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condition de justice et de raison, la règle? A titre de force? Mais est-ce que la force et le Droit sont la même chose?

3o Le Droit serait-il la règle résultant de l'accord des volontés de tous ?

D'abord il est évident que cet accord n'est pas réalisable, qu'il est d'une impossibilité absolue. En second lieu, pour que cet accord fût un lien, une règle obligatoire, il faudrait admettre qu'il existe en dehors de cet accord, un principe supérieur, un principe naturel, en vertu duquel il serait interdit de violer ses engagements; et ce principe où serait-il, si le Droit c'est la convention? La prétention même de puiser l'idée du Droit dans la volonté de tous, implique que tout changement dans ces volontés, toute dissidence qui survient fait périr le Droit et rend aux dissidents leur indépendance. En effet, cette prétention ne peut reposer que sur ceci, que l'individu n'a d'autre règle que sa volonté et que, par suite, l'association ne peut avoir d'autre règle que la volonté unanime de ses membres;-mais, de même que l'individu cesse d'être lié par sa volonté de la veille, quand cette volonté s'évanouit, s'il n'est lié que par sa volonté, l'association ne pourrait conserver de règle qu'autant que l'unanimité persisterait;

4° Le Droit, est-ce la règle que prescrit l'utilité commune, l'utilité du plus grand nombre?

Mais pourquoi l'utilité du plus grand nombre, à ce seul titre d'utilité, et s'il n'y a aucun principe d'obligation en dehors d'elle, serait-elle fondée à exiger le

sacrifice des intérêts individuels? Sans doute l'utilité du plus grand nombre devrait rallier la majorité et lui assurer l'espèce de triomphe que donne la force. Mais nous avons déjà vu que la volonté de la majorité et la force qui peut s'y attacher, ne constituent pas le Droit; la force peut dompter, enchaîner les volontés individuelles; mais si, par ruse, ces volontés particulières lui échappent, ou si elles parviennent à donner le change et à se faire accepter comme volonté générale, elles sont à l'abri de tout reproche, et elles reprennent leur indépendance et leur souveraineté.

5° Le Droit, est-ce la tradition, la règle qui a gouverné les ancêtres, qui remonte à l'origine d'une société ? Mais, avec cette théorie, le Droit tout entier serait immobile; il ne répondrait pas aux besoins nouveaux stationnaire, malgré les développements et les progrès de la civilisation, au lieu de les favoriser et de les accélérer, il les entraverait. Comment d'ailleurs la volonté des premières générations pourraitelle enchaîner les générations nouvelles? D'où lui viendrait cette puissance? De son ancienneté ? Sans doute une volonté qui a traversé les siècles, toujours respectée, qui a pour elle la consécration du temps, a une grande autorité. Mais pourquoi? Justement parce qu'elle ne s'imposait pas; parce qu'elle est forte du libre acquiescement des âges successifs; en tant qu'elle n'est que la volonté des fondateurs primitifs, elle ne saurait être présentée comme uu lien. Seraitce comme expression de la volonté divine que la règle qui a gouverné les ancêtres, qui a présidé à la forma

tion d'une société, aurait l'autorité du Droit? Où, quand, comment aurait-on constaté, saisi ce prétendu témoignage de la volonté de Dieu ?

N'est-il pas d'ailleurs évident que si l'ancienne loi, à raison de changements survenus dans les rapports sociaux, cesse d'être juste, elle cesse par cela même d'être conforme à la volonté de Dieu qui est la justice absolue?

Les quatre théories qui voient le Droit dans la volonté du pouvoir, dans la volonté des majorités, dans le concours de toutes les volontés, dans l'utilité du plus grand nombre, appartiennent à l'école matérialiste qui ne date pas du XVIII° siècle, mais qui a compté des adeptes à peu près à toutes les époques. Cette école a exisié avant et depuis Socrate, et elle s'est perpétuée par des représentants plus ou moins célèbres, parmi lesquels nous ne citerons que Bacon, Hobbes et Locke jusqu'à Bentham qui a été de nos jours son organe le plus accrédité.

Pour quiconque croit que la destinée humaine ne s'accomplit pas tout entière en ce monde, qu'elle a l'immortalité devant elle, ces quatre théories ont un vice commun: elles sont la négation de la loi morale, de la loi morale qui n'est pas la même chose que le Droit, mais qui contient le Droit et le domine; elles sont la meilleure justification du despotisme, despotisme de la multitude ou despotisme plus concentré. Elles attribuent, en effet, soit à des volontés, soit à une utilité générale, affranchie de toute règle, dont la reconnaissance serait toujours à la merci de

volontés, elles-mêmes sans règle, une indépendance absolue, une souveraineté sans contrôle, une souveraineté que la volonté des individus ne saurait leur donner sur eux-mêmes, et qu'elle ne saurait à plus forte raison leur donner sur leurs semblables, du moment où l'on admet l'existence de Dieu dont la raison éternelle est supérieure à toutes les volontés.

La théorie, qui voit le Droit dans les précédents, mériterait le même reproche, si, pour elle, les lois primitives d'un peuple n'étaient que la scule expression de la volonté des ancêtres; mais ce n'est pas à titre de volontés humaines qu'elle les tient pour saintes et inviolables; elle voit dans ces faits comme le témoignage de la volonté de Dieu, un ensemble de conditions providentielles au sein desquelles une société est, à peine de suicide, condamnée à se mouvoir: l'école historique professe donc le spiritualisme, mais un spiritualisme qui fausse la vérité parce qu'il l'exagère.

6° Qu'est-ce donc que le Droit, d'après nous ? C'est la règle des rapports sociaux qu'imposent la raison et la justice.

On ne concevrait pas l'absence de cette règle si l'homme est l'oeuvre de Dieu, et si sa destinée est de vivre en société pour déployer, dans ce milieu qu'il n'a pas fait, l'intelligence, la liberté et la moralité dont il a été doué.

La société suppose en effet une règle, et, de plus, une règle juste et raisonnable, puisqu'elle est appelée

à gouverner les rapports d'êtres doués de moralité et de raison.

Cette règle de justice et de raison qui préexiste à tous les Codes humains, qui plane sur eux, il n'est pas, en fait, de société qui, d'une manière plus ou moins imparfaite, ne la connaisse et ne la pratique. Sans elle, absolument en dehors d'elle, aucune société n'est possible.

Le DROIT, voilà le lien des hommes entre eux! Le sentiment du droit est de tous les temps et de tous les pays; seulement il est plus ou moins complet, plus ou moins pur, suivant le degré de civilisation." Chaque homme en porte en soi le germe et en a comme l'instinct; aucun n'en a la notion entière. Les sociétés elles-mêmes n'en ont jamais eu et n'en auront jamais la possession pleine, absolue, parce que, si elles marchent dans la voie du progrès, elles ne doivent point atteindre la perfection qui n'est pas de ce monde.

La mission du pouvoir social est de reconnaître le Droit, de le réaliser dans ses lois, pour obtenir ainsi, par l'acquiescement des consciences individuelles, une obéissance que la force ne parviendrait pas toujours à acquérir ou au moins à conserver.

Voilà l'idée de Droit dégagée de l'idée de législa

tion.

Une école dite philosophique a,-de cette idée, que le Droit c'étaient la raison et la justice gouvernant les rapports sociaux,-tiré les conséquences les plus fausses et les plus désastreuses; elle construit, à priori, et

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