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intime que l'Auteur a su mettre entre ces événemens et l'action de la Piece, et en partie à la forme heureuse de son exposition... »

« Ce seroit une injustice de vouloir diminuer le mérite de cet Ouvrage en affectant de prendre pour modele unique de la Tragédie la simplicité de Racine. L'art n'est point renfermé dans des bornes si étroites; chaque genre admet plus d'une maniere de le traiter. On peut, si l'on veut, préférer ces Tragédies simples, où, sans incidens et sans tumulte, les développemens progressifs d'une seule passion remplissent le canevas entier; mais doit-on proscrire les Pieces à grands mouvemens et à grand Spectacle? N'excluons rien légèrement; étendons la carriere des talens et du plaisir. Racine, lui-même, n'est pas tellement fidele à sa simplicité favorite qu'il ne s'en écarte quelquefois ; et qui voudroit comparer Iphigénie et Zelmire trouveroit dans la premiere la forme de l'intérêt plus mobile encore que dans la seconde.... >>

« On a dit que les incidens de Zelmire n'avoient d'autre fondement que la volonté de l'Auteur, et qu'ils ne naissoient nécessairement ni du

caractere des personnages, ni de la nature des passions qui les agitent. Premiérement, le fait n'est pas exact, car indépendamment des exemples frappans par lesquels l'Auteur prouve, dans sa Préface, que ses coups de Théatre sont tirés du caractere de ses personnages, l'incident du quatrieme acte où Zelmire livre son pere, en croyant le sauver et ne livrer qu'un Troyen.inconnu, naît de la valeur de Polidore qui, malgré sa vieillesse, n'a pas voulu rester sur les vaisseaux pendant que l'on combattoit pour lui et pour sa fille; mais, secondement, quand il faudroit passer condamnation sur le fait, la critique n'en porteroit pas moins à faux. Tout ce qu'on appelle coups de Théatre et incidens dramatiques n'est-il pas ordinairement fondé sur la volonté de l'Auteur, qui n'est gêné à cet égard par d'autres loix que par celles de la vraisemblance ?.... Le coup de Théatre du troisieme acte est trop hardi et a trop bien réussi pour qu'on ne l'attaquât point. On a dit que c'étoit le hasard seul qui faisoit arriver Zelmire au moment où Anténor alloit poignarder Ilus. Peut-être qu'en ce cas le coup de Théatre seroit défectueux ; mais si Zel

mire ne doit avoir rien de plus pressé que de désabuser Ilus, si elle doit le chercher par-tout dans cette vue, certainement on ne doit trouver ni singulier, ni trop fortuit qu'elle arrivé dans un endroit où est llus, sur-tout cet endroit étant voisin du tombeau où Polidore est renfermé.... Le coup de Théatre de la fin est brillant, désiré, inespéré. On l'applaudiroit même sans qu'il fût justifié,' tant on a besoin de voir périr Anténor et de voir finir les malheurs de ses victimes; mais il est parfaitement juste, et par ce qui précedè er par ce qui suit. Il rassemblé deux caracteres opposés dont la réunion très-rare forme un bon dénouement. Il est imprévu, et il est pourtant préparé. Qu'il soit imprévu, on en peut attester le trouble de tous les Spectateurs lorsque Rhamnès prend le glaive des mains du Grand-Prêtre. S'il reste encore quelqu'espérance elle est fondée sur l'absence d'llus. On n'imagine pas ce qu'il peut faire. On sait qu'il ne lui reste aucune ressource. On croit, pourtant, que Polidore et Zelmire ne périront pas sans qu'il reparoisse, mais on n'attend rien de Rhamnès; c'est lui qui a livré Polidore, c'est lui qui a enlevé à Ilus l'écrit

d'Azor, c'est lui qui a comblé les malheurs de Zelmire. Toutes choses très-adroitement ménagées pour détourner l'idée que le dénouement puisse venir de lui. Que ce dénouement soit pourtant préparé, il suffit pour s'en convaincue de suivre, pas la conduite de Rhamnes. Les succès du crime l'entraînent, mais il hait ce crime triomphant, il aime et plaint la vertu malheureuse, il s'indigne du bonheur d'Anténor.... Au quatrieme acte il paroît touché des prieres de Zelmire. Un tel caractere devoit embrasser la vertu, lorsqu'il le pouvoit faire avec sûreté. ..»

à

pas,

« Les caracteres de cette Tragédie sont habilement dessinés et fortement exprimés. Son Anté nor est admirable! Zelmire, indépendamment de ses vertus et de ses malheurs, plaît par un caractere aimable et attachant; Ilus, par sa vivacité et par une audace brillante; Polidore, par son humanité, sa constance et son courage tous les personnages ont un caractere marqué, jusqu'à Rhamnes, jusqu'à Éma, jusqu'au Soldat Thrace.... La morale de la Piece est pure et religieuse.... La versification est souvent forte, sans roideur, élevée, sans enflure, douce, sans foi

blesse

blesse. Elle annonce un disciple nourri des exemples des grands maîtres.... »

Cette Tragédie, qui eut beaucoup de succès, pendant quatorze représentations de suite, dans sa nouveauté, est restée au Théatre, où elle reparoît de tems en tems.

« On l'a traduite en Allemand, en Hollandois, en Italien, à ce que nous apprend l'Abbé de La Porte, dans ses Anecdotes Dramatiques. »

« On l'a représentée jusqu'à vingt-cinq fois dans un hiver sur le Théatre de Venise. Il y a peu de Tragédies qui donnent à l'ame des secousses si violentes, et qui y portent une douleur si profonde. En voici une preuve trèssinguliere. »

« Elle étoit jouée dans le. Château d'un Prince, par toute sa famille, en présence d'une foule de Gentilshommes, accourus du voisinage, nous dit encore l'Abbé de La Porte. Un vieux Militaire qui étoit placé près du Prince, et qu'on avoit remarqué tout sanglottant, tout baigné de larmes pendant les premiers actes, voyant au cinquieme Zelmire et Polidore prêts à être immo

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