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que l'on appelait les poèmes historiques, héroïques ou supposés tels, parut celui d'Alexandre.

Il fait époque, dans l'histoire de notre poésie elle ne s'était permis jusque là que des vers de huit syllabes, ou tout au plus de dix; ici ce furent des vers de douze, qui prirent du nom du héros, ou du nom d'un des auteurs, celui de vers alexandrins. Quatre poètes y travaillèrent, et le plus célèbre fut Alexandre de Paris.

Le nom des trois autres est fort indifférent, ainsi que celui de tous les versificateurs nés dans cet âge ou dans les suivans : une nomenclature sèche n'est pas ce que l'on attend de moi; c'est l'histoire de l'art des vers que j'écris ; et je ne dois faire une mention spéciale que de ceux qui, d'une façon bien marquée, ont concouru à ses progrès.

Tel fut cet Abailard, si connu par ses malheurs, par son savoir, par ses disputes théologiques et par ses chansons galantes :

Tel fut, sous Philippe-Auguste, cet Helynand, d'abord homme de cour, puis moine de Citeaux, duquel il ne nous reste d'important que son poème sur la Mort:

Tel fut encore, sous Saint-Louis, ce Thibault, comte de Champagne, chevalier aussi galant et aussi brave que bon chansonnier.

Avant lui on ignorait le secret du mélange des rimes masculines et féminines; tous les poètes les accumulaient indistinctement et comme elles se présentaient. Ainsi Hébert dit dans le roman des Sept Sages:

Rien tant ne grève à menteor,
A larron, ne à robeor,

N'a mauvais hom quiex qui soit,
Comm' véritez quand l'aperçoit;
Et véritez est la maçue

Qui tot le monde occit et tue.

Les rimes masculines se suivaient donc sans intermédiaire, comme on vient de le voir, ou se croisaient, comme dans ce quatrain de Thibault :

De bien amer ne puet nus enseignier,.
Fors que li cuers qui done le talent;
Qui bien ame de fin cuer loyaument,
Cil en sçait plus, et moins s'en puet aidier.

Thibault, ainsi que je l'ai observé, se corrigea, et, par le mélange des rimes, rendit ses

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couplets plus gracieux : on peut en juger par celui-ci :

Autre chose ne m'a Amors meri,
Di tant comme j'ai esté en sa baillie;
Mais bien m'a dex par sa pitié guari,
Quand délivré m'a de sa seigneurie,
Et keskapez lui sui, sans perdre vie :
Ains de mes ieux si boine eure ne vi.
Si sai-je faire encor maint jeu parti,
Et maint sonnet et mainte reverdie.

Je citerai encore ce couplet, sur la mesure duquel l'Arioste et le Tasse semblent avoir modelé les huitains qu'ils ont adoptés pour chanter leurs héros : « car, ainsi que l'observe « M. de Fontenelle, la plus grande gloire de « la poésie provençale est d'avoir pour fille la poésie italienne. »

Au renouviau de la douçour d'été,
Que reclaircit li doiz à la fontaine,
Et qui sont verds bois et vergers et pré,
Et li rosiers en mai florit et graine,
Lors chanterai que trop m'aura grevé
Ire et émoi qui m'est au cueur prochaine.
Et fins amis à tort atoisonnez,

Et moult souvent de léger effrayez.

Ces vers,

qui sont encore les plus corrects

de ceux du règne de Saint-Louis, nous font voir cependant jusqu'à quel excès nos rimeurs alors portaient la licence de faire ou de ne faire pas des élisions, de supprimer des voyelles ou des consonnes, de se permettre des hiatus, de faire rimer des singuliers avec des pluriels, des mots même qui ne se ressemblaient que par une lettre. C'était tout à la fois l'enfance de l'art et du langage.

La reverdie, ou le reverdis, était, je le répète, un poème ou chant sur le retour de la verdure.

Le sonnet est une pièce que l'on connaît encore aujourd'hui, et qui commence malheureusement à se perdre. Quoiqu'elle ne contienne que quatorze vers, ils ont, aux yeux du législateur du Parnasse français, tant de prix s'ils sont bien faits, qu'il n'a pas craint de dire:

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.

On connaît de même le triolet, qui plaisait si fort à nos pères, et que nous négligeons trop, malgré la grâce qui lui est propre. En voici un

qui peint encore la langue et la versification

er du tems :

J'aim' bien loyaument,

Et j'ai bel amy,
Pour qui dis souvent:
J'aim' bien loyaument.
Est mien ligeament;
Je le sai de fy.

J'aim' bien loyaument,
Et j'ai bel amy.

« J'aime bien loyalement; aussi j'ai un bel ami, pour qui je dis souvent : j'aime, etc. Il « est à moi d'hommage-lige; je le sais de foi ou d'assurance, » etc....

Quant aux jeux partis, ils firent naître les cours d'amour, dont les annales des Troubadours font si souvent mention. Ces jeux partis, ou partagés, consistaient en questions de jurisprudence galante, sur lesquelles on plaidait le pour et le contre. Par exemple :

Lequel est le plus heureux d'une vieille femme qui devient l'amie d'un jouvenceau, ou d'un vieillard qui a une jeune amie?... Vaut-il mieux avoir pour maîtresse une femme ou une demoiselle?

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