italie, je vous recommande l'union, la concorde, et je désire que vos demandes ne soient point contraires à la sainteté du Saint-Siége. Certains cris, qui ne partent pas du sein de mon peuple, sont proférés par un petit nombre de gens inconnus. Je ne puis, je ne dois, je ne veux les entendre: Non posso, non debbo, non voglio. Ainsi donc, à la condition expresse que vous serez fidèles au pontife et à l'Église.... » A ces mots, le peuple répondit par ce seul cri: Oui, oui, trèssaint Père, nous le jurons.... « A cette condition, reprit le pape, je prie Dieu qu'il daigne vous bénir, comme je vous bénis moi-même de toute mon âme. Rappelez-vous votre promesse, soyez fidèles à l'Église et au pontife.

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Aucune langue humaine ne saurait rendre l'effet de cette allocution prononcée par une voix dont les accents retentirent jusques au fond des cœurs; le peuple, terrassé par cet écho de Dieu, sembla cimenter avec ses larmes la promesse qu'il venait de faire et qu'il aurait tenue si, entre le pape et lui, les sociétés secrètes n'avaient creusé un profond abîme.

Le lendemain de ce jour-là, cédant aux exigences de la populace, le cardinal Riario Sforza, monseigneur Domenico Savelli et monseigneur Giovanni Rusconni déposèrent, aux pieds du Saint Père, leurs portefeuilles de ministres. Pie IX, ayant

accepté leurs démissions, sécularisa les trois ministères vacants en appelant le comte Giovanni Pusolini au commerce et aux beaux-arts, l'avocat Francesco Sturbinetti au ministère des travaux publics, et le prince de Téano à la police. Cette combinaison ministérielle devint le sujet d'une nouvelle démonstration populaire.

Ce fut à cette époque que reparurent dans Rome les trois couleurs que les révolutionnaires avaient arborées lors de leur tentative de 1831. Mal portées le premier jour, ces couleurs, imposées par la menace et la peur, devinrent bientôt indispensables à la toilette romaine. Tous les gardes civiques en uniforme, tous les bourgeois en tenue civile, les femmes elles-mêmes dans leur habit de ville, s'attachèrent au chapeau, à la boutonnière ou à la taille, des noeuds de rubans rose, vert et blanc. Ces insignes indiquaient ouvertement une résistance systématique au pouvoir. Combien de cœurs devaient battre avec dégoût sous les poitrines ainsi pavoisées!

Dans le même temps, les Constitutions décrétées successivement à Naples, Turin et Florence, eurent leur contre-coup à Rome. Vivement ému par ces événements qui devaient inévitablement déterminer de prochaines convulsions, le peuple se livra tout entier à l'une de ces démonstrations spontanées qui de chaque jour faisait un jour de

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trouble et de tumulte. Cette fois, ce fut la magistrature municipale qui prit l'initiative par une proclamation signée par le sénateur Corsini et huit conservateurs : les Romains, invités à illuminer leurs maisons en signe de réjouissance, pavoisèrent de tentures et d'inscriptions les rues par lesquelles une procession improvisée devait se rendre au Capitole. Le cortége se mit en marche à la lueur des torches et traversa le Corso en répétant les cris accoutumés auxquels furent ajoutés ceux de Vivent les Palermitains! vive la Constitution! gloire à ceux qui meurent pour la patrie! Devant le palais de l'ambassadeur d'Autriche, illuminé cependant comme tous les autres palais diplomatiques, le cortége fit un silence complet et abaissa les torches en signe de deuil; mais arrivé devant l'église du Gésu qui fait suite au palais de l'ambassade, les vociférations, un instant comprimées, recommencèrent avec une exaltation nouvelle. Parvenue dans cet ordre au Capitole, la multitude se groupa sur les escaliers et sur les monuments voisins. Alors un homme à figure sombre, un réfugié toscan, aux cheveux incultes, à l'oeil caverneux, au front pâle, portant une longue barbe grise et un manteau fripé, s'élança sur le cheval de bronze de la statue de Marc Aurèle, et plaça dans les mains de l'empereur un immense drapeau aux trois couleurs (rouge, blanc et vert). On

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