les choses sont fort égales; et que, si vous auriez de la répugnance à me voir votre belle-mere, je n'en aurois pas moins, sans doute, à vous voir mon beaufils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serois fort fâchée de vous causer du déplaisir; et, si je ne m'y vois forcée par une puissance absolue, je vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous chagrine. HARPAGON. Elle a raison à sot compliment il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma belie, de l'impertinence de mon fils; c'est un jeune sot qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit. MARIANE. Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée; au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte; et s'il avoit parlé d'autre façon, je l'en estimerois bien moins. HARPAGON. C'est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes. Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de sentiments. CLÉANTE. Non, mon pere, je ne suis point capable d'en changer, et je prie instamment madame de le croire. HARPAGON. Mais voyez quelle extravagance! il continue encore plus fort. CLÉANTE. Voulez-vous que je trahisse mon cœur? HARPAGON. Encore! Avez-vous envie de changer de discours? CLÉANTE. Hé bien! puisque vous voulez que je parle d'autre façon: Souffrez, madame, que je me mette ici à la place de mon pere, et que je vous avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire, et que le titre de votre époux est une gloire, une félicité que je préférerois aux destinées des plus grands princes de la terre. Oui, madame, le bonheur de vous posséder est, à mes regards, la plus belle de toutes les fortunes; c'est où j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse; et les obstacles les plus puissants... HARPAGON. Doucement, mon fils, s'il vous plaît. C'est un compliment que je fais pour vous à madame. HARPAGON Mon dieu! j'ai une langue pour m'expliquer moi-' même, et je n'ai pas besoin d'un interprete comme vous. Allons, donnez des sieges. FROSINE. Non, il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d'en revenir plutôt, et d'avoir tout le temps ensuite de nous entretenir. HARPAGON, à Brindavoine. Qu'on mette donc les chevaux au carrosse. SCENE XII. HARPAGON, MARIANE, ELISE, CLEANTE, VALERE, FROSINE. HARPAGON, à Mariane. Je vous prie de m'excuser, ma belle, si je n'ai pas songé à vous donner un peu de collation avant que de partir. CLEANTE. J'y ai pourvu, mon pere; et j'ai fait apporter ici quelques bassins d'oranges de la Chine, de citrons doux, et de confitures, que j'ai envoyé quérir de votre part. Valere. HARPAGON, bas, à Valere. VALERE, à Harpagon. Il a perdu le sens. CLÉANTE. Est-ce que vous trouvez, mon pere, que ce ne soit pas assez? Madame aura la bonté d'excuser cela, s'il lui plaît. vif MARIANE. C'est une chose qui n'étoit pas nécessaire. CLÉANTE. Avez-vous jamais vu, madame, un diamant plus que celui que vous voyez que mon pere a au doigt? MARIAN E. Il est vrai qu'il brille beaucoup. CLÉANTE, Ótant du doigt de son pere le diamant, et le donnant à Mariane. Il faut que vous le voyiez de près. MARIANE. Il est fort beau, sans doute, et jette quantité de feux. CLEANTE, se mettant au-devant de Mariane, qui veut rendre le diamant. Non, madame, il est en de trop belles mains; c'est un présent que mon pere vous fait. Moi? RARPAGON. CLÉANTE. N'est-il pas vrai, mon pere, que vous voulez que madame le garde pour l'amour de vous? HARPAGON, bas, à son fils. Comment! CLEANTE, à Mariane. Belle demande! il me fait signe de vous le faire ac cepter. MARIANE. Je ne veux point... CLEANTE, à Mariane. Vous moquez-vous ? il n'a garde de le reprendre. HARPAGON, à part. J'enrage. Le voilà qui se scandalise de votre refus. Ah! traître ! CLEANTE, à Mariane. Vous voyez qu'il se désespere. HARPAGON, bas, à son fils en le menaçant. Bourreau que tu es! CLÉANTE. Mon pere, ce n'est pas ma faute : je fais ce que je puis pour l'obliger à le garder; mais elle est ob stinée. HARPAGON, bas, à son fils avec emportement. Pendard! CLEANTE. Vous êtes cause, madame, que mon pere me que relle. HARPAGON, bas, à son fils, avec les mêmes Le coquin ! gestes. CLEANTE, à Mariane. Vous le ferez tomber malade. De grace, madame, ne résistez pas davantage. FROSINE, à Mariane. Mon dieu! que de façons! Cardez la bague, puisque monsieur le veut. MARIANE, à Harpagon. Pour ne vous point mettre en colere, je la garde maintenant; et je prendrai un autre temps pour vous la rendre. SCENE XIII. HARPAGON, MARIANE, ELISE, CLEANTE, VALERE, FROSINE, BRINDAVOINE. BRINDA VOINE. Monsieur, ya là un homme qui veut vous parler. HARPAGON. Dis-lui que je suis empêché, et qu'il revienne une autre fois. BRINDA VOINE. Il dit qu'il vous apporte de l'argent. HARPAGON, à Mariane, Je vous demande pardon, jereviens tout à l'heure. |