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MUYART DE VOUGLANS, dans son Traité des lois criminelles (publié en 1780), liv. II, tit. I", § 5, dit:

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Aussi, ce pouvoir que l'on appelle Droit de glaive, « parce qu'il s'étend sur la vie des hommes, ne

pouvait appartenir qu'à cette autorité suprême « que la divine Providence communique au sou

« verain. »>

L'auteur du discours préliminaire qui sert d'introduction à la nouvelle édition des Décisions de Denisart, de Varicourt, parle encore de vengeance et d'exemplarité; mais les termes qu'il emploie sont un témoignage d'un grand progrès.

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Remarquez, dit-il, que l'objet de la loi n'est pas qu'il y ait une peine appliquée dès qu'il a existé un <«< crime; mais son vœu est de punir le coupable et nul << autre. 'Cette réflexion, qui paraît fort simple, mérite « néanmoins d'être faite très sérieusement. Pour ar«rêter les crimes, il faut des exemples; mais per«sonne ne doit servir d'exemple que le coupable. II << faut que la société soit vengée du crime qui l'a atta«quée; mais cette vengeance est celle de la loi, froide, impartiale, qui ne poursuit ni ne favorise personne. « C'est plutôt de l'impulsion d'une sorte de nécessité « que de celle d'une volonté libre, que doit résulter « l'action de ses ministres. Leurs jugements sont l'acquit d'une dette. Ils doivent tout ce qu'ils font; « ils doivent à l'innocent la conservation de ses jours,

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« au coupable, la peine de son crime. Or, il n'y a

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point d'acte qui soit plus inaccessible aux passions « que l'acquit d'une dette. »

Ces lignes étaient écrites en 1783.

L'idée que la peine avait, entre autres buts, celui de corriger le coupable, s'était déjà produite. comme idée accessoire, dans les siècles précédents; mais l'idée que la société doit la peine et paie une dette en l'infligeant, cette réminiscence de Platon, est toute nouvelle dans notre Droit pénal, et ce n'est qu'au XIX siècle, qu'un de nos grands écrivains, dans son argument sur Gorgias, la remettra en lumière (1).

A l'encontre des principes qui ressortaient des faits législatifs et des théories juridiques qui les interprétaient, se forma, dans le courant du XVIII' siècle, une théorie, instrument de combats et de révolutions. Elle n'est qu'un élément d'une théorie philosophique dominante à cette époque sur l'origine de la société et des pouvoirs sociaux.—La société n'était qu'un contrat par lequel les hommes s'étaient entendus pour faire cesser l'état de nature dans lequel ils jouissaient d'une indépendance affranchie de toutes règles, et dans laquelle ils n'avaient que leur force individuelle pour se protéger contre les forces individuelles qui pouvaient les assaillir. Le pouvoir était une création humaine, l'œuvre de la volonté générale qui faisait la loi. C'était un mandataire, un serviteur, chargé de mettre à exécution la volonté commune.

Le pacte social avait pour fin la conservation des contractants; or les associés qui avaient voulu la fin avaient voulu nécessairement les moyens. Les peines

(1) Platon, trad. Cousin, t. III, p. 167.

étaient au nombre de ces moyens indispensables au maintien de la société. Chaque individu avait consenti, pour que le corps social se chargeât de protéger sa vie, sa liberté, sa fortune, à lui confier la disposition de sa fortune, de sa liberté, de sa vie même, pour le cas où il porterait atteinte à la vie, à la liberté, à la fortune des autres individus qui s'étaient associés sous la même condition.

Les peines n'étaient donc, dans ce système, que le contingent éventuel que les associés s'obligeaient à supporter pour former l'assurance mutuelle : c'était le gage de la sécurité de tous.

« Le traité social a pour fin la conservation des « contractants; qui veut la fin veut aussi les moyens, « et ces moyens sont inséparables de quelques risques, « même de quelques pertes. Qui veut conserver sa «< vie aux dépens des autres, doit la donner pour << eux aussi, quand il faut. Or le citoyen n'est plus juge du péril auquel la loi veut qu'il s'expose; et quand le prince lui a dit, il est expédient à l'Etat « que tu meures, il doit mourir, puisque ce n'est qu'à cette condition qu'il a vécu en sûreté jus« qu'alors et que sa vie n'est plus seulement un bien« fait de la nature, mais un don conditionnel de « l'Etat.

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« La peine de mort infligée aux criminels, peut être << envisagée à peu près sous le même point de vue.« C'est pour n'être pas victime d'un assassin qu'on « consent à mourir si on le devient.-Dans ce traité, « loin de disposer de sa propre vie, on ne songe

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qu'à la garantir, et il n'est pas à présumer qu'au« cun des contractants prémédite alors de se faire pendre (1). »

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Ainsi, l'aliénation éventuelle de sa vie n'est pas de la part de chaque associé, un suicide conditionnel; c'est l'organisation d'un moyen efficace de défense.

Cette idée courante de Contrat Social, appliquée par Rousseau à la pénalité, Beccaria se l'appropria et la développa dans un livre ad hoc, avec cette conclusion pratique, que chaque individu n'avait dû ni pu concéder que ce qui était indispensable au maintien de l'organisation sociale.

Les nouveaux principes se faisaient jour et commençaient à s'écrire dans la législation quand la Révolution de 1789 arriva (2).

(1) J.-J. ROUSSEAU, Contrat Social.-Du Droit de vie et de mort, liv. II, chap. v.

(2) Voir la déclaration du 24 août 1780 et la déclaration du 1er mai 1788.-INTRODUCTION à la réimpression du Moniteur, p. 311.

CINQUIÈME LEÇON.

SUITE DES PROLEGOMÈNES.-CINQUIÈME PÉRIODE DEPUIS 1789.Tableau résumé des monuments législatifs.-Action des théories politiques sur les fondements du Droit pénal.-Conséquences du principe du Contrat social. -Législation de la Constituante.-Code du 3 brumaire an IV. -Bentham, Kant, de Pastoret.-Codes de l'Empire.-Exagération de M. Lerminier.— Restauration. Traces de l'influence de l'école éclectique.-Réforme du 28 avril 1832.-Triomphe du principe que la pénalité est fondée sur la justice morale limitée par l'utilité sociale.

MESSIEURS,

Quelles ont été les sources du Droit pénal depuis 1789 ?

L'histoire des sources du Droit pénal depuis 1789 jusqu'à nos jours, ce serait l'histoire de nos diverses révolutions politiques, non seulement dans leurs formules législatives, mais dans les autres faits extérieurs et surtout dans les causes qui les ont dominées. Une analyse serait nécessairement incomplète et même infidèle. Les omissions et les lacunes inévitables fausseraient l'appréciation, et cette apprécia

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