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Quel est le signe d'amour le plus expressif, serrer la main ou marcher sur le pied? Lequel doit plus faire pour sa dame, ou celui qui a ou celui qui espère? etc.

Le poète développait tour à tour l'une et l'autre opinions, et finissait par se décider pour celle qu'il croyait la plus vraisemblable. Mais comme les auditeurs ou les lecteurs n'étaient pas toujours de l'avis du rimeur, on imagina de créer des lois pour discuter et terminer de pareilles disputes.

La Provence eut donc sa cour d'amour, et la Picardie, sa rivale, les gieux et plaids sous l'ormel. Tout s'y passait avec l'apparence et dans le style des formes judiciaires; les arrêts étaient sans appel, et la présidence toujours déférée aux femmes qui se connaît mieux qu'elles en véritable amour!

Les tems où ces cours jouirent de la plus grande célébrité furent le douzième et le treizième siècles.

Mais de tous les rois qui occupèrent alors le trône, aucun n'aima les lettres plus que Louis IX. Il en fit partager le goût aux seigneurs qui le suivirent dans ses croisades ; et

tous à l'envi semblent s'être fait un devoir et un plaisir de retracer en vers les dangers qu'ils ont courus, et le tendre souvenir qu'ils ont conservé de leurs dames; témoin ces vers de Henri de Soissons:

Bien m'a Amours éprouvé en Surie,

Et en Egypte, où je fus mené pris:
Si que je fus en grand paour de ma vie,
Et chacun jour cuidai bien estre occis.
Mais pour tout ce mon cuer ne s'est parti,
Ne dessevré de ma douce ennemie ;
Ne en France pour ma grand' maladie,
Quand je cuidai de ma goutte mourir,
Ne se pouvait mon cuer d'elle partir.

A ces galanteries on pourrait opposer des malices contre les femmes, et des sarcasmes contre le clergé; car les satires continuaient d'être à la mode; et la cour de Rome, comme autrefois, en était presque toujours l'objet.

Les contes et les fabliaux se multipliaient aussi chaque jour; on eut même quelques grands poèmes, mais ils furent en petit nombre, jusqu'à ce qu'on vit paraître le célèbre roman de la Rose:

Ci est le roman de la Rose,

Où tout l'art d'Amour est enclose.

Il ne contient effectivement

mer et de jouir.

que l'art d'ai

Guillaume de Lorris en Gatinais, mort l'an 1262, en composa la plus grande partie : il fut achevé par Jean de Meun, surnommé Clopinel, ou boiteux, que les uns ont transformé en moine Dominicain, et dont les autres ont fait un docteur en droit.

Le plan de ce poème est fort simple, et tient au génie d'un tems où les songes, les pélerinages, les allégories jouissaient de la plus grande faveur. Un jeune homme s'endort dans un jardin délicieux: quand on dort on rêve; et quel songe peut nous bercer à cet âge, si ce n'est un songe amoureux! Il voit donc une rose éclatante, qu'il est tenté de cueillir; ses efforts pour arriver jusqu'à elle redoublent en proportion des obstacles que lui opposent les génies malfaisans qui la'gardent: Faux-Semblant, Male-Bouche, etc. Mais il trouve aussi des génies généreux qui lui prêtent leur secours : Pitié, Franchise, Bon-Accueil, etc.

Enfin, après bien des difficultés vaincues, des murs escaladés, des châteaux forcés, des

charmes détruits, le bon jeune homme s'é

crie:

Ains eus-je la rose vermeille:

A tant fut jour, et je m'éveille.

Cet ouvrage offre le singulier mélange de tableaux gracieux et licencieux, de fades complimens et de critiques amères. Les femmes, les prêtres, les avocats, les médecins y sont traités sans ménagement; et ces méchancetés eurent d'autant plus de lecteurs, que ce poème fut long-tems regardé comme le chef-d'œuvre de la poésie française.

On y lit ce quatrain contre les juges:
Tous s'efforcent de l'autrui prendre:
Tel juge fait le larron pendre,

Qui de plein droit serait pendu
Si jugement lui fust rendu.

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On y lit contre les moines:

Tel a robe religieuse;
Doncques il est religieux:

Cet argument est vicieux,
Et ne vaut une vieille gaine;
Car l'habit ne fait pas le moine.

Ce dernier vers est devenu proverbe. Il offre un nouvel exemple des licences que se donnait la rime; il lui suffisait de ressembler par les deux dernières lettres.

Parmi les satires contre les moines et le clergé, on a distingué long-tems une pièce d'Anselme Faydit, intitulée : l'Heregia dels Preyres, (l'Hérésie des Prêtres.) M. de Fontenelle la regarde comme la plus ancienne de nos pièces de théâtre. J'ignore si elle est écrite en vers, ainsi que quelques autres de ce même Anselme, mort en 1220.

Avant d'aller plus loin je dois remarquer avec M. l'abbé Massieu, comme une chose surprenante, qu'on ne vit jamais autant de poètes non-seulement tendres et galans, mais libres et licencieux, que sous le plus pieux de nos rois. « Je nomme à regret, dit cet auteur, « Richard de Lille, Courtois d'Arras, Ga

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