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Pourquoi parler de convention tacite, présumée, là où les conventions sont sans puissance, puisqu'il s'agit de commandements d'ordre public auxquels il est défendu de déroger et qui, partant, ont une autorité indépendante du consentement? (Art. 6, C. Nap.)

La loi pénale française ne cesserait pas d'être applicable à l'infraction de l'étranger en France, parce qu'elle aurait été commise au préjudice d'un autre étranger. La pénalité n'est pas un moyen de défense, une protection pour les nationaux ; elle est la sanction du commandement de la souveraineté française. Ce commandement astreignait l'étranger sur le territoire; si l'étranger l'a violé, la sanction est applicable, quelle que soit la qualité de la partie lésée. Il s'agit, non de l'intérêt privé de cette partie, mais de l'intérêt de la loi, du respect qu'il importe de lui

assurer.

La loi pénale française serait-elle encore applicable si un étranger commettait, en France, une infraction au préjudice d'un étranger, ne résidant pas en France? un étranger, par exemple, fait un faux par supposition de personne, au préjudice d'un de ses compatriotes, qui ne nous a pas demandé l'hospitalité, qui habite à l'étranger.

« La protection que la loi française accorde aux étrangers, dit M. Mangin (1), s'étend même à ceux qui n'habitent pas notre territoire; il suffit que le « délit qui leur fait préjudice y ait été commis. »

(1) De l'action publique, t. Ier, no 60.

M. Mangin cite en faveur de cette solution, que je n'ai garde de contester, deux arrêts de la Cour de cassation des 31 janvier 1822 et 22 juin 1826.

Ce que je conteste, c'est la valeur de son motif juridique. La loi ne réprime pas les infractions dans le but de protéger ou même de consoler les parties lésées; ce que la loi protége, c'est sa propre puissance; ce qu'elle protége, c'est la société qu'elle gouverne et qui ne peut vivre sans une loi forte et respectée.

Qu'importe la qualité de la victime! La loi a été attaquée, elle ne doit se préoccuper que de l'agression et de l'agresseur.

Si la loi pénale a essentiellement un caractère territorial, ne peut-elle pas aussi avoir un caractère personnel?

C'est la loi civile française qui règle la capacité civile du Français à l'étranger; le statut personnel suit le Français partout où il porte ses pas; c'est ce statut qui détermine en tous lieux les conditions de fond auquel est subordonnée l'aptitude juridique du Français pour contracter, pour tester, pour se marier. Pourquoi ? C'est que si la souveraineté française, en dehors de ses frontières, n'a pas de moyens coercitifs; si, à l'étranger, elle est paralysée dans son action par les souverainetés étrangères, ses commandements cependant ne sont pas limités, en ce qui concerne les nationaux, au territoire national; ils s'adressent aux personnes, et du moment où ils sont l'expression d'un intérêt général, ils réclament partout l'obéissance; voilà ce qui explique l'étendue des lois de capacité,

le caractère absolu du statut personnel (1). Mais est-ce que les lois pénales ne tiennent pas essentiellement au statut personnel? Comment la loi, qui interdit au Français de voler ou de tuer, serait-elle condamnée à ne pas être aussi absolue que la loi qui lui interdit de faire un testament ou de contracter un mariage en dehors de certaines conditions? Vainement objecterait-on que la souveraineté française expire sur les limites du territoire: elle ne demande pas à faire acte de puissance hors de France; elle n'agira sur le Français qu'en France. Autre chose est l'étendue de son empire, autre chose l'étendue de son mode d'action; la question est de savoir si les prohibitions de la loi pénale française peuvent être rendues obligatoires pour le Français vivant à l'étranger. Il ne s'agit nullement de savoir si la souveraineté française pourra exercer sa justice hors de France, même contre un Français.

De ce que la souveraineté civile de la loi française, sur la capacité du Français à l'étranger, ne peut appliquer ses sanctions qu'en France, a-t-on jamais conclu que cette loi n'existait pas hors de France comme règle des nationaux, et, qu'en dehors de la frontière, elle pouvait être impunément enfreinte ? Pourquoi l'objection qui ne limite pas la souveraineté de la loi civile, limiterait-elle la souveraineté de la loi pénale ?

(1) Voir Observations de la Faculté de Droit de Caen, sur quelques modifications à apporter au Code d'instruction criminelle, pages 5 et 6.-1846.

Voilà ce que dit le Droit. J'examinerai bientôt ce que dit la loi..

La loi pénale française ne peut atteindre les infractions commises à l'étranger par des étrangers, qu'elles soient ou ne soient pas commises au préjudice de nos nationaux. L'étranger, à l'étranger, ne relève pas, en effet, de la souveraineté française; il ne lni doit obéissance à aucun titre. Qu'importe que la victime du fait, à l'étranger, soit française? Si la pénalité était une vengeance, le pouvoir français pourrait venger ses nationaux quand il saisirait, en France, les étrangers auteurs du mal; il pourrait peut-être infliger, en France, la pénalité à l'étranger pour un fait commis hors de France, si cette pénalité était un moyen de défense ou une arme de guerre. Mais la pénalité n'est que la sanction du commandement de la souveraineté française, et ce commandement n'est pas à l'adresse des étrangers tant qu'ils restent chez eux, tant qu'ils ne viennent pas troubler le bon ordre de la société à laquelle cette souveraineté est chargée de pourvoir.

J'ai essayé de dire ce qu'exige le Droit.

Comment la question de la personnalité de la loi pénale a-t-elle été résolue ?

Cette question n'était pas résolue dans le Droit romain (1). A l'époque de sa puissance Rome, maîtresse du monde connu, n'avait pas en vérité besoin

(1) Faustin-Hélie, t. II, p. 564.

que sa foi pénale exerçât son empire en dehors de son territoire; la loi romaine, comme loi territoriale, commandait urbi et orbi.

Dans notre ancien Droit, le principe que les lois pénales étaient des lois personnelles, suivant les Français à l'étranger et pouvant les atteindre au retour, était un principe généralement reconnu ; c'est ce qu'atteste Jousse (1) qui se prévaut de l'autorité de l'opinion de l'avocat-général Talon lors d'un arrêt du 14 août 1632. La solution de Jousse était consacrée par l'art. 17, in fine, de l'édit de septembre 1651, et par l'art. 18 de l'édit d'août 1679 contre les duels.

On donnait de ce principe d'assez bonnes raisons: on disait qu'il importait à l'intérêt général que les sujets d'un même état se conduisissent bien partout et que nos nationaux devaient être punis quand ils avaient violé la loi nationale, en quelque lieu que cette violation se fût produite.

Jousse professait que la peine était applicable, en France, à l'infraction commise hors de France, par un Français, au préjudice même d'un étranger.

Rousseau de la Combe professait la même doctrine (2).

Le Code de 1791 est muet sur la difficulté.

Le Code du 3 brumaire an IV déclare la loi pénale française applicable à l'infraction commise hors

(1) Jousse, t, Ier, tit. II, chap. 1o, sect. 4, no 36, p. 424. (2) Traité des matières criminelles, II partie, chap. 1, no 34, p. 121 de l'édit. de 1769.

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