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isolées ou accouplées, la rouille, des corps étrangers, des impuretés, des matières en putréfaction.

Les matières colorantes peuvent encore jouer un rôle important dans la production des accidents. Les matières inertes, charbon, suie, brique pulvérisée, encre de Chine, sont relativement inoffensives. Certaines substances colorantes végétales variables suivant les peuplades peuvent avoir une action irritante. Enfin quelques matières toxiques, comme le cinabre, ont à la fois un rôle colorant et une action toxique.

Les topiques appliqués sur le tatouage ont une égale influence. Ainsi certains tatoueurs, au lieu de recouvrir leurs dessins de compresses d'eau fraiche, les badigeonnent avec des décoctions irritantes de certaines plantes, avec de l'urine, de l'eau salée, du jus de tabac. On comprend de reste l'action excitante de ces substances sur des piqûres récentes.

Notons encore parmi les influences qui peuvent déterminer des accidents les conditions individuelles ou du milieu : l'âge et l'état de santé des sujets tatoués, leur constitution, leur tempérament, l'état de la saison, les hautes températures, qui prédisposent aux réactions, aux congestions. Les conditions locales du dessin n'ont pas une moindre influence; nous l'avons déjà noté. C'est ainsi que le tatouage de la face, celui du crâne, des oreilles, des paupières, des parties génitales, sont relativement plus graves que les autres. Ils prédisposent parti culièrement à la fièvre, au délire, et, s'ils se terminent par un phlegmon, celui-ci acquiert de son siége même une extrême gravité, pouvant se compliquer de phlébite des jugulaires, des sinus, et même de mort.

Enfin les conditions opératoires feront singulièrement varier les conditions du tatouage. Si les séances sont convenablement espacées, courtes, si l'opération est faite avec habileté et rapidité, les suites seront simples. Si l'opérateur est brutal, les séances rapprochées, les surfaces tatouées très-étendues, elle sera suivie d'un ou plusieurs des accidents signalés.

B. DU TATOUAGE AU POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL. Un des signataires de l'article a spécialement traité ce sujet et, tout en utilisant les différents renseignements qui se trouvent dans les chapitres précédents, s'est proposé de présenter les applications médico-judiciaires de la question. Un travail fait en 1881 dans le laboratoire de médecine légale de la Faculté de Lyon et accompagné de plan· chies est basé sur le dépouillement de près de 2000 tatouages relevés sur la peau de 550 individus. Depuis cette époque, notre collection s'est augmentée et nous ajouterons aux résultats antérieurs qu'on retrouvera dans notre mémoire spécial les nouvelles observations que nous avons pu réunir depuis.

Dans l'exposition de ce sujet, nous adopterons les divisions générales que nous appliquons à un cas quelconque de médecine judiciaire: Definition: nature et limites du sujet; règlement et législation; caractères scientifiques: conséquences médico-judiciaires et règles de l'expertise.

I. DEFINITION ET LIMITES DU sujet. Tout en acceptant les divisions générales adoptées dans les premiers paragraphes de notre article, nous croyons qu'au point de vue de la pratique médico-judiciaire, particulièrement dans nos pays, il y a tatouage lorsque des matières colorantes végétales ou minérales sont introduites sous l'épiderme et à des profondeurs variables à l'effet de produire une coloration ou des dessins apparents de longue durée, quoique non absolument indélébiles. Nous nous occuperons donc particulièrement des cicatrices colorées par l'introduction de particules colorantes dans les mailles du tissu.

Si les récits des voyageurs avaient indiqué les modes de tatouage chez les différents peuples, le point de vue médico-légal de la question et leur valeur comme signe d'identité ne parut bien évident qu'après les travaux de Lesson, Follin, Cordier, Casper, Chéreau, Hutin, Tardieu, Taylor, Darwin, Berchon; ce dernier auteur a le premier publié une intéressante histoire du tatouage, qui présente un ensemble complet de la question. Le docteur Horteloup fit à la Société de médecine légale en 1870 un rapport où l'importance de ce signe fut nettement mise en lumière. Citons aussi un travail de Kranz paru en Allemagne, les travaux si remarquables de Lombroso et de son école, publiés dans l'Archivio.

Tardieu insista sur ce point que le tatouage pouvait être considéré comme un signe très-important au point de vue de la constatation médico-légale de l'identité. Pour M. Berchon, la question doit être envisagée à un point de vue plus étendu; l'opération n'étant pas exempte de dangers, il peut y avoir intervention de la justice, et il résume ainsi l'importance du sujet qui nous occupe : Le tatouage est un signe d'identité individuel précieux à rechercher, soit sur le vivant, soit sur le cadavre, soit dans le cas d'exhumation juridique. Il peut même fournir, selon la nature et le siége qui le constitue, des notions importantes et quelquefois décisives sur la condition sociale, l'àge, le sexe, la nationalité, les goûts et surtout la profession actuelle ou antérieure des personnes visitées. » M. Horteloup insiste en effet sur ces différents points dans l'analyse du travail de Berchon, mais il critique vivement le système répressif proposé par celui-ci. D'après M. Horteloup, la suppression du tatouage ne peut être demandée qu'au bon sens, à l'intelligence, à l'instruction, qui développent les sentiments de dignité personnelle. Nous ferons à notre tour remarquer que ces qualités exigées par M. Horteloup sont fort rares ou absentes dans la classe spéciale de la société où le tatouage est particulièrement en honneur; que la mode ou une vanité puérile interviennent souvent, et qu'enfin, autant que nous avons pu en juger, le tatouage ne paraît pas en décroissance, mais que dans la plupart des grandes villes de France, par exemple, il existe des tatoueurs de profession.

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Ainsi, à Lyon, nous connaissons un tatoueur qui, presque chaque jour, fait un on plusieurs tatouages soit sur des militaires, soit sur certains ouvriers tatoue les individus chez un marchand de vin, au voisinage des casernes, ou chez une mère de compagnons ». Il a assez souvent tatoué des enfants qui lui ont été présentés par leurs parents, et sur certaines dames figuré des grains de beauté. Il a même pratiqué des tatouages dans les oreilles de chiens auxquels les propriétaires tenaient beaucoup et qui voulaient ainsi être certains de les reconnaître, si ces bêtes leur étaient volées.

Notre collection s'est considérablement augmentée par les envois d'un de nos camarades de l'armée. M. le docteur Renaud nous a fait parvenir de Laghouat plusieurs centaines de tatouages pris sur les hommes du bataillon d'Afrique. Nous en avons aussi trouvé un grand nombre dans les prisons de Lyon. Le tatouage est certainement un des signes les plus importants dans le relevé signalétique qu'on a à faire d'un criminel, et, si l'on consulte la collection que nous avons dans notre laboratoire des signalements adressés par le ministère de l'Intérieur, pour la recherche des individus sous le coup d'une prévention, de ceux qui se sont échappés des pénitenciers ou des maisons de justice, etc., on relève parmi eux un nombre considérable d'individus tatoués; on acquiert même

bientôt cette conviction que rien n'est plus monotone que ces dessins euxmêmes, que leur variété est aussi limitée que le petit nombre d'idées dont tatoueur et tatoué disposent. Toutes ces recherches nous ont confirmé dans l'exactitude des divisions de tatouages dont nous aurons à parler plus loin.

Nous croyons que les tatouages peuvent être comparés aux hiéroglyphes: il y en a en effet de figuratifs, de symboliques, de phonétiques. Les tatouages sont essentiellement idéographiques, et c'est presque toujours une idée qui est exprimée par des images ou des symboles. C'est pour ces raisons d'ailleurs que nous les avons rapprochés des graffiti, que nous considérons comme les tatouages des murailles.

C'est qu'en effet les hommes ont d'abord dessiné leurs idées avant de les écrire aussi, après avoir cité Darwin et Lombroso, l'influence atavique sur la manifestation d'une coutume presque généralisée à toute l'espèce humaine primitive, nous insisterons sur ce point que, pour un grand nombre de tatouages symboliques, il faut tenir compte des tendances fétichiques qui, bien que plus fréquentes et plus spontanées depuis un siècle, sont cependant inhérentes à l'organisme humain.

Dans son Histoire des enseignes de Paris, l'érudit et regretté Édouard Fournier consacre un premier chapitre à l'origine des enseignes dans l'antiquité. Il indique les enseignes à combat pour les marchands qui vendaient des armes de guerre, celles des hôtelleries, des cabarets (une couronne de lierre suspendue à la porte. Le lierre était consacré à Bacchus). Différents animaux, un ours, un coq, puis un moulin à vent. Les enseignes des mauvais lieux, meretricia et lupanaria, étaient moins morales; ces établissements étaient signalés le jour par l'image monstrueuse d'un phallus et le soir par la faible clarté d'une lampe phallophore. Plus tard le phallus fut remplacé par une pierre en forme de coin qui avait la même signification.

Dans les fouilles de Pompéi on a trouvé des enseignes peintes ou sculptées en pierre tout aussi caractéristiques. Ainsi une chèvre était l'enseigne d'une étable de chèvres ou d'un vendeur de lait. Un professeur de pugilat avait une peinture représentant deux hommes qui combattent; la maison d'un maître d'école était indiquée par un homme fouettant un enfant : « Les enseignes emblématiques étaient si bien appropriées à l'esprit du peuple romain, dit Fournier, que l'édile faisait peindre sur les monuments publics des figures de serpents, et cette simple image comprise de tout le monde avait le même sens et la même autorité que cette inscription plus explicite que l'on retrouve partout dans les villes modernes : Défense de déposer ici aucune ordure sous peine d'amende. Le serpent consacré à Esculape commandait le respect et inspirait une sorte de crainte religieuse. » Dans l'étude que le même auteur consacre aux enseignes de Paris, on trouve des enseignes de marchands, de corporations, de confréries et de métiers (hôtelleries, barbiers, étuvistes, chirurgiens, apothicaires, dentistes, imprimeurs, etc.), qui montrent bien que les enseignes, au douzième siècle, n'étaient que les insignes des métiers. Or, comme ceux-ci étaient distribués dans telle ou telle rue, ces rues portaient le nom de la profession avec des armes parlantes ou des indications figurées. Il est certainement intéressant de constater que dans les tatouages professionnels actuels on retrouve certains emblèmes des anciennes corporations ou confréries. II. RÈGLEMENTS ET LÉGISLATION. Diverses ordonnances ou instructions ministérielles, une circulaire du 26 août 1851, ont recommandé aux directeurs des maisons de détention l'inscription et la description des tatouages des prisonniers.

D'ailleurs, d'après le règlement du 27 octobre 1808 et les articles 200 et 206 de l'ordonnance du 29 octobre 1820, de l'instruction ministérielle du mois de septembre 1885, il faut faire un relevé très-exact de l'état signalétique des détenus.

Le ministère de l'Intérieur adressait la circulaire suivante aux préfets, en date du 23 octobre 1849 :

Je vous prie d'inviter le directeur à recueillir avec le plus grand soin possible tous les signes particuliers qui affectent l'habitus du corps, car, à l'aide de ces signes, l'individu qui ne veut pas reconnaître, comme lui étant applicable, une condamnation antérieure, est matériellement contraint à l'avouer. Il est utile surtout de relever les sujets représentés par le tatouage et de ne pas les signaler seulement par l'expression générale de tatoué ».

Voici le texte de la dépêche adressée aux préfets maritimes, officiers géné– raux, supérieurs et autres, commandant à la mer, et commissaires à l'inscription maritime, en date du 11 février 1860:

M. l'inspecteur général de santé de la marine a signalé dans un rapport récent les dangers réels que présente la pratique du tatouage, aujourd'hui répandue dans les différents corps de l'armée de mer et plus particulièrement dans le personnel de la flotte. Plusieurs exemples, empruntés à la statistique du département, démontrent que, dans certains cas, la perte d'un bras, la mort même, peuvent être le résultat de tatouages opérés sur de larges surfaces.

Quant aux accidents moins graves, quoique toujours dangereux et entraînant une longue suspension de service, qui proviennent de la même cause, le nombre en est considérable.

La prudence commande donc de s'abstenir du tatouage et, dès lors il est essentiel, dans l'intérêt même des hommes, d'appeler leur sérieuse attention. sur les dangers auxquels les expose une habitude trop généralement répandue. « Il appartient plus spécialement à MM. les officiers commandant à la mer, les chefs de corps et les commissaires de l'inscription, de porter à la connaissance des marins de la flotte et des militaires de divers corps les observations qui précèdent, en joignant, pour l'avenir, l'invitation de renoncer au tatouage d'une manière absolue ».

Selon que l'opération du tatouage aura été suivie d'accidents plus ou moins graves, et s'il y a lieu à une action civile ou criminelle, il pourra être fait application des articles suivants du Code civil ou du Code pénal.

D'abord les délits et les quasi-délits, d'après la loi civile.

Art. 1382. Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Art. 1383.—Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non-seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.

Art. 1384. — On est responsable non-seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde, etc.

Voici les articles du Code pénal:

Art. 509. Tout individu qui, volontairement, aura fait des blessures ou porté des coups, ou commis toute autre violence ou voie de fait, s'il est résulté de ces sortes de violences une maladie ou une incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 16francs à 2000 francs. Quand les violences ci-dessus exprimées auront été suivies de mutilation, amputation ou privation de l'usage d'un membre, cécité, perte d'un œil ou autres infirmités permanentes,

le coupable sera puni de la réclusion. Si les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la mort, l'ont pourtant occasionnée, le coupable sera puni de la peine des travaux forcés à temps.

Art. 511. Lorsque les blessures ou les coups, ou autres violences ou voies de fait, n'auront occasionné aucune maladie ou incapacité de travail personnel de l'espèce mentionnée en l'article 309, le coupable sera puni d'un emprisonnement de six jours à deux ans et d'une amende de 16 francs à 200 francs ou de l'une de ces deux peines seulement.

Art. 319. Quiconque par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide ou en aura été involontairement la cause, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 50 à 600 francs.

Art. 320. S'il n'est résulté du défaut d'adresse ou de précaution que des blessures ou coups, le coupable sera puni de six jours à deux mois d'emprisonnement et d'une amende de 16 à 100 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement.

Nous discuterons plus loin, à propos des conséquences médico-judiciaires, les applications de ces différents articles de loi.

III. CARACTÈRES SCIENTIFIQUES. Au point de vue médico-légal, nous devons étudier successivement l'influence de l'âge, du sexe, de la profession, puis leur valeur médico-légale d'après leur siége, leurs caractères extérieurs. Nous traiterons ensuite des changements survenus dans les tatouages, des tatouages involontaires ou accidentels, des accidents produits par le tatouage, des tatouages sur le cadavre.

1o L'âge. Les tatouages peuvent avoir lieu à tout âge; c'est surtout vrai pour les criminels qui se distinguent par leur précocité et se font tatouer de bonne heure, et plus tard, après trente ans, quand ils sont dans les prisons. Lombroso, à la prison générale, en a trouvé sur des enfants de sept à neuf ans. Sur 89 criminels, en général, 66 avaient été tatoués entre neuf et seize ans. Nos recherches confirment celles de Lombroso et sont en contradiction avec les assertions de Tardieu et de Berchon. Le tableau suivant est très-caractéristique à ce point de vue :

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Il résulte de mes observations, faites sur des criminels, que presque le tiers des individus avait été tatoué avant l'âge de vingt ans.

Le tableau montre encore l'influence de la vie d'atelier pour le jeune apprenti. Il en est de même pour le soldat arrivant au régiment; les uns et les autres cèdent à un esprit d'imitation.

La statistique de Hutin est à citer à ce propos. Sur les 3000 invalides habitant en 1853 l'Hôtel, 506 avaient été tatoués :

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On a dit que des tatouages, le plus souvent superficiels, étaient pratiqués par

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