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constituait une injustice contraire au droit des gens, et s'est engagé, au nom de l'Allemagne, à la réparer.

Depuis deux ans et demi, cette injustice a été cruellement aggravée par des pratiques de guerre et d'occupation qui ont épuisé les ressources du pays, ruiné ses industries, dévasté ses villes et ses villages, multiplié les massacres, les exécutions et les emprisonnements. Et au moment où l'Allemagne parle au monde de paix et d'humanité, elle déporte et réduit en servitude des citoyens belges par milliers.

La Belgique, avant la guerre, n'aspirait qu'à vivre en bon accord avec tous ses voisins. Son roi et son gouvernement n'ont qu'un but : le rétablissement de la paix et du droit. Mais ils ne veulent que d une paix qui assurerait à leur pays des réparations légitimes, des garanties et des sécurités pour l'avenir.

A en juger par l'effet qu'elle a produit sur les Allemands et sur les neutres, cette réponse a atteint le but désiré. Elle est sobre, claire et nette au point de vue des faits.

Je me permets cependant les observations suivantes. Pourquoi n'a-t-elle pas dit un mot du Luxembourg dont la neutralité a été violée comme celle de la Belgique?

Le paragraphe : Ce que veulent les Alliés est à la fois trop précis et trop vague: trop précis, en ce qui concerne le principe des nationalités; trop vague en ce qui concerne « le règlement de nature à supprimer définitivement les causes >>. Il manque à ce document un paragraphe final et global.

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Dans leur premier mouvement, les journaux allemands ne se sont pas mépris sur l'embarras dans lequel la note de M. Wilson plaçait les Empires du Centre.

En invitant les belligérants à exposer leurs buts de guerre, M. Wilson, volontairement ou involontairement, a joué un très mauvais tour aux empires centraux. L'Empire allemand refusera-t-il de répondre à cette invitation? Alors que signifiait la note du 12 décembre dans laquelle M. BethmannHollweg parlait «de propositions de paix »? Il disait que <«<les propositions de paix des quatre puissances alliées viseraient à assurer l'existence, l'honneur et le libre développement de leurs peuples et seraient propres à servir de base à l'établissement d'une paix durable ».

Quelles sont-elles? La note parle « de l'existence, de l'honneur et du libre développement » des habitants de l'Empire

allemand. Y comprend-t-elle les Polonais du duché de Posen contre lesquels Guillaume II appelait le secours des chevaliers de l'Ordre teutonique. La note comprend les populations de la monarchie austro-hongroise! Comprend-elle les Tchèques soumis au plus abominable régime depuis la guerre? Comprend-elle les Croates, traités en ennemis et en butte aux machinations de police et à des exécutions faites par des magistrats pour qui la justice n'est qu'un instrument politique? Comprend-elle les Bosniaques et les Herzégoviniens? Comprend-elle les Arméniens et les Grecs vivant dans l'Empire ottoman?

Il serait intéressant d'entendre Enver Pacha exposer les propositions destinées à assurer sous sa direction « l'existence, l'honneur, le libre développement » des populations de la Syrie et de l'Arménie. Il serait intéressant d'entendre le comte Tisza parler « de l'existence, de l'honneur, du libre développement » des populations roumaines, slovaques, croates, soumises à la tyrannie magyare. Il serait intéressant d'entendre M. Bethmann-Hollweg et le Kaiser parler du régime qu'ils proposent pour les populations qu'ils ont annexées en vertu de « la carte de guerre ».

Dans quelles frontières comprennent-ils les populations dont ils veulent « assurer l'existence, l'honneur et le libre développement »?

Y comprennent-ils celles de l'Alsace et de la Lorraine? Y comprennent-ils celles des régions envahies de la France, de la Belgique, de la Serbie, du Monténégro, de la Pologne ?

L'Autriche-Hongrie, l'Empire allemand, la Bulgarie, la Turquie ont été les agresseurs. A eux de parler. Que voulaient-ils en entrant en guerre? Que veulent-ils aujourd'hui ?

Le jour où ils auront parlé, où est le neutre qui pourra approuver leur politique de conquête? A en juger par les manifestations de Bethmann-Hollweg, de Tisza, ils veulent assurer la paix par leurs conquêtes.

A l'exception des pèlerins de Kienthal où est le Français. qui pourra accepter ces conditions? Je ne demande pas l'opinion des Anglais, des Italiens, des Russes. Je demande à M. Wilson lui-même, aux membres du Conseil fédéral suisse, s'ils accepteraient une paix établie dans de pareilles conditions.

Le chancelier allemand a exposé au mois de mai la politique de la carte de guerre. A en juger par le ton du discours TOME LIII. JANVIER 1917.

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au Reichstag, du 12 décembre, qu'il a fait suivre du texte de la note, il parait s'y tenir.

Au lendemain de la défaite allemande devant Verdun, d'importants journaux allemands émettaient les prétentions suivantes 1.

La Gazette du Rhin et de Wesphalie, journal de Krupp et des grands métallurgistes d'Essen et de la région, explique les raisons des revendications de la «< paix allemande ». Il ne faut pas se lasser d'y revenir, car la pensée, la seule pensée de l'Allemagne est là. Et à ces appétits énormes des grands industriels les masses ouvrières applaudissent, car on a pas eu de peine à les persuader, ces socialistes, que leurs intérêts et ceux des patrons sont les mêmes. La « lutte de classes », c'est bon pour le socialisme d'exportation. Le socialisme allemand fait un trust avec ses capitalistes pour assurer le pillage commun.

Cette philosophie » de la guerre actuelle et des visées allemandes est traduite par le professeur D. Schæfer, de l'université de Berlin, dans les Dernières Nouvelles de Leipzig et par le journal de Munich, qui porte le même nom, en ce programme précis :

«Le versant ouest des Vosges, Longwy, Briey, Belfort à l'Allemagne. << Anvers sera un port allemand; l'état-major déterminera ce qu'il conviendra de garder encore de la Belgique pour qu'elle ne puisse plus servir de tête de pont à l'Angleterre. Le reste de la Belgique et de la France constituera encore un gage suffisant pour rentrer en possession des colonies allemandes arrondies du Congo.

«La liberté des mers sera assurée par une forte flotte qui aura des stations de charbon et des points d'appui dans toutes les mers du globe. Pour que le peuple allemand ne risque plus d'être affamé, on prélèvera en Russie de vastes territoires agricoles. Pour ne pas s'encombrer de questions de races, il conviendra d'expulser autant que possible la population des pays annexés.

«La Valachie et la Serbie seront à l'Autriche. »>

La Gazette de Cologne, officieux du gouvernement impérial, appuie ce programme de son autorité.

La Gazette de Francfort dit :

« Si on concluait la paix, il faudrait que ce fût une paix qui, en Orient, et dans les Balkans, fùt basée sur nos victoires; à l'occident sur une entente. Il est inutile de répéter que l'Alsace-Lorraine est allemande et que nous n'en rendrons pas un centimètre! il n'est pas plus nécessaire de discuter si nous pouvons obtenir le bassin de Briey qui est d'une grande valeur pour nous. Il est tout aussi naturel que

1. Voir le Temps du 21 décembre.

notre frontière du nord-ouest doit être protégée le plus possible et que la Belgique donne des questions importantes à résoudre à nos économistes et dirigeants militaires.

« Notre ligne de conduite pour les négociations de paix serait intransigeante à l'orient, et serait transigeante à l'occident. Si nos ennemis refusaient à entrer en négociations de paix, nous espérons amener aussi une décision sur le front occidental. Si nous étions victorieux, alors nous ne chercherions plus un arrangement, mais nous dicterions nos conditions. >>

Ailleurs, elle dit1:

Le problème de la puissance morale, qui réellement a été l'origine de la guerre anglo-allemande et qui n'a pas encore été décidé par la guerre, doit être maintenant résolu par une convention si l'Europe veut avoir la paix. C'est un fait fondamental à reconnaître.

D'un autre côté, la question continentale a été résolue stratégiquement et doit être reconnue. C'était une question orientale. Il s'agissait de limiter les ambitions de la Russie. C'est chose faite. La Russie doit le reconnaître. L'Empire a prouvé qu'il pourrait exploiter sa politique orientale dans son propre intérêt et dans celui de ses alliées.

La situation générale établie par la guerre doit être maintenue par la paix.

Quant aux colonies, l'économie nationale allemande demande une expansion au delà des mers: elle sera obtenue par la force si elle ne l'est pas par la paix.

Dans une vieille revue politique, Die Grenzboten, le professeur Conrad Bornhak, dans une série d'articles sur l'Avenir de la Belgique, soutient la thèse suivante :

L'Allemagne a militairement besoin de la Belgique, car la frontière occidentale allemande dans les provinces rhénanes, qu'on croyait jusqu'ici protégée par la neutralité belge, est découverte.

Il faut donc à l'Allemagne « une frontière stratégique », qui constitue en même temps « contre l'Angleterre » une telle menace qu'elle soit forcée de ne penser qu'à sa défense et d'oublier la revanche... Seule la possession militaire de toute la Belgique protège non seulement les frontières occidentales de l'Allemagne, mais menace la sécurité militaire de l'Angleterre et de la France à un tel point, qu'elles ne pourront plus songer à une guerre offensive.

1. Dépêche d'Amsterdam, 19 décembre.

La Belgique allemande garantit «< la paix mondiale ». Le professeur Bornhak ajoute:

Nous avons, en outre, besoin de la Belgique du point de vue maritime, aussi bien pour la flotte de guerre que pour la flotte commerciale... Il lui faut (à l'Allemagne) de nouvelles sorties sur la mer mondiale ouverte. On ne peut, en attendant, les avoir que par la Belgique... Les ports belges constituent une clef de la maison pour l'Allemagne.

Le Rhin allemand sera desservi par le port d'Anvers.

La Belgique sera partagée en deux parties et gouvernée par des Shutthalter ne relevant que du chancelier.

Dans une brochure récente intitulée: Buts de guerre et de paix, le parti national libéral formule le programme sui

vant :

1o Annexion de la région de Belfort avec la ville, l'annexion du bassin de Briey et Longwy;

2° En Belgique et dans le Luxembourg, le trafic des chemins de fer devra être allemand;

3° L'Allemagne devra se réserver de pouvoir occuper militairement ces deux pays qui, économiquement et politiquement, seront placés sous sa dépendance;

4° Liberté des mers. Dans ce but, l'Allemagne doit obtenir des points d'appui pour sa flotte et des stations de houille sur les grandes routes de l'Océan;

5° Établissement du royaume de Pologne, qui serait économiquement dépendant de l'Allemagne et dont l'administration des chemins de fer serait allemande et qui serait occupé militairement par des troupes allemandes;

6 Annexion de la Lithuanie et de la Courlande;

7° Établissement d'une grande Bulgarie;

8° Annexion des pays compris entre la Bulgarie et l'AutricheHongrie ;

9° Réunion de l'Arménie et de l'Égypte à la Turquie.

D'autres Allemands redoublent de menaces.

Le lieutenant-général baron von Freytag - Loringhoven, chef d'état-major général suppléant, dit :

Non seulement nos armées ne reculeront pas, mais elles infligeront à nos ennemis des pertes encore plus lourdes que par le passé. Si nos

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