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sauvegarde l'intérêt confié à sa vigilance. Mais ici revient mon objection si la dette de l'expiation morale est acquittée en dehors du pouvoir social, que devient la pénalité ?

Le système éclectique suppose gratuitement que Dieu a délégué au pouvoir social le droit d'exercer sur la terre et dans la limite de son intérêt terrestre une partie de la justice, sauf imputation dans une autre vie, à la décharge des coupables, de ce qu'ils auraient souffert en ce monde par suite de leurs fautes.

Le système éclectique suppose au profit du pouvoir social plus qu'une délégation; il suppose une promesse de la part de Dieu de ne pas exercer sa justice en ce monde, ou au moins de ne pas l'exercer avant l'intervention de la justice sociale. Or toutes ces suppositions, supérieures, je le reconnais, à la fiction du contrat social, sont cependant des fictions, et partant elles sont dangereuses; j'essaierai d'en montrer le péril en les suivant plus tard dans quelques-unes de leurs applications pratiques.

La base et la justice de la pénalité ne sont pas là; elles sont dans la nature et dans l'essence même de la loi. Une loi sans sanction n'est pas une loi, c'est un conseil; eh bien ! la loi est légitime, aussi bien dans la partie qui trace la règle, que dans la partie qui l'impose; toute société implique des rapports, c'est-à-dire une loi; et toute loi implique un moyen de conquérir l'obéissance. C'est parce que la loi morale est une loi,

qu'elle implique l'idée d'un châtiment moral pour ceux qui transgressent ses prescriptions; c'est parce que la loi sociale est une loi qu'elle implique un châtiment social; c'est parce que la loi sociale est moins étendue que la loi morale que la peine sociale sanctionne moins de prescriptions; c'est parce que la loi sociale se confond avec la loi morale pour une certaine portion de cette loi, que dans une certaine mesure, la peine sociale et la peine morale se confondent et peuvent peut-être venir à la décharge l'une de l'autre. Mais parce que le pouvoir social participe à l'infirmité humaine, que sa science est bornée comme il est borné lui-même, qu'en un mot, il n'a pas les secrets de la vie à venir, il ne doit se préoccuper que de l'intérêt social et de l'expiation sociale. Si l'expiation sociale doit compter pour quelque chose dans l'expiation due à la loi morale, c'est au suprême représentant de cette loi qu'appartient le soin de faire ce compte, parce que lui seul en possède les élé

ments.

Ce système n'a pas les vices que j'ai reprochés aux systèmes qui voient dans le Droit de punir un Droit de défense, sui generis, appartenant à la société. L'agent puni n'est pas un moyen de sécurité pour l'avenir; il subit la peine sociale pour lui-même et parce qu'il a violé la loi sociale; il s'est insurgé contre la règle des rapports sociaux, il a socialement failli; s'il obtenait l'impunité sociale, quelle qu'eût pu être l'expiation morale qu'il eût subie, au su ou à l'insu de la société, mais en dehors d'elle, la loi

sociale serait convaincue d'impuissance, c'est-à-dire ne serait plus une loi, un lien coercitif.

En un mot, la pénalité est de l'essence de la souveraineté ; la pénalité sociale est socialement aussi juste que la pénalité morale.

L'agent avait la liberté et le devoir de se conformer à la loi sociale; s'il a commis un mal social en s'écartant de cette loi, il y a démérite social, et partant, prise au châtiment. La justice de la peine sociale est surtout dans la justice de la loi.

A notre sens, ce qui prédomine dans la peine, c'est le respect et le salut de la loi; si la loi est légitime, la peine qui frappe son infracteur est ellemême légitime, à cette seule condition, qu'elle ne dépasse pas le degré de sévérité qu'exigent l'efficacité et l'importance de la loi. Je ne mesure pas l'étendue de la pénalité sur le danger et les chances de retour des crimes que la loi frappe, je la mesure sur le caractère du commandement à sanctionner et sur le besoin d'assurer son autorité; y eût-il certitude que l'infraction commise ne pourrait se renouveler dans l'avenir, que je ne dirais pas, avec M. Target, que le coupable a droit à l'impunité.

En un mot, la peine doit être conforme à la justice, mais à la justice sociale; la considération des avantages qui résultent de l'application de la pénalité, comme effet préventif pour l'avenir, ne doit être que secondaire; elle n'est pas un but, c'est une conséquence heureuse, dont la poursuite d'un autre but amène la réalisation : c'est là une seconde différence

qui sépare le système que je vous propose, du système du Droit de défense, appartenant à la société de son chef.

Aussi, pour moi, le pouvoir social qui édicte les peines et qui les fait appliquer est un supérieur, un juge impartial, et non pas une partie qui, de l'agent qu'elle frappe, fait un instrument pour se défendre, par anticipation, des ennemis à venir.

Je me sépare de l'école éclectique, en ce que je ne fais pas du pouvoir social le mandataire et le délégué de la justice éternelle. Je ne le charge pas, avec M. de Broglie, d'avancer, même dans la limite de l'intérêt social, le règne de Dieu sur la terre.

Pour moi, le pouvoir social, en punissant, ne représente que la société et n'use que de la répression sociale. Pour l'école éclectique, le maximum de la pénalité, c'est la mesure d'expiation que pourrait réclamer la loi morale; mais la société doit rceter en deça de ce maximum, si l'intérêt social n'exige pas ce degré de répression ; je réponds : Comment le pouvoir humain pourrait-il déterminer la mesure d'une expiation dont il ne sait pas même la nature? Quelle serait d'ailleurs sa base pour la punition des infractions aux dispositions de la loi sociale, qui, sans être contraires à la loi morale, n'ont pas leur type dans cette loi?

Il semble que, pour être logique, l'école éclectique devrait demander le rétablissement des peines arbitraires; qu'elle devrait investir le juge du pouvoir discrétionnaire de les élever ou de les abaisser, sans limites aucunes, suivant le degré de mal que l'agent

s'est fait à lui-même en commettant le mal social. Cet appel spécial, pour chaque cas spécial, aux inspirations de la conscience, serait le seul moyen, non pas de deviner les secrets de la justice divine, mais de tenir compte. d'après les règles de l'appréciation humaine, de toutes les épreuves expiatoires qu'aurait pu subir le coupable en dehors de l'action sociale. Le pouvoir de tempérer les peines par l'admission de circonstances atténuantes, devrait être insuffisant aux yeux de cette école.

Dans ma pensée, les peines doivent être édictées d'après la nature des infractions, c'est-à-dire d'après la nature des prescriptions. Seulement, comme le caractère social de ces infractions peut revêtir bien des nuances, suivant l'état intellectuel, le degré de liberté, les causes impulsives de l'agent, en un mot suivant les circonstances qui ont précédé, accompagné ou suivi le fait, il faut laisser au juge une certaine latitude pour qu'il puisse faire la part des considérations individuelles, et qu'il ait le pouvoir de faire fléchir ce qu'auraient de trop absolu les appréciations anticipées de la justice sociale.

Le système pour lequel le Droit de punir n'est que le Droit de défense sociale qui mesure, lui, la pénalité, non pas sur la perversité de l'agent, non pas même sur la perversité de l'acte, mais sur le danger de la société, doit logiquement appliquer à toutes les infractions qui ont le même caractère intrinsèque une peine égale; il doit enchaîner la liberté et la conscience du juge, le déshériter de tout pouvoir discré

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