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JEUDI 29 NOVEMBRE 1832.

(N" 2030.)

Sur l'école des religieuses de Binica

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Voilà plusieurs mois que les tribunaux retentissent de l'af faire des religieuses de Binic, affaire qui n'intéresse point elles seules, mais qui est importante pour toutes les autres congrégations vouées à l'enseignement. Nous donnerons donc c l'historique du procès qu'on leur a suscité, et nous y joindrons quelques réflexions sur la prétention élevée par le ministère public.

Deux Sœurs de la congrégation du Saint-Esprit, qui sont établies à Binic, diocèse de Saint-Brieuc, y avoient ouvert une école pour les filles, sans demander aucune autorisation. Le procureur du roi de Saint-Brieuc donna l'ordre de fermer l'école, et, le g avril dernier, le maire de Binic se transporta au hameau de La Villegarnier, où les Sœurs résident, et leur signifia la défense. Elles s'engagèrent à ne recevoir pour le présent aucune écolière, et n'en furent pas moins condamnées par le tribunal de police correctionnelle de Saint-Brieuc, le 13 avril, à une amende de 100 fr. et aux frais, pour avoir tenu une école sans autorisation. Les deux religieuses n'avoient point paru, et avoient été condamnées par défaut; on leur appliqua le décret de Buonaparte, du 15 novembre 1811. Elles appelèrent de ce jugement, et leur affaire fut portée à la cour royale de Rennes, le 25 juillet dernier. M. Janvier devoit, dit-on, plaider pour les Sœurs, mais il ne put se rendre à Rennes, ayant été retenu à Angers par une cause politique. Les deux religieuses ne comparurent pas plus à Rennes qu'à Saint-Brieuc, et il n'y eut point de plaidoieries contradictoires. Le 19 juillet, on fit à la cour royale le rapport de la procédure, et le procureur-général donna ses conclusions. Cependant la cour annula, le 25 juillet, le jugement de St-Brieuc, et déchargea les Soeurs des condamnations prononcées contre elles. Le motif de l'arrêt étoit que les décrets impériaux de 1808 et de 1811 ne concernoient que les établissemens d'instruction publique pour les garçons, que ce n'est que sous la restauration, et par les ordonnances du 29 février 1816 et du 21 avril 1828, qu'on a soumis aux mêmes dispositions les écoles

Tome LXXIV. L'Ami de la Religion.

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de garçons et celles de filles, mais que la disposition pénale du décret de 1811 n'avoit lieu que pour les écoles de garçons, et n'est point applicable aux écoles de filles. Le ministère public à Rennes interjeta appel de ce jugement, et l'affaire devoit être portée à la cour de cassation le jeudi 30; elle fut remise sans doute à cause de la proximité des vacances, et a été appelée le 24 novembre dernier.

M. Mandaroux-Vertamy a plaidé pour les religieuses de Binic. Il a invoqué l'opinion publique, qui s'est prononcée en faveur de la liberté d'enseignement, et s'est élevé contre le despotisme de Buonaparte, qui a consacré le monopole. Ses décrets étoient inconstitutionnels sous tous les rapports; ils ne peuvent se soutenir, ni devant la Charte de 1814, ni surtout devant celle de 1830, qui repose sur la souveraineté du peuple. D'après ce dogme politique, le peuple doit conserver la jouissance de ses droits et de ses libertés. D'ailleurs le monopole, en supposant même qu'il fût légitimement établi, ne pourroit s'étendre aux écoles de filles; le texte et l'esprit des décrets y répugnent également. M. Mandaroux a encore fait valoir l'autorité des jurisconsultes qui ont adhéré à la consultation en faveur de l'école libre de Paris dans l'affaire Lacordaire. Il a fait remarquer que ce n'est point par des vues humaines et par des motifs d'intérêt que les religieuses du SaintEsprit demandoient à tenir leur école ; c'est pour remplir le but de leur institution, c'est pour rendre service à une classe qui a tant besoin d'instruction. M. Parant, avocat-général, a conclu à la cassation de l'arrêt ; et en effet, la cour a cassé l'arrêt de Rennes, et a renvoyé l'affaire devant la cour d'Angers. Elle s'est fondée dans son arrêt sur ce que les lois de 1789 et de 1790 reconnoissoient à l'autorité législative le droit de statuer sur tout ce qui a rapport à l'enseignement, sur ce que lois postérieures n'avoient rien changé à cet égard, et enfin sur ce que les ordonnances de 1816 et de 1828 confioient aux agens de l'administration la surveillance des écoles primaires; et par conséquent les Sœurs Sainte-Ursule et Saint-Augustin, en ouvrant une école sans l'autorisation du préfet, auroient contrevenu aux lois et règlemens de police.

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Mais la cour de cassation a-t-elle parfaitement saisi le sens des ordonnances sur lesquelles elle s'appuie. L'ordonfévrier 1816 ne fait aucune mention des filles 29

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et celle du 21 avril 1828, en disant que ses dispositions s'appliquent aux écoles primaires de filles comme à celles de garcons, n'avoit pas prétendu sans doute atteindre les écoles tuites et de charité, tenues par les congrégations religieuses. Que le gouvernement voulût exercer une inspection sur les institutrices primaires qui tiennent des écoles où l'on paie, et qui, n'appartenant à aucune communauté et vivant dans le monde, n'offrent aucune garantie, on le concevroit encore; mais il peut être apparemment fort rassuré sur la moralité des pieuses filles qui, par état, se sont consacrées à la pratique des bonnes œuvres; il n'a pas besoin de garanties sur leur conduite `et sur leur enseignement, et il peut s'en reposer sur leur dévoûment et sur la surveillance de leurs supérieures. Si l'ordonnance de 1828 avoit eu pour but de placer les écoles de charité sous le régime de l'Université, elle l'eût exprimé nettement, et ne se seroit pas contentée d'une désignation générale, qui ne s'applique naturellement qu'aux écoles primaires où l'on paie. Aussi, dans le règlement publié à Paris pour les maisons d'éducation de filles du département de la Seine, il n'est parlé que des écoles non gratuites, tenues par des institutrices isolées; ce qui exclut les écoles de charité. Le rapport du ministre qui provoqua l'ordonnance de 1828, montre aussi qu ne songeoit point aux écoles tenues par des congrégations, puisqu'on y dit que les écoles primaires de filles ne participent point aux avantages de la surveillance religieuse. Assurément le ministre ne vouloit pas faire entendre que des écoles, tenues par des congrégations religieuses, ne participoient point aux avantages de la surveillance religieuse; cela eût été absurde.

De bonne foi, est-ce que des religieuses seront mieux surveillées par les inspecteurs de l'Université, ou par des comités de canton ou d'arrondissement, qu'elles ne le sont par leurs snpérieures? Est-ce que vous les ferez comparoître devant des recteurs ou autres fonctionnaires de l'Université, pour produire des certificats de moralité, ou pour subir des examens? Leurs règles, leurs habitudes, les simples convenances ne s'opposentelles pas à ces rapports qu'on voudroit établir entre des filles pieuses et des agens pour qui elles seroient peut-être un objet de risée? On allègue que tout enseignement public est du domaine de l'Université; mais ce principe souffre beaucoup d'exceptions. Il y a plusieurs écoles spéciales qui ne dépendent point de l'U

niversité, l'Ecole polytechnique, l'Ecole de l'artillerie, l'Ecole des mines, l'Ecole des beaux-arts, etc. Les séminaires sont aussi hors du régime de l'Université; ainsi les écoles tenues par des congrégations religieuses peuvent aussi être hors du régime universitaire, sans que l'ordre légal en soit blessé ; et il faut avouer même que ce seroit une chose assez ridicule que de vouloir faire entrer de force dans l'Université de pauvres filles qui étoient destinées à vivre dans la retraite et à faire le bien en silence. Buonaparte lui-même, le créateur de l'Université, ne pensa jamais à y comprendre les congrégations qui se vouoient à l'enseignement; et, lorsqu'il favorisa le rétablissement des Filles de la Charité, et d'autres institutions religieuses de la même espèce, il ne vint point à l'esprit de cet homme si absolu de les enregimenter dans son Université, et de les placer sous la dépendance de cette nuée de fonctionnaires, de recteurs et d'inspecteurs, auxquels il sentoit bien que cette surveillance ne pouvoit convenir sous aucun rapport.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

PARIS. Le lundi 26, jour de la fête de sainte Geneviève des Ardens, M. l'archevêque est allé célébrer la messe à Saint-Etiennedu-Mont. Le prélat a été reçu par M. le curé, assisté de son clergé, et a dit la messe à la chapelle de Sainte-Geneviève où l'on conserve le tombeau de la sainte. Un grand nombre de fidèles étoient réunis dans l'église. M. l'archevêque a donné la communion à environ 150 personnes. La fête de sainte Geneviève des Ardens avoit été célébrée la veille avec beaucoup de solennité dans la même paroisse.

Le rédacteur du projet d'adresse de la chambre des députés a jugé à propos d'y insérer une phrase tout-à-fait hostile contre une classe d'hommes qu'il ne nomme pas, mais son intention n'est pas douteuse. Cette phrase est relative à la Vendée et aux mouvemens qui y ont éclaté. Tandis que la France libre et constitutionnelle, est-il dit dans le projet, s'apprétoit à doter ces populations de tous les avantages de l'instruction publique, de tous les bienfaits de la civilisation, des hommes trop accoutumés à en faire des instrumens aveugles de leur ambition leur commandoient, au nom d'une religion de paix et de concorde, le brigandage et l'assassinat. D'abord le rédacteur auroit pu se dispenser d'une imputation injurieuse et qui n'est rien moins que prouvée. Les hommes dont on parle n'ont point commandé le brigandage et l'assassinat. Plusieurs ont été déférés aux tribunaux, aucun n'a été convaincu de crime dont on les charge ici. La chambre des députés ne sauroit adopter ce langage violent et ces outrages publics. Il n'avoit point été question de ces hommes dans le discours de la couronne; à quel propos en parler dans l'adresse?

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Convient-il à la chambre des députés de se faire l'écho des calomnies semées dans les feuilles les plus révolutionnaires? Et puis, quand on favorise la guerre civile en Portugal et qu'une expédition est sortie de nos ports pour porter en ce pays le brigandage et l'assassinat, il ne faut pas s'étonner trop et se plaindre si haut qu'il nous en soit arrivé autant.

L'ouverture des cours de la Faculté de théologie a eu lieu en Sorbonne le jeudi 22. M. le curé de Saint-Etienne-du-Mont, qui est la paroisse de la Sorbonne, plusieurs jeunes ecclésiastiques et des inspecteurs de l'Université y assistoient. M. l'abbé Guillon a prononcé un discours latin sur les études théologiques. Dans ce discours, d'une latinité pure, M. Guillon a déploré le dépérissement des études théologiques et la désertion des écoles publiques de théologie qui non seulement, a-t-il dit, offroient à la jeunesse ecclésiastique les avantages de l'émulation, mais qui étoient comme un tribunal permanent destiné à faire justice de toutes les erreurs. Là étoient flétries et confondues, et ces doctrines audacieuses renouvelées de Wiclef et de Socin, qui fouloient aux pieds toutes les autorités, celle même du souverain Pontife et de l'Eglise romaine, mère et maitresse de toutes les églises; et les maximes perverses de ceux qui, ne pouvant supporter aucun joug, ont entrepris de renverser les lois du mariage et de briser ainsi les liens les plus sacrés de la société; et ces opinions hardies soutenues par des hommes habiles, mais qui, dans l'ardeur d'un zèle imprudent et prenant les ténèbres pour la lumiere, portent sous le nom de la liberté des coups de mort à la liberté même et à la société entière. Le professeur croyoit que le rétablissement des grades seroit un moyen infaillible de faire refleurir les études théologiques. Il a fini son discours en s'adressant aux membres du jeune clergé et en les engageant à se livrer avec ardeur à la science ecclésiastique, et il a félicité ceux qui avoient le bonheur d'être élevés au séminaire de Saint-Sulpice, qu'il a appelé l'asile de la piété, pietatis et doctrine cultrix. Après ce discours, qui a été écouté avec un intérêt marqué, le programme du cours de la Faculté a été lu par un des professeurs. M. l'abbé Guillon a immédiatement donné en français la première leçon de son cours d'éloquence sacrée. Il s'est plaint de la décadence de la chaire depuis Louis XIV, et l'a attribuée à ce que la plupart des prédicateurs ont négligé ou même abandonné tout-à-fait l'étude de l'antiquité sacrée ; ce qui a transformé les chaires chrétiennes en tribunes académiques, et les a rendues souvent aussi froides que stériles. Suivant l'orateur, on ne trouve aujourd'hui dans beaucoup de sermons que des lieux communs d'une morale toute humaine, des plagiats effrontés et de l'imagination sans règle et sans mesure. Nous ne savons si le zèle et le goût de M. Guillon ne l'ont pas emporté ici au-delà des bornes, et s'il n'a pas fait le mal plus grand qu'il ne l'est véritablement. De même, en s'élevant contre l'improvisation, il á

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