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poètes du tems de se croire de grands hommes; et comme les chevaliers avaient leurs cris d'armes, nos rimeurs aussi voulurent avoir leurs devises. Celle de Marot, de qui je parlerai bientôt, est la mort n'y mord.

C'est à ce tems-là que M. de Fontenelle place la comédie de l'Avocat Patelin, où il y a, dit-il, des choses qui ne paraissent pas. indignes du siècle de Molière, ni de Molière même. L'auteur en est inconnu, quoique plusieurs personnes l'attribuent à Pierre Blanchet de Poitiers. Cette pièce, qui parut en 1448, est écrite en vers de huit syllabes.

C'était ceux dont alors on faisait le plus fréquent usage.

Mais ces vers, ainsi que ceux de dix syllabes qu'on employait également, étaient pleins d'hiatus, de rimes hasardées et de repos défectueux.

Jusques à ce que par un repentir..............

Nos jours passent, jamais nul ne revient...

Jean le Maire fut le premier qui remarqua le mauvais effet de ce repos : il en avertit les rimeurs ses confrères; mais il ne les corrigea pas, et ne se corrigea pas lui-même ; tant

l'habitude et la paresse opposent d'obstacles à la perfection!

Le Maire naquit dans le Hainaut en 1473. Les plus distingués de ses confrères et contemporains furent Octavien et Melin de SaintGalais.

Le 12 septembre 1494 naquit à Cognac François Ier, à qui les lettres ont eu de si grandes obligations.

Il fut le successeur de Louis XII, qui les protégeait aussi, les cultivait, et fit, n'étant que duc d'Orléans, de jolis couplets pour Anne de Bretagne, qu'il épousa ensuite.

Mais ce qui vaut mieux que des chansons c'est qu'il rendit ses sujets heureux, et mérita le titre de père du peuple, laissant à François Ier celui de père des savans.

Ce dernier règne fut la véritable époque de la régénération de notre poésie.

M. l'abbé Massieu parle ainsi des rimeurs qui avaient précédé : « Ils n'avaient nulle règle « pour l'arrangement ou pour le mélange des « rimes : ils plaçaient l'e féminin au repos << du vers; ils faisaient rimer des singuliers « avec des pluriels; ils ne s'embarrassaient

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point du son rude que le choc des voyelles << cause à l'oreille; ils n'étaient nullement scrupuleux sur la rime féminine, et n'avaient égard qu'à la dernière syllabe, bien « que tout dépende de la pénultième, de « sorte que hallebarde et miséricorde étaient << alors une bonne rime. »

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« Mais, quoique ces fautes fussent grossiè<«<res, ils en faisaient de bien plus considé«< rables dans la manière de traiter les sujets: « ils n'avaient presque aucune idée du grand «<et du sublime; leur sérieux était un vrai burlesque; ils confondaient les styles, et ignoraient les convenances. Au lieu de faire << servir la rime à la raison, ils sacrifiaient << absolument la raison à la rime », etc.

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Un nouvel ordre de choses s'établit avec le nouveau règne : la poésie fit, sous les auspices de François Ier, plus de progrès en trente ans qu'elle n'en avait fait pendant plusieurs siècles.

Les cadres néanmoins, ou les canevas des poèmes, furent toujours les mêmes ; des songes, des pélérinages, des chasses, des visions, et toujours des personnages allégoriques: cruauté,

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justice, vieillesse, faux-semblant, mauvaise gráce, noise, discorde, refus, etc.

A l'époque où nous sommes arrivés parurent des poèmes bizarres, appelés en taralantara. Ils se faisaient en vers de dix syllabes, ayant leur repos à la cinquième. Bonaventure Despériers a rimé en cette mesure son Carême prenant. Heureusement cette bizarrerie a disparu, et nos vers de dix syllabes ont repris et gardé leur repos au second pied. François Ier ne protégea pas seulement les poètes, il fit lui-même des vers.

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Sa sœur, Marguerite de Valois, s'en occupa également; elle y eut même tant de succès qu'elle fut nommée par les poètes de son tems, c'est à dire par ses pairs, quatrième Grâce et dixième Muse; et quoiqu'elle fût reine de Navarre, ce n'était point une flatterie; les vers qu'elle nous a laissés égalent quelquefois ceux de Marot.

Il y eut alors trois poètes de ce nom; Jean, Clément et Michel: Clément, fils du premier, et père du troisième, les a fait oublier tous les deux. Il naquit à Cahors en 1495, et fut,

comme son père, valet de chambre du roi, qui l'aima et le protégea constamment. Les détails de sa vie sont connus: son grand attachement à François Ier, près duquel il fut blessé à Pavie, son amour pour Diane de Poitiers qui le trahit, son emprisonnement, sa fuite à Ferrare, etc., tout cela est étranger à mon sujet; je ne dois voir en lui que le poète.

Ses vers ont de la facilité, de la grâce, de la correction même ; les rimes y sont heureusement mélangées, les expressions franches, les tours heureux, les pensées fines, le badinage du meilleur ton, et la morale assaisonnée de ce sel qui lui ôte sa fadeur.Boileau, après avoir dit:

Marot bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna des triolets, rima des mascarades,
A des refrains réglés asservit les rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Boileau, dis-je, finit par citer ce poète comme
un modèle :

Imitons de Marot l'élégant badinage.

Sa diction a un tel cachet de naturel, de naïveté, d'agrément, que le style marotique

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