Images de page
PDF
ePub

7. La loi a été violée et le but final a été atteint: il y a incontestablement lieu à l'application de la pénalité. On a beaucoup discuté sur le point de savoir si la tentative du crime qui n'avait manqué son effet que par des circonstances indépendantes de son auteur, si le crime manqué et le crime qui a atteint son but devaient être punis d'une peine identique. Pour résoudre cette question, il semble qu'il faut bien se pénétrer d'abord de l'idée que la peine est complètement étrangère à l'intérêt individuel lésé, et que, par conséquent, sa mesure ne doit pas être la mesure de la lésion individuelle. Si la mesure de la lésion individuelle était la mesure de la peine, la tentative de l'infraction et l'infraction manquée devraient être punies de peines beaucoup moindres que l'infraction qui a atteint son but. La peine n'est pas même la réparation d'un préjudice social; car, à vrai dire, je ne vois pas comment la perte que la société éprouve par le meurtre d'un de ses membres, est réparée, parce que le meurtrier monte sur l'échafaud; la peine, encore une fois, n'est que la sanction de la loi. Eh bien, la loi étant aussi bien violée par le crime manqué que par l'infraction qui a atteint son but final, il y a lieu à application de la même sanction. Mais la loi n'est pas autant violée par une tentative que par le fait consommé; sans doute le repentir de celui qui ne s'est pas volontairement désisté, n'est pas présumable; mais enfin, il n'est pas absolument impossible. Il faut que la loi tienne compte à l'agent de cette possibilité.

Voilà les solutions auxquelles, ce semble, on arrive plaçant au point de vue du Droit. Il faut voir ce que dit la loi :

Notre Code pénal ne punit point la pensée de l'infraction; il ne punit pas, en général, la résolution et même l'acte préparatoire de l'infraction; il ne punit, en général, la tentative, qu'en matière de crimes et qu'autant qu'elle a été manifestée par un commen-cement d'exécution, et qu'elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur; il punit la tentative punissable comme le crime même (art. 2, Code pénal); il ne punit la tentative de délits que par exception, à plus forte raison n'atteint-il pas la tentative de contravention : les tentatives de contravention ne tombent sous la répression qu'autant qu'elles ont été l'objet, comme faits sui generis, d'incriminations distinctes.

Voici, sous ce rapport, quels ont été les précédents:

En Droit romain, l'on pourrait croire, au premier aspect, que, d'après la règle générale, la tentative était punie comme l'infraction consommée; plusieurs textes semblent favorables à cette opinion. La loi 7 au Code ad legem Corneliam de sicariis, semble punir l'acte préparatoire; mais n'était-ce pas là une exception? La loi première, au Digeste ad legem Corneliam de sicariis semble aussi punir l'acte préparatoire et au moins la tentative. La loi 5, § 2, au Code ad legem juliam majestatis, et la loi 5, au Code de

episcopis et clericis, fortifient la même solution; toutefois, ces textes n'étaient-ils pas.des textes exceptionnels? La loi 16, § 8, ff, l'établit à mes yeux et la loi 1", § 2, ff de extraordin. crim., fournit le même argument.

Dans notre ancien Droit il n'y avait que les tentatives de crimes atroces qui fussent punies comme le crime même. C'étaient les tentatives de crimes de lèse-majesté, de parricide, d'assassinat et d'empoisonnement (1).

Le Code pénal du 25 septembre 1791 ne punissait que les tentatives d'assassinat et d'empoisonnement. Il faut lire les art. 13, 15 et 16, titre II. La loi du 22 prairial an IV étendit cette règle à tous les crimes.

Le Code de l'Empire reproduisit le principe de la loi du 22 prairial an IV.

Des idées bien diverses s'étaient fait jour dans la discussion. MM. de Fermon et Bérenger pensaient que la tentative devait être punie d'une peine moindre que le crime; M. Treilhard, au contraire, pensa que la peine devait être pour la tentative, la même que pour le crime, avec cette restriction toutefois, que quand une peine aurait un maximum et un minimum, la tentative devrait toujours être punie du minimum.

L'opinion de M. Treilhard fut adoptée, mais sans la modification, sans le tempérament qu'il proposait

(1) Ordonnance de Blois, art. 195.-Ordonnance de 1670, tit. XVI, art. 4.

lui-même; l'art. 2 punit la tentative du crime comme le crime, pourvu, bien entendu, que l'agent ne se soit pas arrêté de son propre mouvement, et l'art. 3 déclare qu'en Droit commun les tentatives de délits sont affranchies de pénalités.

La question de savoir si la tentative de crime devait être assimilée au crime consommé, et être atteinte de la même peine, se reproduisit lors de la réforme de 1832. On proposa une peine moindre, pour le cas où le désistement de l'agent n'était pas devenu impossible, lorsqu'il y avait place encore pour un sentiment salutaire de crainte ou de repentir.La proposition fut rejetée sous le prétexte que le juge pourrait toujours, par l'admission des circonstances atténuantes, différencier les deux positions.

Les art. 2 et 3 du Code de l'Empire furent maintenus: on se borna à supprimer quelques mots qui parurent unc explication surabondante de ce qui constituait la tentative.

L'art. 2 du Code pénal confond deux hypothèses bien distinctes, l'hypothèse dans laquelle il reste encore quelque chose à faire à l'agent pour commettre le crime, où il lui serait facultatif de suspendre l'exécution commencée, et l'hypothèse où l'agent n'est plus maître de s'arrêter, parce que son œuvre, en tant qu'elle dépend de lui, est achevéc, qu'il n'y a plus en suspens que le résultat, que l'efficacité ou la non-efficacité de son action, parce qu'en un mot, pour employer la terminologie de M. Rossi, le crime est consommé par l'agent subjectivé.

Notre Code confond le crime tenté et le crime manqué:- Du moment où l'agent n'a pas accompli le but final, que son œuvre ait été interrompue ou qu'elle ait reçu son complément, l'art. 2 voit là une tentative, c'est-à-dire qu'il ne s'attache pas au degré de la violation de la loi, mais à l'existence ou à la non-existence du résultat pour déclarer le crime consommé ou non consommé : il n'y a pas de consommation pour lui, tant que le crime n'est pas parfait objective; on peut s'étonner que cette confusion ait survécu à une réforme opérée sous l'influence d'une école qui fonde la pénalité sur la justice morale limitée par l'utilité sociale; l'acte tenté ne suppose pas nécessairement chez l'agent une immoralité aussi profonde, aussi persévérante que l'acte accompli subjectivé; il y a, entre le crime tenté et le crime manqué plus qu'une différence morale; il y a une différence sociale qui devait ertrainer une différence dans la pénalité.

Entre le crime manqué et le crime consommé objectivé, il n'y a pas de différence morale et il n'y a pas non plus de différence sous le rapport de la violation du commandement. L'identité de la sanction est donc imposée par la logique et la justice sociale.

Sur les art. 2 et 3 du Code pénal je veux examiner cinq questions:

1 La résolution criminelle manifestée par des actes extérieurs, mais inoffensive dès son principe, soit par l'impuissance intrinsèque du moyen, soit par

« PrécédentContinuer »