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la terre étrangère, un bâtiment, retournant en France, rapportait son cœur à sa famille en deuil.

LXVIII. — Trois jours après, le 17 juillet, le général Carbuccia ('), commandant la brigade de la légion étran

Il fut promu au grade de général de brigade en 1851, et reçut, le 15 janvier 1852, le commandement de la subdivision du Calvados. 11 sollicita sa mise en disponibilité, qui lui fut accordée.

Lorsque la guerre d'Orient appela la France à combattre, le duc d'Elchingen demanda avec instances à faire partie de l'armée expéditionnaire que nos vaisseaux emportaient en Turquie.

Au mois de mars 1854, il fut nommé au commandement d'une brigade de cavalerie à l'armée d'Orient, et quatre mois plus tard, à Gallipoli, il succombait aux atteintes du fléau, qui devait, trois jours après, frapper un autre général.

Nous avons voulu que ces pages, où se trouvent retracées les gloires, comme les amertumes, de cette mémorable expédition, fussent un écho du sentiment unanime de douleur et de regrets qui accompagna la nouvelle de cette mort prématurée et inattendue.

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Le général Carbuccia était à peine âgé de quarante-six ans. Comme soldat, il avait toutes les qualités qui distinguent l'homme de guerre.

Esprit laborieux, actif, intelligent, il s'était livré en Afrique à des travaux et à des recherches scientifiques d'une réelle valeur. Mais celui que l'armée regrette aujourd'hui c'est le général auquel avait été dévolu le commandement de la légion étrangère, commandement difficile, épineux, sur des soldats intrépides, mais souvent difficiles à discipliner, natures étranges, qu'il fallait dominer par la puissance morale, hommes de toutes les nations, souvent sans aveu, n'apportant que leur courage.

Déjà le général Carbuccia avait commandé un de leurs régiments en Afrique, et avait su se faire aimer de ces hommes, qui aiment peu et ne craignent rien. C'est un juste hommage à rendre au soldat mort à son poste que de récapituler les diverses phases militaires de sa vie.

Élève à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, ce fut le 1er octobre 1827 que le jeune Carbuccia, né à Bastia le 14 juillet 1808, en sortit comme sous-lieutenant au 17° régiment d'infanterie de ligne. En 1830, il partait pour l'Afrique, et se distinguait au passage du Teniah et à l'expédition d'Oran.

gère, était aussi victime de l'épidémie. Dans le même mois, deux généraux, jeunes, ardents au combat, pleins d'espérance en l'avenir, pleins de noble foi en euxmêmes.

L'armée de Gallipoli s'émut devant ce double coup, qui lui présageait peut-être de plus grands désastres encore; mais elle puisa une nouvelle énergie dans son deuil, et se releva plus fière, plus mâle, plus ardue à la lutte.

Le 9 juillet, le choléra se déclarait dans les hôpitaux de Varna, où il devait exercer aussi de cruels et terribles ravages.

Le maréchal parcourrait les camps, visitait les hôpitaux, prescrivait les mesures les plus sévères, isolant les corps qui arrivaient de Gallipoli.

Mais déjà le fléau gagnait chaque jour d'intensité; il

Le 16 octobre 1832, il fut nommé lieutenant; capitaine le 9 janvier 1834. Il rentra en France au mois de mai 1836.

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En 1839, sur sa demande, il retourna en Algérie, fut blessé au combat du blockhaus d'Ouled-el-Kebir, près Blidah, et reçut une seconde blessure l'année suivant à El-Mezzaoni.

Cité à l'ordre de l'armée au combat d'Ouled-el-Kalest, il fut blessé une troisième fois, le 29 du même mois.

Élevé au grade d'officier supérieur en 1841, chevalier de la Légion d'honneur le 6 août 1843, il fut cité à l'ordre de l'armée le 7 mars 1843, 29 juin et 22 novembre 1845, et 7 avril 1846.

Lieutenant-colonel en 1846, sa bravoure au combat de Dielfa lui valut encore, le 5 mars 1847, une citation à l'ordre de l'armée.

Promu au grade de colonel, il prit le commandement du 2o régiment de la légion étrangère, et fut investi du commandement supérieur de la division de Batna.

En 1849 il dirigea, comme major de tranchée, les premières opérations du siège de Zaatcha, et s'y fit remarquer par son intrépidité; officier de la Légion d'honneur le 2 décembre 1850, il rentra en France, et fut nommé général de brigade le 10 mai 1852.

Investi, le 31 mai 1854, des fonctions de chef d'état-major général du camp du midi, il était appelé, le 11 juin, au commandement d'une brigade de l'armée d'Orient. Un mois s'était à peine écoulé que l'armée apprenait la perte qu'elle venait de faire.

enveloppait le camp. C'était une voix de plus qui disait: Hatez-vous.

LXIX. — Lord Raglan venait de communiquer au maréchal une dépêche qu'il recevait de son gouvernement, explicite, pressante, telle, en un mot, qu'il la considérait à peu près comme emportant l'ordre d'attaquer Sebastopol (').

Il fut donc résolu que les généraux et les amiraux se réuniraient dans un gran conseil. De cette conférence, solennelle par les graves questions qui devaient s'y agiter, et dans laquelle siégeaient les chefs des deux armées, devait sortir la décision inébranlablement arrêtée de l'expédition de Crimée. L'attention de toute l'Europe était fixée sur ce petit coin de terre et sur cette ville que baignaient, d'un côté, les flots de la mer Noire, et qu'entouraient de l'autre, comme une ceinture protectrice, les camps échelonnés et les pavillons des trois nations.

LXX. En effet, le 18 juillet, les deux généraux en chef, les amiraux Dundas et Hamelin, Bruat et Lyons, se réunirent en conseil. Les instructions du cabinet anglais, on l'a vu plus haut, poussaient lord Raglan en avant, celles du gouvernement français, moins impératives et laissant au général en chef plus de liberté de mouvement, reconnaissaient seulement l'impérieuse nécessité d'une expédition, et disaient: Agissez.

Par suite des dépêches qu'ils avaient reçues, et sous la pression de l'opinion qui les harcelait dans les journaux de Londres, les chefs anglais abordèrent résolûment la question, et votèrent unanimement pour l'expédition.

« Les décisions auxquelles le conseil réuni chez moi s'est arrêté, écrivait le maréchal dans une dépêche au (') Dépêche du maréchal. Varna, 19 juillet.

ministre de la guerre, doivent être considérées comme définitives, et j'applique toute mon activité et tous mes soins à préparer leur exécution....

« Je n'ai pas à beaucoup près sous la main, disait-il encore, tous les moyens matériels nécessaires pour rendre certain le succès d'une entreprise, dont la préparation eût exigé des mois entiers dans des circonstances ordinaires; mais j'ai invoqué le concours des amiraux, et j'espère réunir en temps utile assez des ressources pour pouvoir agir dans de bonnes conditions. "

Il écrivait d'autre part à son frère:

« Oui ce sera, si l'on veut, une audacieuse entreprise; on en aura peu vu de plus vigoureuses, de plus énergiques; mais est-il possible d'admettre que, devant un ennemi qui se retire et vous brave, deux belles armées, deux belles flottes resteront inactives et se laisseront dévorer par les fièvres? »

Et il ajoute plus loin: « Or, frère, je dépose dans le creux de ton oreille que, vers le 10 août, nous débarquerons en Crimée. » En effet, le conseil assemblé avait décidé que les deux armées réunies entreprendraient une expédition et sortiraient enfin d'une inaction fatale.

LXXI.

« Il faut, » écrivait le maréchal, en date du 27 juillet, «que l'on entende le canon de la France en 1854, mais il faut toujours tirer un parti utile d'une entreprise qui coûte du sang. Les Autrichiens m'embarrassent bien plus que les Russes; ils me lient, me retiennent et m'entravent. L'Autriche, loin de se décider, loin de se presser, temporise et voit venir; c'est sa politique; la Prusse l'inquiète. »

La Crimée, Sébastopol, tel était le but de l'expédition projetée; car les instructions des deux gouvernements, comme aussi les intérêts de la guerre, interdisaient le Danube aux généraux en chef et leur montraient la Cri

mée, cette clef de tous les rêves de la Russie, comme Sébastopol est l'arsenal de sa puissance maritime dans la mer Noire: sa pensée ambitieuse y veille infatigable et plane sur l'entrée du Bosphore, en étendant ses regards sur les côtes de l'Asie (').

() Quelques détails, puisés à diverses sources et résumés ici, nous paraissent curieux et intéressants, au moment où la Crimée va devenir le théâtre d'une guerre mémorable. En faisant connaître l'aspect général du pays, ils attestent une fois de plus l'importance que l'empire russe doit attacher à sa conservation.

La haute valeur politique et commerciale que sa position géographique assigne à la Crimée ne peut échapper à personne. Le Danube lui apporte toutes les denrées de l'Occident et de l'Europe centrale; par l'Euxin, elle se relie aux provinces les plus fécondes du centre de l'Asie; elle touche à Constantinople par le Bosphore; les Dardanelles lui livrent les routes de la Grèce, de l'Italie, de l'Égypte et celle de tous les ports de la Méditerranée. Par la mer d'Azof et l'isthme de Pérékop, elle se met en rapport immédiat avec les régions septentrionales de l'Europe et de l'Asie; et les produits de la péninsule, comme ceux qu'elle tire, par ses navires, de l'Anatolie et autres contrées du Levant, y trouvent un rapide et lucratif écoulement.

L'aspect de la Crimée varie à l'infini. Ce sont des vallées, tantôt sombres et sinueuses entre deux hautes murailles de rochers, tantôt, au contraire, spacieuses, inondées de soleil et traversées par de larges courants d'eaux.

Sur le flanc des montagnes s'échelonnent à l'infini des villages tartares. Comme l'Italie, c'est le pays des contrastes; la vie présente sc mêle à chaque instant aux ruines de la vie passée; l'aristocratie russe est venue, pour ainsi dire, greffer ses maisons de plaisance, ses villas les plus coquettes au milieu des vieilles tours à moitié brisées, et parmi les sévères et måles débris des constructions d'une époque lointaine.

Simphérophol est une des villes les plus modernes de la Crimée. Baklchi-Sarai, ou la ville des jardins, bâtie en échelons sur le penchant d'une montagne, est bien le vrai type de la cité orientale. Ville commerçante, à laquelle des canaux souterrains apportent des eaux eloignées, elle voit dans son sein s'élever de superbes jardins, et les mosquées, les temples arméniens, les élégantes églises grecques se mêlent et se confondent.

Sébastopol est plutôt un vaste arsenal qu'une ville; construite au sommet d'une colline escarpée, elle domine la mer et s'admire dans

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