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La concession que l'individu aurait faite à l'association du droit de disposer de sa liberté, de sa vie même, serait-elle valable? Oui, dit Rousseau, l'individu n'a pas eu pour but de compromettre, d'aliéner les plus précieux de ses biens; il a voulu leur assurer une garantie plus efficace que celle qui était en son pouvoir.-Soit; son vœu était de vivre et non de se suicider; mais le résultat de la convention ne peutil pas être l'anéantissement, ou la restriction des biens qu'il a voulu sauvegarder? Eh bien ! de deux choses l'une ou l'on admet qu'il y a des principes de morale supérieurs aux conventions, des principes qui les rendent obligatoires, et ces principes défendent d'engager, de jouer sa liberté sous quelque condition que ce soit; ou bien l'existence de ces principes supérieurs est déniée, et alors rien ne peut lier l'individu à l'exécution de la convention que la force. Mais si la société n'a pour elle et ne peut avoir que la force, à quoi bon parler de convention? En un mot, et ce dilemme nous semble invincible, si le droit naturel n'est pas un vain rêve, la condition spéciale est. nulle, et si le droit naturel est un rêve, il n'y a pas de droit naturel qui puisse suppléer la force.

Le système qui voit dans le Droit social le Droit de défense individuelle, cédé et transporté à la société, est le système professé par Merlin, qui s'écarte ainsi des idées de Rousseau et de Beccaria, bien qu'il adopte comme eux pour point de départ l'hypothèse du Contrat social.

« Il n'est pas exact de dire que dans la formation

« du Contrat social chaque associé donne à la société « le droit de le faire mourir. C'est une idée contre << nature. Chaque associé ne donne à la société que « le droit qu'il a d'empêcher qu'on ne le prive de la

vie; et ce droit, comme on l'a déjà dit, emporte « celui de tuer son ennemi, s'il ne peut la conser<< ver que par ce moyen. Si la société le fait mourir <«< lui-même, ce n'est point par l'effet de la conces«sion qu'il lui a faite de son droit; c'est parce << que les autres associés ont apporté dans la société « le même droit qu'il avait lui-même, en cédant ce <«< droit à la société, ils l'ont mise à portée d'en

faire usage contre lui lorsqu'il le mériterait (1). »

M. Merlin déclare encore que le Droit de mort est pour la société le droit de tuer un ennemi qu'elle ne peut conserver sans danger.

Ce système n'explique pas le Droit de punir qu'il prétend justifier.

En effet, le Droit de défense individuelle n'a d'autre durée, d'autre mesure, que le péril qui naît de l'attaque; il commence avec l'agression et finit avec elle; il ne peut que désarmer l'agresseur, mais il n'autorise pas à lui infliger une expiation.

Le Droit de défense individuelle, d'ailleurs, s'exerce aussi bien et avec la même légitimité contre une force aveugle que contre une force libre, contre un être sans intelligence et sans moralité que contre

(1) MERLIN, Répert., Vo Peine, no 7.

un agent responsable parce qu'il est intelligent et moral.

Mais si le Droit de la société n'est que le Droit des individus qui la composent, il aura la même nature et les mêmes limites. Le Droit social se réduira au Droit de résistance contre les malfaiteurs ; il s'étendra peut-être jusqu'à la faculté de les placer dans l'impossibilité de renouveler leurs attaques, mais il ne saurait légitimement aller au-delà; il sera d'ailleurs applicable aux animaux et aux fous furieux.

Le Droit de punir n'existe pas, ou il est autre chose que cela (1).

J'arrive au système qui fonde le Droit de punir sur l'utilité du plus grand nombre affranchie de toute loi supérieure.

La société, dans ce système, frappe l'agent soit parce qu'il a préféré son intérêt à l'intérêt social, soit parce qu'il n'a pas compris que son intérêt bien entendu s'identifiait avec l'intérêt dont le pouvoir se dit le représentant. Il est puni soit parce qu'il manque de jugement et de prévoyance, soit parce que, en ce qui le concerne au moins, il calcule mieux que le pouvoir.

S'il se trompe, ce n'est que par ignorance ou défaut d'esprit; que la société l'instruise ou l'éclaire; et, après tout, à quel titre l'obligerait-on au bonheur?

(2) Voir, sur la différence du Droit de défense et du Droit de punir, l'art. de M. de Broglie, du Système pénal et du Système répressif en général, dans la Revue francaise, no de Septembre 1828.

S'il a raison contre la société, il subit la violence de la force; dans aucun cas il n'y a prise à la pénalité (1).

Ce système, c'est la négation du Droit pénal, parce que c'est la négation de tout Droit.

Je ne suis plus séparé de l'école éclectique que par deux systèmes qui s'éclairent l'un par l'autre et par le fait même de leur contraste. Le Droit de punir c'est un Droit que la société puise dans sa propre nature; la société existe parce qu'elle est une loi de l'humanité et que l'homme, comme on l'a dit, n'a jamais été surpris se développant en dehors d'un état social plus ou moins imparfait. L'homme vit partout en société, remarque Montesquieu, donc il est né pour la société. Eh bien! la société, fait primitif et universel, a le droit de se défendre pour se conserver. Ce Droit de défense diffère des Droits de défense individuelle, comme la société diffère elle-même des individus qui la composent: or, ce Droit de défense spécial, sui generis, qu'elle n'emprunte à personne, s'exerce à l'aide de la pénalité. Le châtiment, voilà l'arme avec laquelle la société combat le mal qui est son ennemi. Le Droit de défense ainsi compris, participe sans doute au caractère de la guerre, mais il en est distinct.

La guerre, c'est un moyen accidentel et transitoire; il a pour but la paix ou la conquête.

(1) Voir M. Cousin, tome II, 17 leçon, 1 série, p. 218, et même tome, p. 249, édition de 1847..

L'exercice du Droit de punir, c'est pour le pouvoir la mission permanente et normale; c'est le principal moyen de maintenir l'ordre. Son application, en effet, détourne du crime et prévient ainsi le retour du mal; la violation de la loi est châtiée non pour elle-même, mais à raison des effets salutaires que le châtiment peut produire.

Ce système a d'abord un vice de terminologie; il reconnaît que le Droit qu'il qualifie de Droit de défense, n'a rien de commun avec le Droit de défense individuelle, et cependant il emploie une appellation commune; c'est là une source de confusion qui peut malheureusement ne pas s'arrêter aux mots et qui risque de s'introduire dans les faits.

En second lieu, ce système oublie de justifier l'application de la pénalité à l'agent même qu'elle frappe. Il développe les avantages de cette application, le bien qui en résulte pour la société dans l'avenir: mais l'utilité de la chose n'en établit pas la justice. Il y a plus, le châtiment d'un innocent contre lequel des apparences trompeuses auraient excité l'opinion de la foule, aurait tous les résultats d'intimidation. Est-ce à dire que la société, pour se défendre des dangers à venir, pourrait sacrifier sciemment l'innocence?

Enfin si ce système se pique de logique, il doit mesurer la pénalité non à la gravité intrinsèque du crime, mais à ses chances de retour; il ne doit non plus reculer devant aucun excès de rigueur.

Pour me résumer, ce système a le tort de deman

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