Images de page
PDF
ePub

dernier ressort et il acquittait le prévenu; survient une loi nouvelle qui autorise l'appel; il est bien évident que le jugement est un droit acquis qu'une législation postérieure ne peut briser. Où s'arrêterait-on, d'ailleurs, daus le système contraire? Il n'y aurait jamais de chose jugée, puisqu'on aurait toujours à craindre l'introduction d'une voie de recours?

Ce que je dis du jugement favorable au prévenu, faut-il le dire du jugement qui le condamne ? Le prévenu condamné peut-il profiter de la législation nouvelle qui ouvre un recours, pour remettre en question sa condamnation? Le principe que les lois pénales rétroagissent quand elles sont favorables peut-il être invoqué? Non, la loi qui adoucirait la peine depuis que la condamnation aurait acquis un caractère définitif, ne modifierait pas cette condamnation; par la même raison, la loi qui crée des recours, les crée pour des faits à juger et non pour des faits déjà définitivement jugés (1).

Ce que j'ai dit de la loi nouvelle qui introduit une voie de recours, je le dis de la loi nouvelle qui en supprime une. Le prévenu acquitté sous l'ancienne loi, par un jugement attaquable, ne saurait soutenir que la loi nouvelle rend le jugement définitif; le prévenu condamné sous la loi ancienne conserve, sous la loi nouvelle, son droit de recours.

(1) Merlin, Répert., v° Effet rétroactif, no 4, 5 et 6; et vo Pays réunis, § 4. Questions vo, Cassation, § 2. - Carré, Lois sur la procédure, no 1647.'

La loi nouvelle n'est-elle pas applicable au moins aux faits qui ne sont pas encore jugés, mais qui sont déférés aux juges? Pour la négative, il semble qu'on puisse dire que les jugements ne créent pas le droit, qu'ils le déclarent, que leur effet remonte au jour où la poursuite a été intentée : qu'ils doivent être réputés rendus le jour même où la juridiction compétente a été saisie et que par suite ils doivent être régis, quant au mode de recours, par la loi en vigueur, au moment où la procédure a commencé. On pourrait argumenter en ce sens de l'art. 12 de la loi du 11 avril 1838 et de l'art. 1°, dernier alinéa de la loi du 3 mars 1840, qui, en matière civile et commerciale, n'ont appliqué les règles nouvelles sur le ressort qu'aux procès qui n'étaient pas encore intentés.

Je crois que la loi nouvelle qui supprime ou introduit une voie de recours, est applicable aux poursuites commencées sous l'ancienne loi, tant que l'instruction n'a pas abouti à un jugement définitif; il n'y a de Droit acquis ni pour, ni contre la société. Le pouvoir garde le Droit d'anéantir une garantie qu'il juge surabondante ou d'en créer une qu'il juge nécessaire.

Les lois du 11 avril 1838 et du 3 mars 1840, contiennent, sous ce rapport, des dispositions exceptionnelles, des dispositions de pure convenance, des dispositions qui n'y ont même trouvé place que parce le Droit commun eût entraîné une solution contraire; elles ne prouvent pas plus contre notre prin

que

cipe que l'art. 1041 du Code de procédure civile, qui ne rend ce Code applicable qu'aux procès intentés depuis le 1 janvier 1807, n'a infirmé le principe que, sans rétroactivité aucune, les lois d'instruction sont obligatoires du jour de leur promulgation non seulement pour les procès qui viennent à prendre naissance, mais encore pour les procès déjà commencés (1).

TROISIÈME QUESTION. - Le principe de la non-rétroactivité est-il applicable aux lois de prescription en matière pénale?

Il existe en matière pénale deux espèces de prescription: l'une qui affranchit de la poursuite, c'est-àdire de la vérification de la culpabilité, l'autre qui libère de l'exécution d'une condamnation prononcée. Ces deux prescriptions reposent-elles toutes deux sur le même principe?

Examinons:

La prescription qui affranchit des poursuites repose sur la considération que les preuves de l'accusation dépérissent au bout d'un certain laps de temps; que les moyens de défense s'évanouissent et que la société ne peut pas s'exposer à frapper un innocent. A cette considération s'en joint une autre la pénalité a pour

(1) Voir, dans le Moniteur du 24 février 1838, la discussion qui s'est engagée, le 23 février, à la Chambre des Députés, et dans laquelle MM. Dufaure et Dupin ont mis en lumière sur ce point les véritables principes, au moins pour les matières civiles.

but d'assurer le respect de la loi en établissant
qu'elle ne peut pas être impunément violée. -Mais
lorsque la violation de la loi remonte à une époque
reculée, quand son souvenir n'a pas été ravivé
des poursuites, elle finit par être oubliée; - alors
l'application de la sanction n'a plus le caractère de
nécessité qui la légitime.

par

La première de ces considérations est bien évidemment étrangère à la prescription de la condamnation: l'agent a été condamné; la société n'a plus à craindre quelque fatale méprise ; il semble qu'elle a le Droit et le devoir de faire, à toute époque, exécuter la condamnation.

Pourquoi donc la prescription qui dérobe à cette exécution? C'est, dit la théorie en crédit, parce qu'après un certain temps le condamné a subi non pas en nature, mais par équivalent, la mesure d'expiation que la morale était en droit d'exiger de lui; les inquiétudes, les tourments d'une vie incertaine et précaire, les tortures morales, voilà l'équivalent de la pénalité. L'école qui fonde le Droit de punir sur la justice morale limitée par l'utilité sociale, n'éprouve aucun embarras pour justifier cette prescription: Non bis in idem. Il ne serait plus moralement juste d'infliger une expiation déjà subie, et le pouvoir n'a le Droit de pourvoir à l'intérêt social que dans l'intérêt de la justice morale. Cette considération, dit cette théorie, est commune aux deux prescriptions (1).

[ocr errors]

(1) Voir M. Faustin-Hélie. Inst. crim. tome III. p. 675.

[ocr errors]

J'insiste sur cette explication parce que je ne l'admets pas, que je présente une explication différente, et que la diversité de ces explications entraînera la diversité des solutions sur la question de rétroactivité que j'ai à étudier.

Si la peine est une sanction, quel est le but de l'exécution de la peine ? C'est de bien établir que la sanction n'est pas seulement écrite dans la loi, qu'elle s'applique, qu'elle n'est pas une fiction, mais une réalité.

Or, quand un grand nombre d'années a passé sur la condamnation, est-ce que le laps du temps ne produit pas sur elle ce qu'il produit sur l'infraction même non jugée? Est-ce qu'il n'efface pas la mémoire du jugement comme il effaçait la mémoire du fait ? Estce qu'il n'amortit point, est-ce qu'il ne finit pas par détruire l'intérêt de la société à l'exécution de la peine?

Sans doute le souvenir de l'infraction condamnée vivra plus longtemps que le souvenir de l'infraction non jugée. Aussi la prescription qui abritera contre la peine sera bien plus longue que la prescription qui abritera contre la poursuite.

Je me borne en ce moment à ces indications. Je développerai tout cela quand je m'occuperai de la prescription. Je discuterai au point de vue juridique et rationnel les vieux et les nouveaux systèmes.

Tout à l'heure je me borne à ce qui est indispensable pour la solution que nous cherchons.

Un texte précis résout la question de rétroactivité

« PrécédentContinuer »