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SAMEDI 22 DÉCEMBRE 1832.

Le College, 2 vol. in-8°; chez Meyer.

Tel est le titre d'un roman où l'on essaie de peindre at moral d'un collége de l'Université. L'auteur, sans doute par une crainte respectueuse des réquisitoires, affecte de ne parler que des colleges sous M. l'évêque d'Hermopolis. Dieu sait s'ils sont devenus meilleurs depuis. Mais il est toujours bon d'avertir que nous ne voulons, ni ne pouvons dire de mal de l'Université telle qu'elle existe en ce moment, mais telle que la restauration l'avoit reçue de l'empire.

Le temps que l'on passe dans un collége est celui des développemens les plus heureux et les plus rapides du cœur et de l'intelligence. L'imagination, l'esprit, la mémoire, les affections ont alors une surabondance de vie, de générosité et d'activité. C'est l'âge des amitiés pures; l'époque de la piété envers son Dieu comme envers sa famille; c'est enfin ce printemps de la vie, où les sentimens ont plus de fraîcheur et de sève, et où ils peuvent, s'ils ne sont pervertis, se porter avec moins d'efforts vers tout ce que l'innocence des mœurs et la culture bien dirigée de l'ame peut produire de bon et d'aimable. Quoi de plus triste que de voir ces fleurs à peine écloses fanées et desséchées, ces belles espérances éteintes dans leur germe, cette terre encore vierge désolée par la haine, par l'orgueil, par une corruption et une impiété précoces, et de trouver des hommes qui, contemplant de sang-froid cette destruction morale, spéculent sur elle, la voient peut-être avec joie, parce qu'elle flatte leur cupidité. Tout est égal à certains misérables, royauté, anarchie, usurpation, matérialisme et christianisme, Dieu et le néant, le mal et le bien, le vice et la vertu. Ils ont un langage déiste, protestant, catholique, pour chacun des parens qui professent l'une de ces croyances, et quand celles-ci sont un problème, ils parlent tous les langages à la fois, en sorte que chez eux le discours n'est jamais l'expression sincère des sentimens. Ils parleroient le langage des saints, s'ils trouvoient des saints, seroient plus catholiques que le Pape, si ce catholicisme devoit leur donner deux élèves de plus. Il n'est qu'une classe d'individus qu'ils ne peuvent se résoudre à aimer et à Tome LXXIV. L'Ami de la Religion.

louer, parce qu'ils sont plus capables et plus dignes qu'eux d'élever la jeunesse. Il seroit injuste de prétendre que tous les maitres de l'Université méritoient, sous la restauration, ces reproches sanglans. Mais on peut dire qu'il en existoit un assez grand nombre. Nous voudrions sincèrement être dans l'erreur.

Nous avons entendu désigner comme hypocrites des hommes dont les principes et la conduite n'ont point changé, lorsque le jour de l'épreuve est arrivé. Mais voilà de vrais et d'abominables hypocrites, qui ont, comme dit l'Ecriture, un cœur et un cœur, et dont la vie est un mensonge continuel; mensonge d'autant plus dangereux, qu'il devient une véritable contagion pour l'enfant qui en est le témoin. S'il est des pères assez aveugles pour croire que l'on puisse avoir une morale sans religion, y en a-t-il d'assez pervers pour ne vouloir plus de morale pour leurs enfans? Et je le demande, quel mépris plus formel, plus constant de la morale, que de mentir au public, en affectant des sentimens qu'on n'éprouve point, en protestant que l'on croit ce que l'on ne croit pas, que l'on vénère ce que l'on insulte dans sa pensée? Or, voilà ce que l'on reproche à certains membres de l'Université d'avoir été sous la restauration, et je ne sais, en vérité, comment ils peuvent s'en défendre. Ne disoient-ils pas des choses merveilleuses de leur amour pour la religion et pour le roi? n'étoient-ils pas plus zélés pour les offices et pour la fréquentation des sacremens que les aumôniers eux-mêmes? Ils faisoient faire de touchantes élégies sur la mort du due de Berry, des philippiques contre les crimes de la révolution; mais on les savoit lecteurs assidus de Voltaire, de Rousseau, de la Minerve et du Constitutionnel. On voyoit qu'ils parloient du christianisme et de ses devoirs avec peu de conviction, et que la religion ne leur inspiroit qu'un langage froid. Un je ne sais quel pressentiment disoit aux élèves qu'elle auroit dû suggérer d'autres paroles à des hommes qui n'auroient pas fait un trafic infâme de leurs prétendues affections pour la royauté et de leur conscience prétendue chrétienne. Les élèves ne sont pas trompés; car la restauration tant vantée dans les classes, dans les distributions de prix et dans toutes les circonstances d'apparat, étoit alors honnie en secret, comme elle l'a été depuis publiquement. Aujourd'hui l'encens qui montoit vers elle a été prodigué à la glorieuse révolution. Les inspecteurs, proviseurs, professeurs,

n'ont

pas même eu besoin de faire de nouveaux frais de rhétorique : ils n'ont eu qu'un nom à changer.

Il y a bien encore un aumônier pour les enfans; mais les professeurs, où est leur aumônier, leur pasteur, leur intermédiaire entre l'ame et la Divinité? Ont-ils quelques pratiques religieuses? Ne les ont-ils pas supprimées, attendu qu'elles ne peuvent servir à quelque chose que sous le ministère d'un évêque et d'un roi dévot? Ah! combien la restauration et les ministres ont été indignement joués! Des enfans connoissoient à leurs maitres ces dispositions; et un grand-maître, qui ne voyoit que de beaux rapports, faits par des inspecteurs qui couroient la poste, y étoit trompé. Cependant, l'hypocrisie auroit-elle cessé d'être vile en devenant universitaire? Seroitelle moins dangereuse parce qu'elle est plus précoce? N'est-il pas résulté de tout cela un horrible ravage dans le cœur de notre jeunesse? Sortie du collège, elle n'a plus besoin de feindre des sentimens religieux, qu'il faut au contraire un rare courage pour professer aujourd'hui; mais en voyant si souvent des maitres dissimulés, elle s'est formée insensiblement à la dissimulation. Qu'importe que l'objet en soit changé? Accoutumée à se jouer avec des sacrileges, sera-t-elle plus scrupuleuse sur les faux sermens? Quand elle aura menti à Dieu, sera-t-elle disposée à dire la vérité aux hommes? Telles sont les réflexions que nous avons faites en lisant le College.

Si nous avions l'intention de faire une critique raisonnée de ce roman, nous pourrions demander à l'auteur s'il étoit bien à propos de recourir à une forme aussi frivole pour retracer des abus qui doivent soulever tout cœur honnête d'indignation et de dégoût. Une exposition simple des faits n'étoit-elle pas suffisante pour intéresser au plus haut degré les pères de famille? Dans quel siècle sommes-nous, si d'aussi tristes réalités ont besoin d'être présentées avec quelque artifice pour émouvoir, et pour faire trembler à la vue du double fléau de l'irréligion et des mauvaises mœurs? En proposant ces questions, nous les avons résolues.

Si nous examinions ce roman sous le rapport littéraire, nous pourrions demander si l'ensemble de l'ouvrage est bien régulier, si tous les faits vont au but que se propose l'auteur, si le style qui a de l'élégance et de la finesse ne laisse rien à désirer sous le rapport du naturel, de la clarté et de la simplicité? Mais,

tel qu'il est, ce livre sera lu, parce qu'il y a un cadre roma» nesque, des anecdotes, de la légèreté, du mouvement, tout ce qui plaît au commun des lecteurs. Plusieurs trouveront peutêtre trop sévère le jugement que nous portons de l'ouvrage ; car l'auteur, qui oublie quelquefois la gravité de son sujet, demeure partout fidèle aux doctrines catholiques et à toutes les saines maximes; mais nous pensons que les hommes judicieux seront de notre avis, et nous n'avons voulu tromper personne par une annonce trop fastueuse.

Nous terminerons cet article par une citation où l'auteur a prétendu renfermer la moralité de son livre, en expliquant les causes du peu de succès de l'éducation des colléges. C'est l'aumônier qui écrit à la mère d'un élève. «Que pouvoit devenir en lui le cœur et la pensée, quand la vérité n'étoit pas permise aux regards, aux traits et aux mouvemens voulus par l'âge? La symétrie collégienne est d'une absurde sagesse ; elle flétrit les ames dans leur fleur, et ne les prépare qu'à un profond dépérissement quand elle les rassemble sous une même ombre pour des jours et des nuits sans fin. » L'aumônier parle ensuite des mots emphatiques, du fatras, du grandiose, de la puérilité, employés par les régens du collège pour parler religion et royauté, toutes choses qui les leur faisoient mépriser. « Dans le cœur de la jeunesse, ajoute-t-il, tout part pour monter sans cesse et chercher la lumière et la chaleur. L'imagination, la pensée, le don de sentir l'emportent vers l'infini; elle agrandit les choses humaines pour y mettre à l'aise son généreux orgueil; et, faut qu'il s'y désabuse, que deviendra-t-il avec son besoin d'immensité? » Si le fonds de la pensée est juste, n'y a-t-il pas trop d'ambition dans l'expression?

s'il

L'aumônier parle aussi d'un abus très-grave, celui d'accoutumer les enfans à voir la religion comme nécessairement liée aux institutions politiques. Mais il y a ce nous semble, ici, une exagération, et même une erreur, reproduite depuis quelque temps par des hommes d'ailleurs estimables. «Mon dévoûment un sang auguste, dit l'aumônier, étoit assez connu; il a été malheureusement traduit: il n'a désigné que des espérances périssables et de lâches manoeuvres. Les autres maux du college n'étoient que des chaines glacées; ceux-ci paroissoient être des fers rougis au feu. Combien d'élèves auront frappé du pied et pâli de colère en se voyant impitoyablement froissés dans leurs

opinions de famille? Il y a des fils de libéraux, de Buonapartistes, de partisans de toutes les causes; et ces ames jeunes et fières, il falloit qu'elles tombassent devant des noms méprisés ! Je l'ai vu, le nom de la famille régnante tournoit leurs pensées en orage.... La mettre en avant du sanctuaire, c'étoit montrer l'homme à ceux qui ne trouvent pas Dieu assez grand. »

des

Il y a du vrai et du faux dans cette opinion. Le meilleur moyen de rendre la jeunesse des colléges royaliste n'étoit pas de lui prêcher à tout propos le roi, mais de la former avant tout aux vertus chrétiennes. Je n'aime pas toutes ces homélies politiques, dont le moindre inconvénient est de faire supposer à des enfans qu'ils ont déjà beaucoup d'importance, puisqu'on cherche à conquérir leurs suffrages. Mais qu'il n'y eût pas moyens d'inspirer à des enfans un attachement solide pour leurs souverains légitimes, et que ces moyens ne dussent pas être employés avec prudence, c'est ce que l'on ne pourra nous persuader. Etoit-il donc si difficile de faire entendre à des enfans que le bienfait d'une éducation gratuite méritoit quelques sentimens de reconnoissance pour un roi assez impartial pour choisir indistinctement les enfans de ses amis et de ses ennemis? La vraie cause du peu de succès des efforts tentés auprès des élèves étoit premièrement dans le peu de sincérité et de dévoûment des maitres, et, en second lieu, dans les ravages causés par cette multitude de pamphlets et de journaux qui pervertissoient tous les âges, toutes les classes, toutes les professions. L'enfance ne pouvoit échapper à leur funeste influence, parce que, outre l'action immédiate qu'ils exerçoient sur elle, ils l'atteignoient encore par le canal de leurs parens, de leurs amis, de leurs maîtres, et de toutes les personnes qu'un enfant entend et écoute avec avidité en mille rencontres diverses.

Ainsi tout le mal des colléges universitaires nous est venu de ce que ceux qui y présidoient ne faisoient de l'éducation qu'une spéculation mercantile, et nullement un objet du plus courageux dévoûment; de ce qu'ils avoient non les lumières, les doctrines invariables, la sagesse et la modestie que donne une religion éclairée, une piété sincère; mais le vague, les doutes et la fatuité d'un esprit qui flotte à tout vent de doctrine. C'étoient des hommes disposés à se consoler du naufrage de la foi, des mœurs et de la royauté, pourvu qu'il leur restât de l'or, ce dieu qui a détrôné dans tant d'ames vénales le Dieu de l'univers.

D.

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