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Adopterons-nous l'une ou l'autre de ces théories radicales? Ferons-nous, avec M. Rauter, des distinctions (1)?

Les lois de procédure pénale doivent être subdivisées.

Ces lois se subdivisent:

1° En lois de pure instruction, c'est-à-dire en lois qui ne déterminent que la forme suivant laquelle une preuve d'un certain genre pour ou contre l'accusé ou le prévenu, sera reçue ;

2o En lois d'instruction se liant à la question du fond, parce que, par exemple, elles déterminent non plus dans quelle forme telle ou telle preuve sera reçue, mais bien si telle ou telle preuve pourra être produite, ou bien quelle sera la majorité nécessaire pour la condamnation;

3° En lois d'attribution et de compétence entre des juridictions préexistantes ;

4° En lois organisatrices de juridictions nouvelles. Toutes ces lois sans distinction sont-elles soumises ou dérobées au principe de la non-rétroactivité ? Et d'abord quid des lois de pure instruction ?

Les lois de pure instruction saisissent les faits antérieurs à leur promulgation; ces lois ne sont évidemment que des instruments pour arriver à la découverte de la vérité, à la découverte de l'innocence ou à la découverte de la culpabilité.

Or, les lois nouvelles, par cela seul qu'elles sont

(1) No 8.

nouvelles, sont réputées plus propres à atteindre ce but que les lois qu'elles remplacent, puisque le législateur les a préférées. Donc les lois nouvelles, doivent être appliquées aux faits antérieurs non jugés.

Les lois nouvelles s'appliquent même aux faits antérieurs qui ont été l'objet d'un commencement de procédure, pourvu qu'il n'y ait pas eu encore de jugement définitif. Seulement ce qui a été fait d'après les règles anciennes subsiste et conserve toute la force que lui attribuait la loi abrogée (1). Il n'y a que la continuation de la procédure qui s'opère conformément à la loi nouvelle.

Mais quid des lois d'instruction se liant à la question du fond?

La loi ancienne, par exemple, ne permettait pas, pour un certain crime, la preuve testimoniale ou elle exigeait la majorité des deux tiers; la loi nouvelle adoucit la preuve testimoniale, elle n'exige plus que la majorité de la moitié plus un.

Pour soutenir que le principe de la non-rétroactivité est applicable à ces lois, on dit que les prévenus ne peuvent pas être rétroactivement privés des garanties sur lesquelles ils ont dû compter. C'est là l'objection de M. Rauter. Cette théorie nous paraît erronée.

De deux choses l'une ou les accusés sont innocents, ou ils sont coupables. Sont-ils innocents? la

(1) Voir arrêté du 5 fructidor an IX.

loi nouvelle doit être présumée offrir à l'innocence toutes les garanties dont elle peut avoir besoin pour triompher; car, sans cette présomption, la loi nouvelle serait illégitime à l'égard même des faits postérieurs à sa promulgation.

Les accusés sont-ils coupables? on ne conçoit guère que la culpabilité puisse avoir un droit acquis contre la société à une loi vicieuse qui lui permettrait d'échapper à la répression (1).

Quid des lois d'attribution et de compétence entre des juridictions préexistantes?

Une loi ancienne déférait les procès de presse au jury; elle les défère aux tribunaux correctionnels; appliquera-t-on la loi nouvelle aux faits antérieurs ? On dit que si la loi rétroagit, il y a évidemment aggravation du sort du prévenu; ses chances d'acquittement sont moins grandes.

Réponse. Ou l'inculpé est innocent ou il est coupable: innocent, la loi est absolument mauvaise si son innocence ne triomphe pas. Coupable, il n'a pas de droit acquis contre la société (2).

On a tenté une distinction pourtant et on a dit : ou la loi nouvelle enlève la compétence à une juridiction de Droit commun pour l'attribuer à une autre juridiction de Droit commun, ou, an contraire, elle

(1) Cassation, 13 novembre 1835. Sirey, 35-1-910.

(2) Cassation, 10 mai 1822. Sirey, 22-1-286.-Cassation, 16 avril 1831. Sirey, 31-1-304. Sic, Décret du 22 janvier 1852, art. 25.

l'enlève à une juridiction de Droit commun pour l'attribuer à une juridiction d'exception, par exemple, pour l'attribuer à un conseil de guerre ou à une commission militaire; dans le premier cas, la loi nouvelle rétroagit; dans le second cas, elle ne rétroagit pas.

Je n'admets pas cette distinction. Encore une fois si la loi nouvelle est vicieuse, le vice ne sera pas un vice de rétroactivité; ce sera un vice beaucoup plus absolu ; si elle a eu pour but, non la justice et la vérité, mais la condamnation, elle viole non le principe de la rétroactivité, mais le principe d'une bonne organisation judiciaire.

Mais au moins les lois nouvelles d'attribution entre des juridictions préexistantes, saisissent-elles les faits antérieurs à leur promulgation, lorsque ces faits ont déjà été déférés à la juridiction anciennement compétente? Non, dans le silence de la loi, et cela en vertu du principe de la loi 30 au Digeste De judiciis: ubi acceptum est semel judicium ibi et finem accipere debet.

Je ne crois pas, avec M. Dupin, que ce principe veuille uniquement dire que les moyens de récusation et les moyens d'incompétence doivent être opposés in limine litis. Il y a, en effet, des moyens d'incompétence qui peuvent être opposés en tout état de cause; ce sont les moyens fondés sur des considérations d'ordre public. Toutefois la loi peut, par une disposition expresse, dessaisir une juridiction d'affaires pendantes pour en saisir une autre juridiction.

Que décider pour les lois organisatrices des juridictions nouvelles ?

Le principe de la non-rétroactivité ne leur est pas applicable.

Cependant, si les faits ont été valablement déférés à la juridiction ancienne et que cette juridiction n'ait pas été supprimée, ils resteront soumis à la juridiction qui en a été saisie; mais la loi nouvelle peut saisir les juridictions nouvelles même des procédures commencées (1).

On oppose un décret du 21 thermidor an II; la réponse est que devant le tribunal révolutionnaire on n'appliquait qu'une seule peine, la peine de mort. La question de compétence emportait donc la question de la pénalité. '

Les lois qui ne substituent pas une juridiction à une autre, mais suppriment ou introduisent des voies de recours en matière pénale, sont-elles applicables aux faits antérieurs à leur promulgation? Oui, incontestablement. Il s'agit de lois d'ordre public, dont le caractère, la nature propre est de saisir les faits non consommés.

Mais seraient-elles applicables aux faits déjà jugés? Le jugement, d'après la loi ancienne, était rendu en

(1) En ce sens, art. 30 de la loi du 18 pluviôse an IX; art. 4 de la loi du 19 pluviôse an XIII; art. 19 de la loi du 20 décembre 1815.

Cassation, 12 octobre 1848, Sirey, 48-1-641.-Arrêt de la haute cour de justice, du 8 mars 1849, Sirey, 49-2-225.-Arrêt de la cour de cassation, du 13 mars 1850, Sirey, 50-1-226.

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