་ Le premier, né dans le Hainault, fut élevé à la cour des ducs de Bourgogne ; et sa poésie, malgré cela, n'est que de la prose rimée. On doit en dire autant de la versification du second qui, engagé dans l'état ecclésiastique, fut official de Reims, et qui n'en fut pas moins satirique et licencieux. O que j'aime bien mieux ce bon Réné d'Anjou, roi titulaire de Sicile, et comte effectif de Provence ! Il y protégeait les arts, faisait luimême des vers, des tableaux, et versait le bonheur sur ces heureuses contrées, où l'on n'en parle encore qu'avec attendrissement. Il fit bien plus pour les lettres dans son petit état que Charles VIII et Louis XII dans leurs grandes possessions. Les guerres d'Italie, où ils transportaient leurs hommes d'armes, leur cour et leurs finances, ne laissaient aux poètes ni fêtes à embellir, ni récompense à espérer. Aussi vit-on, dans ce désœuvrement des Muses, naître de toutes parts ces bagatelles difficiles auxquelles l'esprit se livre follement quand il est sans motif ou sans moyen pour s'élever. Je parle d'abord de ces vers nains de deux, de trois et de quatre syllabes, qui offrent bien plus de sons que de sens: comme si l'on avait cru, dit M. l'abbé Massieu, qu'on ne pouvait mettre la raison trop à l'étroit. Je parle surtout de ces rimes batelée, fraternisée, brisée, rétrograde, enchaînée, sénée, couronnée, équivoque, empérière et kyrielle. Celle-ci, à proprement parler, était moins une rime qu'un refrain; le vers qui le formait devait se ramener avec adresse après trois autres: Qui voudrait savoir la pratique Je dis que, bien mise en effet, Disons un mot des autres; elles tiennent à l'histoire de la poésie, et font connaître l'esprit littéraire du siècle de Charles VIII et de Louis XII. Lorsque l'hémistiche d'un vers rime avec la fin du vers précédent, la rime est batelée. Quand Neptune, puissant dieu de la mer, Cessa d'armer caraques et galées, Les Gallicans bien le durent aimer, Et réclamer ses grand's ondes salées. Fraternisée ou annexée, lorsque le mot qui termine un vers se répète en tout ou en partie au commencement du vers qui suit: Mets voile au vent, cingle vers nous, Caron; Rétrograde, est celle où les vers lus à rebours conservent un sens et riment encore ensemble: Triomphament cherchez honneur et prix, Ou bien : Pris et moqués êtes terriblement, Prix et honneur cherchez triomphament. (*) Enchaînée. Cet adjectif indique moins la (*) Un auteur qui se qualifie le Banni de Liesse fit deux huitains, dont le premier est précédé de cette note: Les huit vers ci-dessous écrits se peuvent lire et retourner en trente-huit manières. Au haut de l'autre on lit: Cette oraison se peut dire par huit ou par seize vers, tant en rétrogradant qu'autrement, lellement qu'elle se peut lire en trente-deux manières et plus; et à chacune y aura sens et rime, et peut commencer toujours par mots différens qui veut. rime que le caractère d'enchaînement des idées : Dieu des amours, de mort me garde; Brisée. Cette rime demande que le repos même de chaque vers rime avec l'hémistiche de celui qui l'accompagne; tel est ce quatrain qui, déchiré avec intention par l'envieux de Zadig, indisposa le roi contre lui, et causa la disgrace de ce héros du roman de Voltaire. Par les plus grands forfaits―J'ai vu troubler la terre; Dans la publique paix C'est le seul ennemi Le roi sait tout dompter: -L'Amour seul fait la guerre; Qui soit à redouter. Equivoque, lorsqu'un même mot se trouve répété tout entier à la fin de deux vers, mais dans une signification différente. Ainsi Crétin, dans sa prière à Sainte-Geneviève, lui dit : Peuple en paix te plaise maintenir, Sénée. Il faut que tous les mots du vers commencent par la même lettre ; tels sont ces vers ridicules: Ton tuteur te tentait, tu tentais ton tuteur, Couronnée, quand le vers finit par double. Ma blanche colombelle belle, une rime Il fallait que cette rime fût triple pour mériter la qualité d'empérière. Benins lecteurs, très-diligents gents, gents, Pour finir par un exemple frappant de ces difficultés de mauvais goût, je citerai ces quatre vers de Jean Moulinet, qui vivait sous Charles VIII. Il dit en parlant de lui: Moulinet n'est sans bruit ni sans nom, non; les |