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le contrepied de la théorie de Bentham. Le mal devait être expié, parce que c'était le mal, et non parce qu'il était nuisible à la société.

L'homme était puni pour lui-même et non au profit des autres comme moyen de sécurité sociale.

Le Droit pénal devait alors avoir non seulement le même centre, mais la même circonférence que la morale.

Puis il y avait la théorie du Droit de défense qui s'amendait et se tempérait par une idée morale.Cette théorie, dont le plus célèbre représentant fut M. de Pastoret, ne reculait devant l'idée d'intimidation qu'autant qu'elle n'était pas nécessaire.

Ce fut en présence de ces trois théories que le projet de Code pénal fut discuté.

De quelles idées se sont inspirés les rédacteurs du Code de l'Empire?

Un publiciste distingué, M. Lerminier (1), a écrit que leur œuvre présentait l'anarchie éclatante des principes les plus contraires. Il y a de la vérité dans ce langage, mais il y a aussi de l'exagération.

La Théorie du Contrat social et la Théorie de Bentham sont l'inspiration prédominante. Nous en verrons la preuve dans les dispositions du Code. Quelques mots de M. Target nous la révèlent :

Que les crimes soient prévenus, voilà ce qui est << d'une haute importance; après le plus détestable forfait, s'il pouvait être sûr qu'aucun crime ne fût

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(1) Introduction générale à l'Hist. du Droit, ch. 20, p. 289.

« désormais à craindre, la punition du dernier des coupables serait une barbarie sans fruit, et l'on ose « dire qu'elle dépasserait le pouvoir de la loi : Pœna « non irascitur sed cavet (SENÈQUE). La gravité des «< crimes se mesure donc, non pas tant sur la per« versité qu'ils annoncent, que sur les dangers qu'ils << entraînent (1). »

Toutefois, par une heureuse inconséquence, le Code de l'Empire permet aux juges de faire la part de la moralité de l'agent, en établissant pour chaque peine un maximum et un minimum.

Quant à la loi de procédure, les Codes de l'Empire continuèrent l'œuvre d'éclectisme; ils appliquèrent et le principe de l'instruction secrète et le principe de l'instruction orale et publique; -ils supprimèrent le jury d'accusation et ne maintinrent que le jury de jugement; ils ne laissèrent pas, en matière de crime, le Droit d'accusation aux intérêts privés.

La Restauration s'efforça de restituer à l'idée morale sa légitime place. -Elle n'entreprit aucune réforme générale des lois pénales; elle ne fit que des innovations partielles; elle fit le premier essai des circonstances atténuantes, c'est-à-dire qu'elle pensa que si le danger social était l'une des bases de la mesure de la peine, il y en avait une autre, à savoir, le plus ou moins d'immoralité de l'agent.

C'est que sous la Restauration, se développait et s'ac

(1) Observations de M. Target sur le Code pénal. Locré, t. XXIX, p. 8.

créditait une école philosophique nouvelle, l'école qui a eu pour illustres représentants, MM. Royer-Collard, Guizot, de Broglie, Cousin, de Rémusat. Cette école s'occupa beaucoup du Droit de punir; elle subordonna ce Droit à quatre conditions:

1° Que le fait incriminé fût contraire à la loi morale; 2° Qu'il fût contraire à l'ordre social

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3° Que la peine ne dépassat jamais le degré d'expiation qu'exigeait la loi morale ;

4° Qu'elle n'atteignît pas même ce maximum, si l'intérêt social ne l'exigeait pas.

A ces quatre conditions, suivant la nouvelle école, le pouvoir social était dépositaire et mandataire de la justice de Dieu. Ce sont les idées de Bentham et de Kant se limitant, qui forment le fond de cette théorie. M. Rossi en a été le brillant et quelquefois l'éloquent vulgarisateur.

La Révolution de juillet amena cette école au pouvoir, et ce sont ces principes qu'elle a essayé de réaliser dans la réforme du 28 avril 1832.

Je n'essaierai pas de dire quelles idées ont animé les monuments successifs du Droit pénal depuis 1848. -Ces idées ont été très diverses et peut être un peu mêlées. Elles appartiennent à un temps trop voisin de nous; elles sont trop liées au présent pour tenter leur appréciation.

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Ce que je puis, ce que je dois apprécier, au point de vue philosophique, se sont les principes qui ont successivement dominé le système pénal français jusqu'à la Révolution de 1848: à l'idée de vengeance in

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dividuelle a succédé l'idée de vengeance publique;l'idée de vengeance publique s'est fortifiée ou aggravée par la pensée de vengeance divine; eufin, l'exemplarité du châtiment et l'intimidation qu'il produit ont été comme une égide dont la société a cru avoir besoin pour se sauvegarder.

La fiction du contrat social ébranle, puis enfin renverse les vieilles bases de la pénalité. La pénalité est la condition de l'assurance mutuelle. Le matérialisme prévaut dans le Droit pénal, comme partout. Il produit une théorie qui demande à l'utilité du plus grand nombre la justification du châtiment social.—Le spiritualisme réagit; il se traduit et s'exagère dans le système de justice absolue; la peine est une dette envers cette justice. La réaction irait presque jusqu'à faire revivre l'idée de vengeance divine. Deux tentatives sont faites pour concilier le principe de l'utilité sociale et le principe de la justice morale. — Chacune de ces tentatives de conciliation a une part d'influence; la dernière surtout, celle qui se relie à la philosophie éclectique, devient prépondérante.

Voilà les idées au mouvement desquelles j'ai essayé de vous faire assister.

Sans doute l'histoire de ces idées, de leur action, c'est le plus sûr, c'est le meilleur des jugements; mais je n'ai fait ni pu faire leur histoire à proprement parler. Je ne vous ai présenté que quelques aperçus historiques; je ne me suis attaché qu'aux conséquences générales, je ne les ai pas suivies dans leurs développements.

L'appréciation philosophique, c'est-à-dire l'appréciation au point de vue rationnel et juridique de chacune des idées qui ont servi de base au Droit de punir, c'est le complément indispensable de mes prolégomènes.

Les principes qui servent de fondement aux lois pénales ne sont pas, en effet, des abstractions stériles; si leur étude n'était utile qu'au législateur je pourrais la négliger; mais elle est d'un grand secours pour l'interprète, et, sur un grand nombre de questions pratiques, de questions controversées, c'est à ces théories pour lesquelles une école qui croit que toute la science est dans les textes professe tant de dédains, que je demanderai souvent des solutions.

Cette étude critique des diverses théories du Droit de punir fera l'objet de ma prochaine leçon.

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